En me réveillant dans ma chambre d’hôtel ce matin, je dus prendre quelques secondes avant de me souvenir où j’étais. J’étais arrivée à Londres hier soir pour y passer le week-end et j’avais posé bagages dans cette chambre, la moins chère que j’avais pu trouver de la capitale anglaise. J’étais là pour changer un peu de paysage, mais pas que. Londres était la deuxième ville avec Paris où j’étais certaine que des personnages Disney pouvaient apparaître, et je pensais qu’avec un peu de chance, je pourrais en croiser quelques-uns. Qui sait, peut-être étaient-ils plus nombreux qu’en France.

Je me levai rapidement, m’habillai et descendis au rez-de-chaussée de l’hôtel pour me servir un café, qui se révéla être tellement immonde que je ne pus le finir. J’adressai un sourire poli au standardiste qui me regardait déposer ma tasse à moitié pleine parmi les autres usagées et sortis rapidement du bâtiment avant qu’il ne me dise quelque chose. Il ne faisait pas très beau aujourd’hui, et je n’avais pas encore de plans pour la journée. Je décidai de marcher un peu jusqu’à ce que je trouve quelque chose d’intéressant à faire. Mes pas me guidèrent près du Bristish Museum et je souris en contemplant les magnifiques colonnes de pierre qui en gardaient l’entrée. J’avais toujours aimé les musées, toujours chargés d’histoires fascinantes à découvrir et à raconter. Petite, j’ennuyais mes parents pour qu’ils m’y emmènent jusqu’à ce qu’ils cèdent, et je remplissais des pages et des pages de carnets sur tout ce que j’apprenais. Etonnamment, s’il avait toujours été dans ma liste des bâtiments à visiter, je n’avais encore jamais franchi l’entrée de ce grand musée londonnien qui me faisait face à présent. Et bien, il y avait une première fois à tout, et puisque je n’avais rien d’autre affaire, c’était l’occasion idéale d’y aller. Et puis, on ne savait jamais, je pourrais peut-être croiser des personnages curieux à l’intérieur. Les probabilités étaient bien faibles, mais ça valait le coup d’y croire un peu.

Je contemplai, admirative, les œuvres du musée, prenant le temps d’apprécier chacune d’elles et me renseignant, lorsque je le pouvais, sur la vie de l’artiste. C’était toujours intéressant d’avoir le contexte historique d’une oeuvre, pour comprendre ce qu’elle signifie réellement. C’en était presque inspirant, et alors que je déambulais dans les différentes salles du musée, je regrettais presque de ne pas avoir pris de carnet avec moi pour noter toutes les idées qui me venaient en tête pour un éventuel article que je pourrais rédiger plus tard. Au bout d’une petite heure de visite, et alors que j’étais concentrée sur un paragraphe expliquant la vie de Vincent Van Gogh, je fus tirée de ma lecture par des cris de surprise scandalisés autour de moi. Je relevai la tête, confuse, et en suivant les regards des visiteurs, je compris enfin l’objet de leurs exclamations outrées. Un homme était en train de taguer au spray rose vif des injures sur le tableau des Tournesols. Prise par l’étonnement, je fus incapable de bouger ni de faire quoi que ce soit jusqu’à ce qu’une femme s’approche de moi et me demande si ce qu’il faisait était normal.

Je la dévisageai un moment, surprise par sa question. Soit j’étais beaucoup moins douée en anglais que je ne le pensais et j’avais mal compris sa question, soit elle se fichait clairement de moi. Normal ? Qui pouvait bien se dire que la dégradation d’une œuvre de Van Gogh dans le British Museum était normale ? J’osai à peine en croire mes yeux. Je ne pensais pas que les peintures exposées ici soient réellement les originales, mais tout de même, c’était parfaitement ahurissant. Toujours un peu sous le choc, je répondis finalement dans un anglais un peu bégayant :

« Euh, ben, non, pas vraiment non. »

J’étais toujours étonnée de ce qui était en train de se passer, et surtout je ne comprenais pas que personne ne fasse rien pour empêcher le voyou dans son entreprise. Sans doute que personne n’osait, ce qui pouvait être compréhensible : s’il était capable de taguer une œuvre d’art du British Museum, qui savait ce qu’il pouvait faire d’autre. Mais je n’étais pas pour ma part du genre lâche et je n’avais certainement pas l’intention de le laisser continuer. Reprenant finalement mes sens, j’annonçai à la jeune femme d’une voix plus assurée cette fois :

« Il faut faire quelque chose pour l’arrêter. »

Sans même attendre de réponse, je m’approchais du vaurien et saisis sa bombe de peinture en lui ordonnant :

« Lâche ça tout de suite, ou j’appelle la sécurité. »

Je jetai un œil ensuite à la rouquine d’un air entendu, tentant de lui faire comprendre qu’il fallait qu’elle aille chercher quelqu’un. D’ailleurs, il vaudrait mieux qu’elle se dépêche, car je n’avais jamais pris de cours de bagarre et je n’avais pas plus envie que ça de me faire tabasser par un gamin délinquant.

Les yeux rivés sur le délinquant, trop occupée à me préparer à une attaque, je ne vis pas la rouquine s’activer derrière moi. J’imaginais simplement qu’elle était partie chercher un vigile dans une pièce adjacente. Un musée comme le British Museum devait bien avoir des gros bras de la sécurité un peu partout dans le bâtiment. Dans tous les cas, j’espérais fortement qu’elle se dépêchait, car je commençais à bien flipper. Je me suis déjà retrouvée dans des situations plus dangereuses que ça (quand on est une journaliste fouineuse qui aime aller tirer les vers du nez à des types pas nets, ça allait un peu avec le métier), mais si je pouvais éviter une bagarre en plein musée, ça m’arrangerait. Je n’ai jamais appris à me battre, si ce n’est quelques mouvements d’auto-défense, je ne sais pas si je tiendrais longtemps face à ce gars. Il n’avait pas l’air très musclé, mais je n’avais pas spécialement envie de vérifier cette information.

J’étais en train de tirer sur la bombe de peinture pour tenter de le faire lâcher prise lorsque j’entendis un coup d’éclat derrière moi, comme si l’on brisait une vitre. L’avantage, c’était que la surprise avait fait détourner les yeux de mon adversaire, l’inconvénient, c’était que je ne pus vraiment en profiter parce que je fis de même, comme une idiote. Je tournais la tête et vis la même rouquine que tout à l’heure près du bouton pour déclencher l’alarme incendie. Je n’eus pas le temps de lui demandais ce qu’elle fichait qu’elle avait déjà appuyé dessus. Une sonnerie assourdissante résonna dans tous le musée et j’entendis des cris de surprise et des gens se mettre à courir de toute part. Profitant de la cohue, je donnai un coup de pied bien placé au voyou, lui arracha le spray des mains et courut vers la fille, visiblement certaine de son coup.

« Non, c’est l’alarme incendie. Ça va juste les faire fuir ! »

J’essayais de toutes mes forces de ne pas donner l’impression de la prendre pour une idiote, mais c’était un peu difficile. Déjà avec sa question bizarre, tout à l’heure. Clairement, elle avait l’air un peu ailleurs.

Un mouvement de foule se déplaçait déjà dans les couloirs. Dans la pièce où nous étions, les gens se lançaient des regards intrigués, se demandant sans doute ce qu’ils devaient faire, car eux aussi avaient bien vu que l’alarme avait été déclenchée pour rien. Plus de trace du délinquant, il avait dû profiter de la panique pour s’éclipser. Je me demandais quel genre de sanction on pouvait risquer à lancer une fausse alarme incendie, mais je n’avais pas vraiment envie d’avoir la réponse comme ça. Réfléchissant à toute vitesse, je suggérais :

« On devrait suivre le mouvement. Je vous conseille de ne pas trop dire que c’est vous qui avez déclenché l’alarme, je ne crois pas que tout le monde serait très content après vous. »

Puisqu’apparemment il fallait lui expliquer les choses les plus basiques. Je quittai la salle et rejoignis la foule, essayant d’avoir l’air de celle qui ne comprenait pas du tout ce qui se passait et qui pensait réellement qu’il pouvait y avoir un incendie ici. Même si j’avais très envie d’exploser de rire. Quand même, c’était assez risible comme situation. Quelle étrange jeune femme, elle n’en ratait pas une. Avec un sourire, je me tournais vers elle et admis :

« Au moins, vous avez créé une bonne diversion ! Un peu osée, mais bon, ça m'a permis de lui confisquer sa bombe. »

D’ailleurs, il faudrait peut-être que je la cache, celle-ci. Se balader avec une bombe de peinture dans un musée, ce n’était peut-être pas la meilleure idée du siècle, surtout quand un tag avait déjà été commencé sur un Van Gogh. Tout en marchant rapidement vers la sortie, j’ouvris donc mon sac et fourrai le spray à l’intérieur, espérant que cela suffise à la faire disparaître, pourvu qu’ils n’aillent pas fouiller là.