Au printemps, connaître Perséphone, c’est connaître la douceur. Enfant du soleil et des champs de blé, elle irradie le monde autour d’elle d’une aura de paix et de tendresse. Elle incarne le retour du beau temps, le renouveau. Son sourire, toujours sincère, ne la quitte que rarement. Insouciante, elle préfère se concentrer sur le positif et fait fi de ses soucis. Il n’y a rien qu’un verre d’ambroisie et un peu de raisin ne puisse guérir. Les chagrins des autres l’attendrissent, elle est heureuse de pouvoir les consoler. Généreuse, elle partagera toujours ce qu’elle a, qu’il y en ait à foison ou très peu.

En été, Perséphone se languit. Le calme des enfers commence à lui manquer. Le soleil qu’elle apprécie tant se fait lourd, l’écrase et la pousse à s’y prélasser, à profiter des choses de la vie. Des fruits juteux, des couronnes de fleurs avec les nymphes, des baignades sous la lune avec les naïades. Et Koré rit, qu’est ce qu’elle rit. Si son humeur change peu à peu, elle reste pourtant heureuse et sincère. Ses émotions se lisent sur son visage, elle n’a jamais appris à les cacher.

L’automne, c’est doux et amer à la fois. Elle retrouve Hadès, elle retrouve la chaleur de son amant, elle retrouve l’endroit qu’elle appelle désormais chez elle malgré le froid qui y règne. Elle se sent femme de nouveaux, adulte et puissante. Son rire réchauffe les murs du palais. Cependant, elle y reste discrète. Elle s’adapte, comprend vite ce qu’on attend d’elle et s’y plie. Calme et réservée, elle ne fait pas de vague, préfère se ranger à l’avis des autres plutôt que de se faire le sien et risquer de déclencher un conflit. Mais, si elle prend la parole, elle s’attend à ce qu’on l’écoute, qu’on lui donne raison.

L’hiver est long et trop court à la fois. Elle s’abandonne à son rôle, chérit le sentiment de puissance qu’il lui apporte. L’obscurité la durcit, la rend têtue. Elle sourit moins, mais toujours avec sincérité et chaleur. Son infinie douceur peut parfois avoir du mal à transparaître, mais est toujours présente. Et de nouveau, elle se languit. Si elle aime régner sur son monde et les gens, elle regrette l’oisiveté qu’elle décriait un peu plus tôt. Elle ne cesse de vouloir retrouver le soleil. Et pourtant, au moment de le faire, elle voudrait ne jamais avoir à partir.

Indécise, Perséphone voudrait ne jamais avoir à choisir. Choisir, c’est admettre qu’on ne peut pas tout avoir, admettre la perte de quelque chose que l’on voulait. Et Perséphone veut souvent plus qu’elle ne peut avoir, elle veut tout à la fois. Alors elle ne choisit pas, elle se laisse porter par les décisions des autres, et une fois de plus, le cycle recommence.

C’est sous un doux soleil de mars que Coré voit le jour. Sa naissance est à l’image de sa vie, douce, joyeuse, à l’écart du reste du monde. Elle est élevée en secret, loin de l’Olympe et des disputes des Dieux, cachée quelque part en Sicile. Et c’était sûrement pour le mieux. La vie pour la jeune fille est simple et douce. Sa mère, Déméter, l’aime plus que tout et la chérit. Les nymphes et naïades de son entourage sont toujours là pour la divertir, pour jouer avec elle ou lui raconter des histoires. Des contes sur la vie, sur l’amitié, sur les héros et les dieux, la guerre, mais aussi sur l’amour. Déchargée de toute responsabilité, elle grandit paisiblement, sans manquer de rien. Mais rien n’est éternel, et à force, même le plus joli des endroits perd de son intérêt.

Les années passent et se ressemblent toutes. La jeune fille, maintenant femme, devient lasse. Son enthousiasme se perd, elle se prend à rêver de changement, à vouloir voir le monde. Mais c’était un souhait que jamais elle n’ose exprimer, sachant pertinemment que sa mère ne la laisserait pas faire. Si Déméter a jalousement gardé sa fille auprès d’elle pendant toute ces années, ce n’est pas pour rien. La fille sait que la mère n’est pas prête de la laisser partir. La vie continue donc, sans changement, un éternel recommencement, saisons après saisons. Jusqu’au jour où le cycle se brise.

Lors d’une ballade en forêt, accompagnée des nymphes, Coré s’éloigne du groupe, attirée par les narcisses qui poussent à sa lisière. Et alors qu’elle se penche pour cueillir une fleur, le sol s’ouvre en deux. Tout se passe très vite. D’abord la surprise. Puis un sourire, pas le sien. Des mains sur une taille. Un cri qui s’échappe. Et puis le noir. Les yeux de la déesse mettent plusieurs secondes à s’habituer à l’obscurité. Et peut être pour la première fois de sa vie, la jeune femme ressens de la colère. Elle n’a pas demandé à se retrouver ici, avec un inconnu, dans un endroit que les rayons du soleil ne peuvent même pas atteindre. Elle est confuse, se demande ce qu’elle fait là.

Mais très vite, elle réalise que c’est aussi une opportunité. Une échappatoire. Quelque chose qui vient briser l’éternel recommencement qu’est sa vie. Elle passe neuf jours aux enfers. Neuf jours de curiosité, de découvertes, d’appréhensions. Si de prime abord, leur rencontre ne semblait pas idéale, Hadès est charmant, et a le don de la faire rire quand elle le laisse faire. Et soudainement, elle n’est plus captive mais invitée. Cependant, à la surface, Déméter déchaîne sa colère, décrétant que plus rien ne pousserait tant que sa fille ne serait pas de retour auprès d’elle. Zeus et les autres dieux furent mêlés à l’histoire et il fut entendu que Coré retourne à la surface. Il y avait juste un petit problème… Ou plutôt six.

Six grains de grenades, mangés par la jeune femme. Six petites choses qui remettent tout en question. Toute personne ayant mangé de la nourriture des enfers doit y rester. Le problème est donc réglé… Mais Déméter a trop de pouvoir pour être contrariée. Un pacte fut donc conclu, sur des termes établis par Zeus. La déesse passera six mois par an en enfer, un mois pour chaque grain du fruit. Et sans qu’elle ait son mot à dire, Coré n’est plus la jeune fille cachée en Sicile. Elle est devenue Perséphone. Ce qui, heureusement pour elle, n’est pas pour lui déplaire.

A vrai dire, elle se sent même très vite à sa place dans cette nouvelle vie. Elle accepte gracieusement son rôle et siège fièrement aux côtés de son mari, un pavot à la main. Si au début elle est quelque peu farouche et n’est pas sûre de ce qu’on attend d’elle, elle le comprend vite et commence à prendre des initiatives. Bientôt, elle est plus qu’à l’aise dans cet endroit, c’est devenu chez elle. Mais très vite, elle doit retourner sur terre, aux côtés de sa mère. La vie est différente maintenant, la jeune femme a plus d’assurance, et si elle évite toujours le conflit, elle ne se laisse plus faire comme elle aurait pu à une époque. Et de toute façon, sa mère est beaucoup moins effrayante maintenant qu’elle sait qu’elle partira bientôt quoi qu’il arrive.

Elle n’est pas sûre de ce qu’elle pense de cet arrangement. Présente dans un endroit, elle ne fait que se languir de l’autre. Elle rêve de la fraîcheur des enfers en été, et du soleil ardent de la Sicile en hiver. Et pourtant, éternellement indécise, elle ne ferait de choix entre les deux pour rien au monde. Elle préfère avoir tout, malgré les frustrations qu’un planning aussi strict que le sien engrange. Elle aime aussi savoir qu’on veut d’elle quelque part, peu importe la situation. Même l’Olympe veut d’elle maintenant.

Si sa mère avait réussi à la cacher pendant toutes ces années, tout cela avait volé en éclats avec l’arrivée d’Hadès dans sa vie. Désormais, elle est régulièrement conviée à divers événements, auxquels elle se rend avec joie. La déesse ne connaît pas intimement les autres membres du Panthéon, mais on ne refuse pas une invitation de la sorte. Et puis, lorsque ces fêtes ont lieu en été, au fond d’elle, elle espère toujours y voir son amant. C’est rare, toujours bref et souvent catastrophique, mais ça ne manque pas de la faire sourire, contrairement aux autres dieux.

Mais elle peut comprendre que son humour ne soit pas du goût de tout le monde. Elle ne s’en préoccupe pas vraiment, ce qui l’importe c’est qu’il la fasse rire elle. Évidemment qu’elle a vent de ce qui se passe et des tensions entre l’Olympe et l’Enfers, mais elle estime que ce ne sont pas ses affaires. Elle soutient Hadès quoi qu’il arrive, et quand on lui pose la question, elle fait mine de ne rien savoir. C’est plutôt pratique. Une fois de plus, elle préfère rester en dehors du conflit et observer ce qu’il se passe. Peut-être qu’elle prendra parti, si on le lui demande, mais en attendant, elle préfère s’abstenir et faire ce qui est attendu d’elle.

Et c’est ainsi que sa vie continue, dans un cycle continu et visiblement sans fin. Un jour, présente en Olympe pour une quelconque fête, elle est aux premières loges pour assister à l’attaque des titans, menée par son mari. Si elle est honnête avec elle-même, elle est un peu déçue de ces circonstances. Elle aurait préféré qu’il n’ai pas fait ça en été, aurait préféré ne pas être attaquée. Cependant, elle ne lui en tient pas rigueur pour autant. Il avait sûrement ses raisons, et elle a assez confiance en lui pour estimer qu’elle n’est pas visée par ses actions. Alors, elle se cache. Une fois de plus, elle ne choisit pas son camp. De toute façon, elle ne serait pas très utile au combat.

Hadès fut vaincu. D’un côté, la déesse est un peu soulagée de ne pas avoir assisté à un bain de sang, d’un autre, elle s'inquiète pour son mari. Pas physiquement, un dieu ne meurt pas si facilement, mais moralement… Elle redoute de devoir le ramasser à la petite cuillère. Une défaite pareille, c’est dur à encaisser. Alors, pendant les festivités en l’honneur du fils prodige de Zeus, elle s'éclipse. Discrètement. En été, elle n’est pas censée retourner en enfer, mais si personne ne la voit, personne ne peut le prouver. Et elle connaît désormais assez bien l’endroit pour savoir qu’elle passerait inaperçu.

Seul petit problème, une fois arrivée, son mari est introuvable. Il n’est pas chez eux et visiblement nul part aux Enfers. Elle se résigne à révéler sa personne à quelques personnes de choix, tire les vers du nez de Peine et Panique pour apprendre qu’après une altercation avec Hercules ou il s’est, selon leurs dires, battus vaillamment, Hadès a fini par tomber dans le Styx. La déesse réprimande froidement les deux démons, ils auraient dû l'aider au lieu de le laisser comme ça, mais elle ne s’attarde pas sur le sujet. Elle appelle Charon, le charge de retrouver son mari. Mais même lui n’y parvient pas.

Au début, elle ne s'inquiète pas. Elle se dit qu’il a dû partir, réussir à sortir de la rivière seul et s’est exilé pour bouder dans son coin. Après tout, l’enfer peut continuer de tourner sans lui quelques heures, il est sûrement juste parti prendre l’air. Et puis les heures passent. Un jour passe. Jusqu’au moment où les enfers ont besoin d’un dirigeant, et qu’Hadès est toujours introuvable. Les urgences s’accumulent, les personnes au courant du problème s’agitent et paniquent. Alors, Perséphone prend le relais. Brise le pacte qui l’oblige à passer les mois d’été sur terre. Officiellement, elle agit comme si tout était normal.

Ce n’est pas la première fois qu’elle remplace son mari. C’était rare, mais ça arrivait. Elle trouve des excuses. Aux Dieux, elle assure qu’il est parti se ressourcer à la campagne pour méditer sur ses actions. Aux gens présents en enfer, elle prétexte un voyage d’affaires en Olympe. Des choses à régler sur terre. Un week-end à la pêche ! Ses explications sont de moins en moins crédibles, mais ce n’est pas comme si quelqu’un allait lui faire une quelconque remarque. Elle peut se montrer aussi froide et dure que son mari. Elle a passé des années à l’observer, à apprendre, à participer, à négocier avec lui parfois même. Elle sait ce qu’il y a à faire et comment s’y prendre. Mais ce n’est pas ce qu’elle veut. Ce n’est pas une responsabilité qu’elle souhaite endosser seule toute sa vie.

Sa mère déchaîne sa colère, hurle à l’injustice. Perséphone lui promet que pour chaque jour passé chez elle, elle en passera deux sur terre l’année prochaine. Ça l'apaise quelque peu. Mais la nouvelle reine des Enfers s’inquiète. Il devrait être rentré depuis longtemps maintenant. Chaque jour qui passe augmente son inquiétude. Elle envoie des gens de confiance à sa recherche sur terre, quand elle peut, y va elle-même, fait fouiller chaque centimètre du Tartare, mais personne ne trouve sa trace ni le moindre signe de vie. Elle ne comprend pas. S’il était mort, elle le saurait. Alors ou est il ? La solitude la gagne et la fait douter. Il doit sûrement tout faire pour qu’on ne le retrouve pas.

Mais au fond d’elle, elle espérait qu’il chercherait à la trouver, à la contacter. Elle comprend qu’il ne veuille pas se montrer en public, mais ce n’était pas une raison pour se cacher d’elle. Elle doute qu’il parte sans avoir un moyen de savoir ce qui se passe dans son royaume, il devrait savoir qu’elle est là, qu’elle l’attend. Ou alors, c’est ce que c’est bien plus grave que ce qu’elle pensait. Elle garde la face, mais c’est pour la première fois de sa vie rongée par l’anxiété qu’elle se couche un soir, sans savoir qu’elle se réveillerait au même endroit que son mari.