C’était la première fois que Gilles mettait les pieds à Londres, ou même en Angleterre, mais de son point de vue cette petite échappée hors de Paris n’avait rien de réellement impressionnant. Finalement, c’était une ville humaine comme une autre, avec des maisons, des routes et beaucoup trop de monde partout. Cependant, il n’était pas venu jusque là pour faire du tourisme, car quitte à voyager, il aurait plutôt choisi une destination proche de son Océan natal. Non, il était là pour assister à un grand évènement écologique organisé par un groupe de militants pour la survie des espèces sous-marines qu’il suivait régulièrement sur les réseaux sociaux. Etendus sur trois jours, il consistait surtout en une série de conférences et d’ateliers sur le sujet, qui intéressaient particulièrement l’ancien poisson.

Il arriva donc ce matin là dans la capitale anglaise sous une belle averse et, sans perdre plus de temps, se mit en chemin vers le lieu où se déroulerait l’évènement. Il avait à la main son téléphone, ce gadget humain qu’il n’avait jamais vraiment aimé – comme tout ce qui était fait par les Hommes, en vérité – mais qui, il devait bien l’admettre, était bien pratique dans des situations comme celles-ci. Il ouvrit l’applications de GPS et saisit l’adresse de sa destination. Il avait vingt-cinq minutes de marche sous la pluie, mais cela ne le dérangeait pas vraiment. C’était bien plus ennuyant que de nager, bien sûr, mais il s’y était fait, et maintenant qu’il savait tenir correctement en équilibre sur ses deux nouvelles jambes, c’était devenu plutôt simple. Et bien utile pour participer aux manifestations contre la destruction des Océans.

Il marchait donc depuis une petite dizaine de minutes, son téléphone toujours à la main, jetant des regards à la carte de temps à autres, lorsqu’au détour d’une rue il percuta quelque chose qui, dans la surprise et le choc, lui fit lâcher son portable. Il tenta de le rattraper au vol à une main – son autre bras étant toujours inutile – mais ne fut pas assez rapide et le vit tomber à travers une bouche d’égout, impuissant. Le cri féminin qu’il entendit juste à côté lui fit soudainement réaliser que ce quelque chose qu’il avait percuté était une femme et il détourna son attention de son téléphone pour la porter sur elle. C’était une femme assez jeune qui, en le voyant, se confondit en excuse et lui promis de le récupérer. D’accord, ce serait bien, mais pour le moment, il ne voyait pas trop comment.

« Merde, j’avais besoin de ce machin. »

Mais même si le téléphone était toujours visible, la grille était trop fine pour y passer plus d’un doigt. C’était presqu’ironique, de voir cet objet inanimé être parvenu à faire ce qu’il avait toujours tenté de faire en vain pendant qu’il était encore un poisson d’aquarium. S’échapper par les égouts, voila bien quelque chose qu’il ne se verrait plus faire maintenant qu’il avait deux jambes. S’accroupissant, il saisit l’une des barres de la grille à pleine main et tira dessus, espérant pouvoir la soulever, mais rien n’y fit. Il releva la tête vers la jeune femme et suggéra sans trop y croire :

« On peut toujours essayer de la soulever à deux. Mais je préfère vous le dire tout de suite, je n’ai qu’un seul bras de valide. Je ne sais pas si on ira bien loin. »

Il montra d’un signe de tête son bras droit immobile, beaucoup plus faible et plus court que le gauche et toujours couverts de cicatrices, marques d’un énième plan foireux d’évasion du temps où il vivait encore chez ce foutu dentiste. Ça ne l’avait jamais empêché de continuer à se battre ni à se débrouiller seul dans sa vie quotidienne, mais il devait bien admettre que parfois, c’était bien ennuyeux, d’avoir un membre inutile dont il ne pouvait jamais se servir. Enfin, il n’allait certainement pas commencer à se plaindre maintenant ; pour le moment, il devait s’occuper de son téléphone perdu.