La chute me semble interminable... Une chute où je revis mes pires cauchemars, mes pires peurs, mes pires angoisses... Suis-je en Enfer, subissant le Jugement Dernier de toutes les horreurs que j'ai pu accomplir au cours de ma vie...? La Mort ne me permet pas de profiter du repos éternel, me condamnant à subir les pires tortures mentales...
Je tombe, encore et encore, dans ce vide noir, immense, infini... Ma queue fouette l'air dans un sifflement strident, ma cape déchiquetée semble tomber en poussières, mes cheveux noirs d'habitude si impeccables volent au vent dans un désordre impossible à contrôler... Je ne suis plus maître de mes mouvements, ni même de mes pensées... Mes yeux mi-clos contemplent les ténèbres environnants d'un air vide... Je n'ai plus l'apparence si fière que je possédais autrefois... Je ne suis plus que l'ombre de moi-même... Je ferme mes paupières, dans l'espoir que ce cauchemar prenne fin...

Mais ce n'est que le début... Telles les épées de Damoclès me transperçant de toute part, des images, des visions assaillent mon esprit... Je ne peux m'empêcher de gémir de terreur... Car chacune d'entre elles représente les pires instants de mon existence... Tous ces évènements que j'ai refoulé durant toutes ces années... En l'espace de quelques secondes, ces images m'harcèlent de nouveau, m'achevant dans ma douleur sans fin...

Ce ne sont pas que des visions... Je vis ces visions, comme si, en même temps que je chutais sans fin, je revivais ces instants tragiques...... Je vois des ombres... Une femme rate, et un homme... Mon portrait craché...... Mon père et ma mère... Je me vois encore jeune rat, d'à peine 7 ans, dans la fleur de l'âge... Je suis en moi, je pleure... Et je sais parfaitement pourquoi... Mon moi adulte hurle en mon moi enfant... Je me casse presque la voix, appelant d'une voix désespérée mes parents tant aimés, les suppliant de ne pas écouter les docteurs... Les suppliant de ne pas m'abandonner dans une école... pour schizophrènes... Les suppliant de me voir comme un génie avancé, et non comme un fou comme l'avance les médecins. Je tend mes bras vers eux, m'époumonant et les appelant, tandis qu'ils se détournent, sans honte, me laissant seul dans cet asile...

Je me sens alors aspiré en arrière, me faisant ôter par la gravité de ma chute du corps de mon moi enfant. Mais je n'ai pas le temps de me remettre de mes émotions, atterissant dans mon moi de 18 ans. Dire qu'à cette époque, je devais débuter une nouvelle vie... Une nouvelle vie pleine de promesses, de chances... Au prix d'interminables efforts et d'un travail acharné, j'avais finalement réussi à quitter mon asile à l'âge de 10 ans, pour intégrer le collège de jeunes surdoués de Canterbury, dans l'espoir, un jour, de devenir professeur de mathématiques. Je sautai énormément de classes, étonnant mes professeurs et camarades grâce à mes aptitudes et, enfin, réalisai mon rêve, obtenant mon diplôme d'enseignement à seulement 18 ans... La vie semblait enfin me sourire, m'offrant même le bonheur d'avoir des amis... et la plus merveilleuse des petites amies....... Mais ce rêve utopique ne pouvait durer, lorsque l'on était... de ma race...

Les larmes coulent de nouveau le long de mes joues, tandis que j'observais l'amour de ma vie dans les bras d'un autre... D'une souris mâle... M'observant avec dégoût, me crachant à la figure les pires horreurs... Horreurs que lui avaient fait avaler toutes ces souris racistes, jugeant qu'un... rat ne pouvait goûter au bonheur... J'étais à genoux, la suppliant de ne pas m'abandonner, comme mes parents l'avaient fait... Je ne reçus qu'une vague de moqueries du nouveau couple...

... Moqueries que je ne cesserai jamais plus d'entendre durant les années à suivre... Plus le temps passait, plus le harcèlement, le racisme, la haine que l'on me faisait subir devenaient plus violents... Je me sentais encore aspiré en arrière, entrainé dans le corps de mon moi de l'année 1871... L'année qui allait définitivement changer ma vie... Je me trouvais sous la douche de mon appartement minable, nu, mes habits en lambeaux sur le sol de ma salle de bain... les bras ouverts, en sang... Je tentais, une nouvelle fois, de mettre fin à mes jours, en ayant assez de cette souffrance continuelle... Cette fois-ci était la fois de trop... Les monstres qui ne voulaient que ma destruction m'avaient fait subir la torture ultime, la plus atroce des humiliations publiques... Gémissant, pleurant, hurlant de désespoir, j'enlaçais de mes bras rouges mon corps souillé, manquant de vomir, malade à l'idée de repenser à ce que je venais de subir... Je voulais mourir, je voulais m'échapper de cet enfer, de cette vie que les rats de mon espèce étaient forcément condamnés à vivre... Et je voulais qu'il paye tous... Non seulement ceux qui m'avaient tant pourri la vie, mais également la société entière... Cette société, cette soit-disant justice qui ne faisaient jamais rien pour les êtres comme moi... Je voulais ma vengeance... Vengeance que j'aurais obtenu une fois qu'ils m'auraient rejoint en Enfer...

... La suite devenait très flou... De nouveau aspiré en arrière, je me retrouvais dissimulé au fond d'un wagon de train de marchandises, mes bras ouverts recouverts de bandages, habillé de ma seule tenue de travail intacte... du moins, presque intacte... Elle était... en sang... et sentait le brûlé... Je ne l'appris que quelques jours plus tard, une fois arrivé à Londres, mais ce trou noir dans ma mémoire était dû à l'une des deux crises majeures que je fis au cours de ma vie... Première crise au cours duquelle j'avais incendié l'ancienne université où j'avais enseigné, après avoir, au préalable, enfermé tous mes collègues, élèves, et monstres à l'intérieur... A partir de cet instant-là, je savais que je ne pourrai plus jamais revenir en arrière... A partir de cet instant-là, je devins l'ennemi public numéro un... A partir de cet instant-là, mon coeur se fit aussi noir que l'encre, me laissant devenir le dangereux Professeur Ratigan... Le Napoléon du Crime...

Tandis que mes visions s'arrêtaient enfin et que ma chute continuait inlassablement, je repensai avec nostalgie à quel point personne n'avait jamais essayé de comprendre mes origines, et les raisons pour laquelle j'étais devenu criminel. Et surtout pas cet imbécile de Basil de Baker Street, qui avait été chargé de m'arrêter le plus vite possible après mon crime à l'université de Canterbury. Quel duo épique nous formions à partir de ce jour, quelle paire de némésis légendaires... Malgré que je m'étais juré de tuer de mes propres mains celui qui, aveuglément, défendait cette justice qui m'avait délaissé auparavant, j'admirais son intelligence.

... Mais je n'eus plus aucun respect pour lui le jour du jubilée de diamant de la Reine Mousetoria... Quelle apothéose grandiose cela devait être... Mon plan était infaillible, tout avait été calculé à la seconde près ! Comment ce petit avorton avait, une nouvelle fois, réussi à déjouer mon plan diabolique !? Ce plan qui devait me permettre de devenir Roi du Mousedom pour imposer mes nouvelles règles... Pour, malgré que personne ne pouvait le comprendre, un royaume plus juste, qui saurait faire payer à ces sales racistes de souris le mal qu'elles avaient causé... Cela aurait du marcher ! Après tout, parmi tous ces imbéciles, qui saurait différencier la véritable souveraine d'une copie automate crée par le célèbre et doué créateur de jouets, Hiram Flaversham ? Il m'avait suffi d'utiliser sa fille, Olvia, en argument pour le convaincre de rejoindre mon équipe. Diable, pourquoi cet idiot de Fidget s'était-il trouvé obligé de tout gâcher en perdant la liste de fournitures que je lui avais confié, rajoutant ainsi dans la partie cet idiot de Basil !? Et dire, dire que j'aurais pu enfin l'écraser dans le creux de ma main, ayant réussi à utiliser ce désavantage pour mieux le piéger. Mais le destin, aussi odieux était-il, avait décidé de m'empêcher de réaliser ce grand projet... Encore une fois, mon ennemi juré gâcha tout... S'ensuivit alors une course poursuite en dirigeable à travers le ciel de Londres... Puis un crash dans le symbole de la ville...... Et... Je... Je...

Me faisant rouvrir les yeux d'un air terrifié, les cloches de Big Ben retentirent fortement dans mes oreilles, tandis que ma chute s'accélérait, et que les ténèbres autour de moi disparaissaient d'un coup... pour laisser transparaître Londres dans le brouillard...... et la Tamise en dessous de moi...

Non... Non... Pas encore... Tout, mais pas ça... Pas cette chute, pas encore... Tandis que les eaux rapides du fleuve se rapprochaient de plus en plus, je poussai un hurlement d'agonie et de peur qui se répandit à travers toute la capitale. Je tentai désespérément de m'accrocher à la tour de Big Ben, mais ne parvenait qu'à me blesser, à m'arracher les griffes, à m'ouvrir la peau... Je ne pouvais rien faire... Je chutai... Je chutai... Je chutai... La Tamise se rapprochait inexorablement... 50 mètres... 20 mètres... 10 mètres...

"NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!"

SBAF.

Hurlant et écarquillant les yeux d'un air terrifié, je fis un bond de mon lit, suffoquant et m'aggrippant à mes draps en tremblant.

... Encore ce cauchemar... Toujours le même, chaque nuit, depuis deux ans... Deux ans depuis ma chute supposée mortelle... Deux ans que je vivais quasi comme un clochard, obligé de me dissimuler de la population, le temps de me rétablir de mes blessures... et de mon traumatisme...

Passant la main sur mon visage, je refoulai des larmes, essayant de chercher un peu de chaleur dans mes couvertures déchirées, observant d'un air las l'appartement médiocre que j'occupais... Passer d'une vie luxuriante... à ça... Soupirant, je contemplai mon reflet dans le miroir brisé à ma droite... La fatigue avait énormément creusé mes traits, me faisant prendre plusieurs années... J'avais perdu beaucoup de masse musculaire... J'étais réellement l'ombre de moi-même...

... Et pendant ce temps, toutes et tous me croyaient morts... Même Basil, qui n'avait pas pris la peine de me rechercher... Mais je ne pouvais qu'en tirer avantage... Il me suffisait d'attendre le bon instant pour réapparaitre, et pour réaffirmer la peur qui avait partiellement disparu... Patient, il me fallait être patient... Il me faudrait encore du temps pour me rétablir complètement (Malgré que je garderai des séquelles physiques de ma chute)... Surtout en voyant tous ces cauchemars qui ne cessaient de me hanter... Mais malgré ma faiblesse, ma volonté en restait grande... Malgré cette vie qui semblait impossible d'améliorer, je parviendrai à remonter... Le Professeur Ratigan n'avait pas dit son dernier mot...

Soupirant, je me rallongeai dans mon lit, m'enveloppant dans mes draps, espérant retrouver rapidement un sommeil sans rêve...

... A cet instant-là, je n'aurais jamais pensé que je me réveillerais dans un autre lieu... Et dans un autre corps...