Lumière criarde au-dessus du miroir, éclat critique au fond du regard. Oliver cherche dans son reflet, quelque chose d'un peu beau, ne trouve pourtant que des défauts. Dans les cernes bleues sous ses yeux, la forme de son nez, de ses lèvres, en passant par l'alignement de ses dents. Et il se sent stupide, soudain, avec ses odeurs de parfum, son peigne entre les mains, ses boucles coiffés en vain et toutes ces envies de plaire qui ne mèneront à rien.

Les lourdeurs de son cœur découragé le forcent à s'asseoir un instant sur le rebord de la baignoire. Le souffle se veut plus court, signe des angoisses qui, doucement, commencent à monter. Et si ses sentiments l'encombraient trop ce soir ? Et si ça se remarquait ? Et si ses amis ne s'appréciaient pas ? Et s'ils ne s'amusaient pas ? Et si un imprévu venait gâcher la soirée ? Et s'il y avait trop de monde ? Et si une frayeur bonne enfant réveillait d'anciennes terreurs ? Et si le pire arrivait ? Et s'il paniquait ? Et s'il avait peur au point de sentir son cœur le lâcher ? Pensées qu'on arrête plus.

Plusieurs minutes se perdent ainsi, à lutter contre une envie soudaine de rester, de se replier dans son petit univers, loin de tout. Rien n'arrive à ceux qui ne vivent rien.

Et c'est peut-être pour ça, qu'il ira. Poussé par l'envie de vivre pour de vrai.

Chambre 2045
Comment a-t-il pu ne serait-ce que songer à se désister ?
Oliver a un peu l'impression de voler lorsque Rox est à ses côtés. C'est étrange, la façon dont le cœur se soulève pour monter vers des hauteurs insoupçonnées. « T'as vu comment on est beaux ? » Pas immédiatement. Parce qu'Oliver, il ne se voit pas, ne voit que Rox, son reflet souriant. Sourire contagieux. Ce n'est qu'après quelques secondes qu'il force son regard à retrouver sa propre image. C'est toujours le même Oliver de l'autre côté du miroir, pourtant il a changé. Voilà qu'il se surprend à s'apprécier dans son costume. Peut-être a-t-il de quoi lui plaire, finalement. Un peu.

Une deuxième phrase et s'en est fini d'Oliver. Les joues se fardent d'un rouge qu'il se hâte de cacher en se détournant de Rox. L'heure est au départ. Ça tombe bien, car les mots manquent aux réponses qu'il aurait aimé donner, il n'y a qu'un sourire sur ses lèvres. Bien trop grand.

En parlant de beau. Ces quelques mots ne le quittent plus, sûrement se les répétera-t-il des jours et des nuits durant, jusqu'à les réduire à l'état de sons vides de sens.

Et puis, il a dit on. C'est un peu comme un nous.


Chambre 2013.
Oliver a vu.
Les tristes étoiles brillant à l’orée ses cils. L’appréhension qui tend et arrête les gestes. Il a vu, et il a su. L’angoisse est une langue qu’il parle couramment. Une main en trouve une autre. Serre. Et le cœur saute si fort, à l’idée que sa présence puisse lui être rassurante.

Ils ne sont pas obligés d’y aller. L’idée est toujours aussi tentante. S’isoler dans une chambre, abandonner les souvenirs trop lourds sur le palier, fermer la porte sur le monde à l’extérieur. Lui épargner la peur et les douleurs. Viens, on reste là. Viens, on commande une pizza et on fait comme si tout allait bien. Ces mots lui brûlent les lèvres, pourtant, Oliver les tait, il laisse le silence les envelopper, douceur d’un mutisme dépouillé de malaise. Un temps pour le laisser penser. Respirer. Se décider.

Légère pression de ses doigts contre sa paume, comme pour appuyer une promesse qu’il lui fait sans parler : celle de toujours rester à ses côtés. L'adolescent la sent si grande et si belle, sa main dans la sienne, à l’image de tous les sentiments que ce simple contact suffit à éveiller. Ô, cette main, il aimerait ne jamais devoir la lâcher. La porter jusqu’à son visage, à sa joue, à ses lèvres, la couvrir pour toujours d’affection. Il faut pourtant la libérer.
Les peurs ont été affrontées. Le portail a été franchi.
Un merci. Un de rien. Et c’est la fin.


Parc d’attraction.
Stram est là.
Oliver esquisse un sourire quand il la voit. Mais à peine sont-ils arrivés que, déjà, l’irritation perce dans sa voix. Les nuages de sa mauvaise humeur ont vite fait d’éclipser les petits soleils dans les prunelles d’Oliver.

Oh non.
L’adolescent reconnaît ce ton-là. L’aigreur se laisse deviner jusqu’à dans ses yeux. Oliver a beau les éviter, il les sent peser sur sa personne. Et le cœur battant, il s’écrase, se dérobe un peu plus à chaque réflexion qu’on ajoute. Les autres parlent, et comme souvent, lui ne peut qu’écouter. Les répliques sont échangées trop rapidement, rythme qui l’empêche de s’inviter. C’est qu’il a besoin de penser et préparer ses interventions. Impossible. Souffrance dans la poitrine et dans la tête quand il réalise que ses angoisses prennent vie sous ses yeux inquiets. S’il est si silencieux, Oliver, c’est que d’autres voix se sont ajouté à la conversation :

C’est ta faute. Regarde-les, ils vont se disputer. Regret. D’être venu. D’avoir entraîné Rox dans une situation chargé de malaise. D’avoir osé proposer un peu de nouveauté. De ne pas avoir songé au ressenti de Stram. D’exister ce soir, tout simplement. Tu as gâché la soirée de Stram avec tes idées. C’est ta faute.

Oliver, il lui faut passer à travers ce flot de pensées pour parvenir à exprimer ne serait-ce qu’une idée. « Je vois pas de quoi tu p-p-parles meuf, p-perso je me suis jamais senti aussi stylé. » qu’il articule enfin doucement, maigre intervention au milieu de cette tension. Inspirer, expirer. « Et puis dis toi que ton c-costume va grave p-p-pimenter la soirée. » Un sourire léger perce malgré lui, aussi nerveux qu’éphémère. Non, vraiment, quelle blague de merde. « P-pardon, c’était nul.  » Boum boum ça cogne de plus en plus fort. Pourquoi a-t-il dit ça ? Vite, faire oublier. Vite, changer de sujet. « Euh sinon…  » C’est au tour de son sac de tomber à ses pieds. Seulement lorsqu’il l’ouvre, ce n’est pas pour révéler des sucreries, mais un cadeau qu’il tend, hésitant. « Joyeux anniversaire ! J’espère que ça te p-plaira.  » Il ne dira pas que le doute l’a forcé à conserver le ticket de caisse. Qu’il n’a pas arrêté de douter alors qu’il finissait de faire disparaître le présent sous un papier orange impeccablement plié. Un sac à main en forme de cercueil. Il trouve ça lugubre, Oliver, mais peu importe les malaises de son cœur, si son amie apprécie.

Il espère.
Les mains se tordent devant lui tandis que l’esprit cherche à s’occuper ailleurs plutôt que sur l’ouverture de son cadeau. Sur le souvenirs des mots amers qu’on vient de s’échanger. C’est naturellement qu’il se tourne vers Rox en attendant : « Du coup, Rox, je te p-présente Stram. Je p-pense que tu rencontrera pas une plus grande fan d’Halloween q-qu’elle. » La bouche ose à nouveau lui sourire, mais les prunelles, elles, sautent d’un visage à l’autre, s’attardent sur celui de Stram et supplient : S’il vous plaît, ne vous disputez pas.

Suspense. Cruelles secondes suspendues dans l’air humide. Oliver en apnée. Et si elle n’aime pas ? Et si cette soirée continue aussi mal qu’elle a commencé ? Et si Stram lui en veut toute l’année ? Et…

Et puis, la libération.

Le câlin, Oliver ne l’a pas vu arriver. Il n’a pas pu s’y préparer. Dans un vieux réflexe, le corps se crispe, prêt à se défendre face à cette micro-agression de son espace personnel. Mais passé la surprise du contact, il se détend, va même jusqu’à apprécier ce moment. Timidement, ses mains se posent sur le dos de son amie. Déjà, elle recule. Étreinte brisée. « Oh merci, c’est magnifique ! » Enfin, Oliver respire en entier. « Je suis trop c-c-content que ça te plaise. » Il est grand, le sourire qui illumine son visage tandis qu’il récupère la gourde de Stram. Tout s’est bien passé. Finalement, la soirée va peut-être bien se terminer-

À ses côtés, Rox crache. Quoi ? De l’eau. « Mais c’est pas de l’eau ? » Quoi ? Le visage durci par la confusion, son regard saute d’un ami à l’autre. Stram, Rox. Rox, Stram. « Tu veux qu’on se saoule dans une fête foraine ? » La gourde. Oh. « Quoi ? » Oliver s’empresse de dévisser le bouchon de sa bouteille. L’odeur ne laisse aucun doute. « Sérieux ? T’as mis de l’alcool ? T’es ouf, c’est interdit ! » qu’il bafouille, la bouche soudain sèche de panique. Et s’ils se font prendre avec ce genre de boisson sur eux ? Et si la police les contrôle ? Et s’ils sont malades ? Et s’ils se font kidnapper, comme Rox l’a souligné ? Et si… Respire. Il ne se passera rien, il suffit de ne pas y toucher. La bouteille disparaît dans son sac à dos. Mais le poids de l’interdit pèse bien trop lourd dans son dos.

C’est sûr, tout le monde sait ce qu’il transporte. Oliver peut sentir les regards de la sécurité s’écraser sur lui alors qu’il passe l’entrée en compagnie de ses amis. C’est sûr, ils vont l’arrêter. Ils vont le fouiller. Et alors…

Mais rien.

Aucune interjection. Aucun problème. Les voilà à la fête foraine.

Respire. L’air est frais, pourtant, Oliver a chaud, les joues chauffées par l’angoisse d’être fouillées. Mais tout va bien. Aussi bizarre que cela puisse paraître, tout va bien. Cette réalisation lui arrache un léger sourire. Oui, finalement, ce sera peut-être vraiment une bonne soirée.

« Vous pensez qu’il y aura des jeux d'adresse avec des peluches renard en prix ? » Oliver acquiesce. « Obligé ! » Ses prunelles brunes passent rapidement l’allée en revue. « Regarde, il y a un stand de tir à la c-c-carabine là-b-bas, je suis sûr qu’ils doivent avoir des p-p-peluches. Venez, on va voir ! » D’un geste de la main, Oliver invite ses amis à s’approcher, soudainement grisé par une folle idée : et si c’était lui qui gagnait ce fameux prix ? Et si c’était lui qui offrait ce cadeau à son ami ?

Le tableau se dessine aussitôt : Rox souriant sous les bleus et roses des néons de la fête avec, entre les mains, la peluche qu’il lui a offerte. Un cadeau qu’il pourra poser sur son lit et qui le fera penser à lui. À ce moment particulier qu’ils auront partagé. Son cœur papillonne sous la douceur de ce joli scénario.

Et quand ses yeux se déposent sur une peluche de renard telle qu’il l’avait imaginée, Oliver se sent soudainement voler, enivré par la pensée de faire de son rêve une réalité. « Vas-y, j’essaie. » s’entend-il annoncer. En lui, quelque chose s’offusque et hurle. Une angoisse répond à sa décision : non mais, ça va pas ?

Trop tard. C’est dit. C’est fait.

Tout tremble un peu lorsqu’il s’avance vers le stand ; sa voix qui demande s’il peut jouer, son cœur qui se gorge d’anxiété, ses mains qui récupèrent le fusil. Ce dernier lui semble bien lourd. C’est que ses forces semblent l’abandonner, maintenant que son courage s’est écrasé.

Quelle idée.
Il ne sait pas tirer.
Qu’est-ce qu’il fait ?
Il ne sait pas viser.

Oubliée, la belle histoire qu’il s’était créée. C’est un tout autre film qui se joue désormais dans l’esprit d’Oliver : lui, un sourire un peu forcé, un peu crispé, face aux rires de ses amis. Parce qu’il a tiré à côté, évidemment, à quoi est-ce qu’il pensait ? Stram lance une blague cinglante de vérité et Rox le voit pour ce qu’il est : un raté. Et ses épaules s'alourdissent sous le poids de ce nouvel échec, un de plus dans sa foutue vie. Quel con.

Respire…
Il ne s’est encore rien passé.
Il n’a pas encore tiré.

Le souffle frissonnant, Oliver appuie sur la détente.

hors rp: