Broadway. Ce mot sonnait toujours aussi bien à mes oreilles, et je savais que c'était parti pour durer. En revoyant ce majestueux théâtre, je savais que j'avais fait le bon choix, j'y étais à ma place. Et ce sentiment merveilleux était fondé, puisque suite à l'audition que j'avais passée quelques mois plus tôt, j'avais droit à un rappel. Pour une première audition et avec une expérience dans le monde des humains si limitée, cela relevait de l'exploit. Mais j'avais "ce truc en plus" comme ils disent. En tout cas, c'est ce que l'on m'avait annoncé au téléphone. J'étais aux anges, mon talent allait enfin être reconnu, fini pour moi les bars des bas-fonds de Londres et les ivrognes au regard lubrique, j'allais enfin pouvoir exprimer pleinement mon talent, et pas simplement par des jeux de jambes et des paroles grivoises ! Je m'y voyais déjà, je n'avais qu'une hâte, démarrer ma nouvelle vie. Plus le temps passait et plus mon impression que cette transformation en humain, cette arrivée dans ce nouveau monde, c'était un cadeau du destin. Un merveilleux cadeau, et une chance que je ne comptais certainement pas laisser filer. Même si mes amis du Semi Londres me manquaient, j'étais plus heureuse que jamais, et mon rêve ne faisait que commencer.
Partagée entre le petit nuage sur lequel je rêvais de me laisser flotter et mon pragmatisme, je poussais la porte de l'entrée des artistes et me présentai devant le jury. Je laissais échapper un soupir. Non pas d'appréhension comme on aurait pu le penser, mais d'aise. C'était ça mon monde, ces projecteurs, ces visages concentrés, ces sièges moelleux de velours rouge, et surtout cet immense piano. Je ne pouvais rêver mieux. Comme le veut l'usage, je me présentai et annonçait le titre que je comptais chanter. Bien que légèrement stressée, j'étais décider à tirer partie au maximum de ce rappel, d'utiliser mon anxiété comme un moteur pour donner le meilleur de moi-même, pour chanter comme jamais je ne l'avais fait. Et je crois que ça avait marché. Dès que les premières notes avaient retenti, mes yeux s'étaient fermés d'eux-même et je m'étais tout simplement laissée porter. Je vivais avec une intensité incroyable chaque vibration chaque émotion, chaque seconde. J'avais le sentiment d'avoir montré ce dont j'étais capable, et j'en tirais une certaine fierté personnelle. Et je savourai encore ce moment installée dans la salle d'attente pendant que le jury délibérait.
La raison commençait à revenir vers moi, mais je n'en étais pas plus inquiète. Même si j'avais échoué - car il reste toujours cette possibilité - j'aurais au moins eu la satisfaction d'avoir fait de mon mieux. Et c'était déjà beaucoup. J'observais en silence les autres artistes dans la salle. J'en avais entendu certains, ils étaient très doués, sans l'ombre d'un doute, et la concurrence était rude. J'avais été bonne, mais était-ce réellement suffisant ? Et surtout, était-ce ce que le jury recherchait ? A voir les regards que certains me lançaient, j'avais mes chances, du moins je continuais de l'espérer. Je retins un instant mon souffle en voyant la poignée de la porte bouger, et j'écoutai, tous sens en alerte, le discours du metteur en scène. J'avais le rôle ! Certes, ce n'était pas le premier rôle - puisque le premier rôle était une fillette de 12 ans, mais il s'agissait d'un rôle important, et je l'avais décroché !
J'avais l'impression que des ailes poussaient dans mon dos, que d'un instant à l'autre j'allais m'envoler tant le bonheur était grand. Bien sûr, ce rôle ne ferait pas tout, il faudrait travailler dur et dépasser mes limites pour mériter ma place, et surtout il fallait que la comédie marche, mais avec de la chance, ma carrière venait de prendre un nouveau tournant. Sans attendre, j'appelais mon agent, pour lui annoncer la bonne nouvelle. Et c'est là qu'il me soumit une idée qui ne m'avait jamais traversé l'esprit... Mon style.
J'avais toujours été élégante, mais il semblerait que le charme victorien ne passait pas inaperçu et qu'en tant qu'artiste fraîchement débarquée à New York, j'étais encore dans une position fragile, et le moindre détail comptait. Autant dire donc que mon image de marque était particulièrement importante, et que changer ma garde-robe devenait une priorité. Surtout que je ne connaissais rien de ce New York moderne. J'allais avoir besoin d'aide, et vite. J'allais en parler à Eddie - c'est le nom de mon agent - quand je fus interrompue, on venait de m’interpeller je crois. Je levais les yeux vers l'inconnue, un peu intriguée. Il s'agissait d'une grande brune très élégante et à l'air un peu sévère. Ce qui me frappa tout de suite, c'est le mètre ruban qu'elle portait autour du cou. Travaillait-elle dans la mode ? Oh je vous en prie faites que ce soit ça, faites que ma bonne étoile brille encore quelques heures !