L'herbe douce sur son visage était là, caressée par le vent et les mains d'Eilonwy. La princesse s'étirait longuement, passant ses doigts entre les brins et laissant ses muscles se réveiller tour à tour. Émettant un petit grognement, elle enfouit son visage dans la végétation. Toujours aussi agréable, toujours aussi ... elle n'avait pas la même odeur. L'herbe n'avait pas la même odeur que la nuit dernière!
Eilonwy ouvrit les yeux et se releva brusquement. Absolument personne ne se trouvait autour d'elle .... Taram? Ritournelle? Gurgi? Ils avaient tous disparu! Elle était entourée de quelques arbres mais beaucoup d'entre eux manquaient ... Et de ce qu'elle pouvait voir, Eilonwy en fut complètement déroutée. Des chemins coupaient la forêt, il y avait aussi une mare, et le plus curieux étaient les gens. Quelqu'un roulait sur un engin étrange qui émettait un bruit clair, ils étaient habillés de la manière la plus curieuse qui était et les bruits, les sons, les odeurs se mélangeaient tous pour donner un tintamarre insoutenable pour la belle. Eilonwy plissa les yeux et se recroquevilla, cachant ses oreilles par ses mains.

Où était-elle? Cela ne ressemblait plus du tout à la forêt de Lyr où ils s'étaient endormis! Sa belle forêt ... était-elle loin? Aussi loin que ses amis?! Eilonwy avait l'impression de se faire emporter par la mer et son coeur s'emplit d'une angoisse sans nom. Qu'est-ce qui lui arrivait? Est-ce qu'on l'avait enlevée une nouvelle fois?! Mais par qui, et pourquoi? L'aurait-on perdue? La princesse avait une irrésistible envie de pleurer mais elle réussit à se calmer au dernier moment, lorsque son nez commençait à la piquer et que les larmes montaient jusqu'au bord de ses yeux.
Relevant la tête, elle vit un garçon d'environ son âge la regarder bizarrement. Agacée, la princesse se releva complètement, ayant l'intention de le sermonner. On ne regarde pas une dame de cette manière! Mais alors qu'elle s'apprêtait à lui faire regretter son acte, Eilonwy sentit quelque chose tomber de ses genoux. Elle baissa les yeux. C'était sa lubiole, qui avait atterri sur l'herbe avec un bruit mat, inerte et sans vie. La princesse en oublia l'impertinent et se précipita de la ramasser.

« Lubiole? ... Lubiole, qu'est-ce que tu as? »

La petite créature ne s'envola pas de la main d'Eilonwy ... elle resta nichée en son creux, luisant faiblement, comme si elle allait s'éteindre. Prise de panique, la princesse en eut assez de cet endroit. Elle ne voulait pas demander de l'aide à ces gens bizarres, elle voulait juste une forêt tranquille où elle pouvait être seule! Ou retrouver ses amis! Prise de panique, la jeune fille se mit à courir à travers les chemins, évitant les personnes qui marchaient dans sa direction. Mais quel était cet endroit? Pourquoi était-elle ici? Dans quel royaume se trouvait-on? Étais-ce loin de Prydain?
Toutes ces questions rendaient lourd le coeur d'Eilonwy qui se précipitait vers un côté plus sombre de cette "forêt". Les arbres semblaient plus denses et moins de personnes allaient là. Lorsqu'elle fut entourée d'arbres et qu'elle ne vit plus personne, la princesse s'arrêta. Essoufflée, elle jeta un oeil à sa lubiole. Toujours pareil ...
Cela ne lui était jamais arrivé ... Qu'avait-on fait à son amie? Eilonwy s'assit au pied d'un arbre, tenant l'objet magique entre ses mains. On aurait dit qu'elle disparaissait un peu plus ... La jeune fille ne se retint plut, de grosses larmes roulèrent sur ses joues.

« Réveille toi, je t'en prie ... » supplia-t-elle.

Tout espoir l'avait quitté à ce moment. C'était comme si le monde se refermait sur elle, tout comme ces arbres. Eilonwy avait seulement envie de pleurer et de dormir pour se réveiller à Lyr. Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas rentrée chez elle ... Elle n'en pouvait plus. Baissant la tête pour pleurer d'avantage, elle suppliait le ciel pour qu'un signe arrive. Que quelqu'un vienne la chercher ... elle voulait enfin terminer son voyage.

Une larme avait coulé sur sa lubiole. Eilonwy aurait espéré quelque chose, n'importe quoi. Une petite lueur ou un signe. Mais il ne se passa strictement rien. La lubiole demeurait inerte. Et si elle n'avait pas entendu de voix, la jeune princesse aurait redoublé ses pleurs.

« Ex...excusez moi mademoiselle mais...quelque chose ne va pas ? est ce que je peux vous aider ? »

Eilonwy sursauta un peu et leva la tête. Un jeune homme s'était approché d'elle, inquiet. Tout de suite, la jeune princesse n'avait qu'une idée en tête: essuyer ses larmes. C'était un déshonneur que quelqu'un la voie pleurer de la sorte.


« Ne vous en faites pas! » dit-elle précipitamment.

La princesse se releva, épousseta sa robe et passa majestueusement ses mains dans sa chevelure pour la remettre en place. Toujours un peu déboussolée, elle en oublia de sourire. Mais la politesse était de mise et il fallait qu'elle se présente. Esquissant une révérence, elle ajouta:

« Je suis la princesse Eilonwy de Lyr. Auriez-vous l'amabilité de me dire où nous sommes? »

La jeune fille avait une impression désagréable. Celle d'être loin, très loin de chez elle. Vous savez, cette sensation qui vous prend à la gorge et qui vous fait vous sentir malade. Le mal du pays comme on dit. Ce n'est pas un mal pour rien.
Mais elle décida de se focaliser sur l'homme qui l'avait abordée pour se changer les idées. Lui aussi était accoutré d'une manière très particulière. Elle n'aurait pu dire si c'était un prince ou un simple fermier, vous savez. Peut-être lui dirait-il après tout, c'était la chose à faire, surtout face à une princesse. Il devait probablement venir d'ici et il l'aiderait au moins à la renseigner un minimum. Ses angoisses se dissiperaient sûrement si elle savait où elle était. Et cela ferait place à d'autres, évidemment ...

Mais regardez ce monde ... Tout ce qu'il avait de commun avec le sien était les arbres, l'herbe et les fleurs. Et encore! C'était toute la dimension qui avait changé autour d'elle! La matière, l'aspect des choses, même de sa peau et de sa robe était passé complètement à autre chose. Eilonwy devait rêver ... Ce n'était pas possible! Toute cette incompréhension lui fit monter les larmes aux yeux une nouvelle fois mais elle se mordit fort la lèvre pour ne pas qu'elles coulent. Puis vint le moment où elle avait envie de s'évanouir, mais elle arriva à repousser encore cette sensation. En tout cas, le visage d'Eilonwy était très pâle et la pauvre princesse avait simplement envie de se tapir dans un trou pour y finir ses jours.

La jeune princesse parvenait à se calmer un peu, essayant de bien respirer pour oublier les tensions. Enfin, oublier était un grand mot. Comment oublier tout ce qui venait de se passer? Enfin, essayer de ne plus trop y penser tout du moins. Si Eilonwy ne se calmait pas vite fait, elle allait sûrement s'évanouir, et elle n'en avait pas du tout envie. Elle se concentra plutôt sur ce que lui disait l'inconnu, qui s'appelait désormais Robin. Heureusement, elle était tombée sur quelqu'un qui avait un accent plutôt familier et qui parlait sa langue. Cela aurait pu être pire. Peut-être était-elle dans le futur? Le Prydain du futur?
Robin lui parlait pourtant d'Angleterre, de France ... Et il ne connaissait pas Lyr. Était-elle dans un autre monde? Tout cela lui donnait mal au ventre ...

« Non, Lyr n'est pas en France ... je ne sais pas où est l'Angleterre, monsieur. » dit-elle sur un ton désespéré. « Lyr est ... en Bretagne. »

En vérité, Eilonwy ne savait pas que la Bretagne et l'Angleterre signifiaient la même chose. La Bretagne étant l'ancien nom de l'île anglaise, et de tout l'archipel Brittanique. Lyr se situait en fait au Pays de Galles de cette époque. Je ne saurai vous dire quelle ville a remplacé ce royaume aujourd'hui, mais la jeune princesse n'était pas si loin de sa maison. Enfin ... façon de parler.

« Heu...excusez moi encore mais...si vous voulez bien entendu, je vous propose de m'accompagner vous rafraichir d'un bon verre d'eau chez moi. N'ayez pas peur je ne vous veux aucuns mal et je pense que cela vous fera le plus grand bien vous ne croyez pas ? »

Robin avait probablement raison. Et Eilonwy aurait pu suivre n'importe qui dans l'état où elle était. Ce devait être la meilleure solution. Toujours perdue, le regard dans le vague, elle acquiesça. Prête à le suivre, elle commença à marcher à côté de lui. La princesse repensait à Taram, à Ritournelle, à Gurgi. Où étaient-ils ... Allait-elle les revoir?
Mais alors qu'elle se noyait dans ses pensées, elle réalisa que rester silencieuse n'était pas très plaisant pour le jeune homme qui avait si gentiment proposé de l'aider.

« Excusez-moi. Je suis vraiment ... vraiment perdue. Merci de vous occuper de moi, je crois avoir de la chance d'être tombée sur vous ... »

Robin était gentil, mais Eilonwy le trouvait bien trop optimiste. Il ne devait pas se rendre compte de ce qui arrivait à la princesse. Et sa panique repartit de plus belle lorsqu'il mentionna le 12ème siècle.

« 12ème siècle?! » s'étonna-t-elle. Mais la suite de sa phrase n'était peut-être pas ce à quoi Robin s'attendait. « Nous sommes aussi loin?! Oh mon dieu ... et ... et encore plus loin même, le 12ème siècle est passé?! »

Eilonwy avait seulement connu le 4ème de ce monde. Elle était donc bel et bien dans le futur! Sa tête lui tourna à nouveau, la princesse dut s'accrocher à l'épaule de Robin pour éviter de s'écrouler.

« Excusez-moi. Je suis juste très loin de chez moi. J'ai besoin d'un instant ... »

Eilonwy souffla un bon coup et continua la route avec sa compagnie. Elle espérait qu'ils arriveraient vite à la maison de Robin. La jeune fille avait besoin de s'asseoir. Ou dormir. Elle avait envie de dormir jusqu'à ce que le monde redevienne aussi plat qu'il l'était avant.

Les deux jeunes gens finirent par passer une porte. La jeune princesse observait les lieux de plus en plus étranges ... Elle n'avait jamais rien vu de tel auparavant. Tout semblait si lisse, si propre, si ... autre. À un moment, ils entrèrent dans une sorte de cage. Cela ne plaisait guère à Eilonwy. On aurait dit un piège plus qu'autre chose. La princesse regarda Robin d'un air suspicieux mais celui-ci la rassura.
La cage se mit à bouger ... en fait, Eilonwy ne savait pas s'ils montaient ou s'ils descendaient. La princesse regarda tout ça d'un air confus, mais elle ne paniqua pas. Son nouveau camarade avait l'air confiant.

Ils finirent par sortir et Robin alla ouvrir une porte bien précise. N'oubliant pas la galanterie, ce dernier laissa passer la princesse avant lui. Eilonwy le remercia d'une petite révérence, et même d'un léger sourire. Passant le pas de la porte, elle y découvrit une bien curieuse maison. Mais fallait-il encore qu'elle soit étonnée au point où elle en était? ...

« Dites-moi ... Si nous ne somme pas au 12ème siècle, comme vous dites ... » Eilonwy se retourna lentement vers Robin. « À quel siècle sommes-nous? »