Il serait aisé de qualifier Antonio de vile personne. Et celui qu'on surnomme "Mister Big" l'est, il n'y a pas de doutes là-dessus. Mais le mafieux préfère entretenir des relations amicales et saines avec ses partenaires d'affaire, estimant qu'il a plus à gagner à être respecté qu'à être craint.

Il est capable d'un puissant amour et d'une profonde loyauté pour les gens qui lui importent et plus particulièrement pour sa fille, qu'il considère comme le soleil de son existence. Mais ce même amour peut aisément se transformer en haine, si Antonio vient à être trahi...

L'homme peut tolérer beaucoup de choses. Il peut même accepter qu'on le double, si son adversaire a fait preuve de suffisamment d'ingéniosité. Ce n'est pour lui qu'un challenge à relever, une épreuve qui donne un peu de piment à son existence. Mais qu'on vienne à lui mentir et, surtout, qu'on lui manque de respect... Mister Big ne peut tout simplement pas le supporter.

C'est là que l'on comprend pourquoi tant de personnes ont peur de lui, à Zootopia. Dans ce genre de situations, Antonio n'a aucun scrupule. Il tuera sans remords et sans hésitation, "refroidissant" ses ennemis au sens propre comme au sens figuré. Une telle décision n'induira aucune culpabilité en lui, car il n'offre pas une grande valeur à la vie en général. Lui-même a déjà accepté la possibilité de sa mort, proche ou non, voilà des années auparavant.

Antonio a le sens du spectacle et de la mise en scène. Conscient du poids des images et des mots sur les gens, il n'hésite pas à jouer un rôle, à accentuer certains de ses traits pour être mémorable. C'est aussi ce qui l'a motivé à se faire passer pour plus âgé qu'il ne l'est, afin d'attirer plus de respect et d'être sous-estimé physiquement par ceux qui tenteraient de s'en prendre à lui. Qui craindrait donc une vieille musaraigne qui ne quitte pas son fauteuil, n'est-ce pas ?

Elegant et raffiné, il fuit la grossièreté comme la peste et ne s'avisera jamais de sortir autrement qu'en beau costume. La passion qu'il entretient pour l'art de la confection de vêtements est sans égale et, malgré sa richesse, il a toujours taillé lui-même ses propres costumes. Il apprécie d'ailleurs d'être de retour dans une boutique, ce qui lui rappelle avec nostalgie ses plus jeunes années.

Bien qu'appréciant sa famille et le pouvoir qu'il a à sa disposition, Mister Big avait doucement sombré dans l'ennui d'une existence sans véritable enjeu. Il était presque déjà au sommet, à 43 ans à peine. Qu'est-ce que la vie pouvait lui réserver après cela ? L'opportunité de tout recommencer, de gravir à nouveau les échelons un à un, le ravit tout autant qu'elle l'excite.

Mister Big n'est pas homme à supporter trop longuement la routine. Sans challenge, sans stimulation, la vie perd de sa saveur pour le rongeur et il se laisse emporter par la monotonie, perdant goût à l'existence. Une vie risquée et sans cesse remise en question, voilà ce qui le fait avancer !

Antonio Rodente ne fuit jamais une belle épreuve, aussi difficile et risquée soit-elle. C'est ce qui lui avait permis d'arriver là où il en était, après tout...

Antonio se rappelait encore de ces journées passées dans l'atelier de son père. Il lui suffisait de fermer les yeux et il était à nouveau plongé dans un univers de tissu, de ciseaux et de patrons. Un univers familier et réconfortant, qu'il aimait à retrouver de temps à autre, que ce soit dans ses rêves ou dans la réalité, au contact du tissu qu'il affectionnait tant.

Papa, mama, grand-mama, grand-papa... Une belle famille qu'Antonio a pleuré et enterré au fil des années, sa grand-mama connaissant son funeste destin après tous les autres. Une dernière demeure souillée par les mensonges de Nick Wilde... Mais nous n'en sommes pas encore à cette partie de l'histoire.

Antonio était alors une petite musaraigne curieuse, zélée et rêvant plus que tout de reprendre le fructueux commerce de son père. Il admirait les personnes riches qui venaient enquérir les services de son papa et, de temps à autre, se rêvait à porter des costumes aussi beaux que les leurs, brillants, soyeux, parfaitement ajustés. Antonio n'attendait qu'une chose : pouvoir, à son tour, tailler pour eux.

Son père lui avait toujours donné le même conseil, en vue du jour où il reprendrait la boutique : jouer la sourde oreille. D'après lui, les clients de sa boutique avaient une large tendance à oublier qu'il n'était pas qu'une paire de mains destinée à les habiller. Leur langue se déliait et ce qu'ils pouvaient dire était... dangereux. Antonio devait prétendre ne rien entendre et s'efforcer de tout oublier. Cela valait mieux pour lui...

Mais là où son papa voyait un risque, Antonio flairait une opportunité. Une excitation. Une poussée d'adrénaline. En l'attente de ce grand moment, il avait fait travailler sa mémoire et avait appris à jouer les gentils idiots, notamment grâce à des cours de théâtre qu'il avait suivi avec assiduité. Jusqu'à ce que le jour vienne, marqué d'un parfum funeste...

Ses parents étaient morts, dans des circonstances étranges. On parlait d'un décès accidentel, mais les câbles avaient été sectionnés. Quelqu'un avait voulu leur mort et payait cher pour le dissimuler. Cet événement n'avait fait que renforcer la détermination d'Antonio, ajoutant une nouvelle motivation : trouver le meurtrier qui lui avait arraché sa famille et lui donner une mort aussi lente que douloureuse.

A la tête de sa boutique, jeune mais travailleur, Antonio avait méticuleusement développé son commerce et laissé habilement traîner ses oreilles. Il avait su gagner les faveurs d'un mafieux particulièrement haut placé, en lui révélant les détails compromettants qu'un sous-fifre un peu trop bavard avait pu laisser échapper.

Le mafieux avait cherché à l'intimider, mais Antonio était resté droit et digne, offrant au rongeur de devenir ses yeux et ses oreilles. Son audace avait payé et Antonio avait dès lors fait son entrée dans le monde illégal de la mafia de Little Rodentia. Il avait rejoint une famille aussi fermée que dangereuse, d'abord en tant que sous-fifre, puis en tant que véritable membre, lorsqu'il était tombé éperdument amoureux de la fille de ce fameux mafieux...

Antonio n'avait aimé qu'une fois dans sa vie. Un acteur qui faisait partie du cours de théâtre auquel il était inscrit et avec qui sa relation n'avait guère duré, craignant que leur amour ne le coupe de sa famille, attirant la désapprobation de grandmama... Il n'avait ensuite ouvert son coeur à personne, mais il avait su, à l'instant même où il avait rencontré cette jeune musaraigne, qu'il était prêt à nouveau à accueillir quelqu'un en son âme et son être.

Antonio avait dû prouver sa fidélité et son amour, face à un père qui n'hésiterait pas une seule seconde à l'écraser s'il venait à blesser sa fille, physiquement ou moralement. Et il avait réussi. Peu de temps après, Antonio se mariait avec sa belle Anita. Et ils mirent au monde leur enfant, Frida, qu'il surnomma affectueusement "Fru Fru".

Frida, Anita et Grandmama étaient son univers, ce qu'il avait de plus beau et de plus précieux dans son existence. Antonio était pourtant voué à perdre ce qui lui était cher. Terrassée par une maladie, Anita succomba alors que Frida n'avait que cinq ans. Son père lui succéda peu de temps après, abattu par le chagrin, et ce fut un Antonio endeuillé qui prit les rênes de la mafia.

Il se jeta à corps perdu dans son business et dans l'éducation de sa fille pour oublier le chagrin, épaulé par une grandmama qu'il craignait de perdre bien trop rapidement. Etait-il voué à être seul, à les voir mourir tous un par un ? Antonio se refusait de penser à cela. Il dissimula ses angoisses et ses craintes derrière un masque sans peur, se forgea une personnalité de fer et un personnage à respecter.

Il répandit de nombreuses rumeurs sur son propre compte, tirant les ficelles et jouant des peurs des gens. Il s'entoura des meilleurs, dont Koslov, l'ours polaire qui lui reste encore fidèle aujourd'hui après toutes ces années. Son coeur se refroidit, mais il gardait toujours une part de chaleur pour sa fille adorée et sa grandmama.

Antonio n'avait plus de larmes à verser quand sa grandmama fut à son tour saisie par la main glaciale de la mort. Il l'aimait, profondément, et songeait souvent à elle. Mais il n'avait plus le coeur à pleurer qui que ce soit . Il était devenu dur. Impitoyable. Parfois cruel, même.

Le deuil ne fut guère facilité par l'affront terrible que lui fit subir Nick Wilde. Nicky, comme le surnommait affectueusement sa grandmama. Il avait apprécié l'ingéniosité du renard, avait fait appel à ses services et l'avait payé grassement. Il l'avait même invité à manger les cannoli de sa grandmama et à partager le pain avec lui !

Mais Nick l'avait trahi et sa grandmama, sa chère grandmama, reposait dans un tapis fait de poils de fesses de putois. Des fesses de putois ! Nick avait eu bien de la chance que Mister Big ne découvre son infamie que le jour de l'anniversaire de sa précieuse Fru Fru. Antonio ne refroidissait personne à cette occasion, il l'avait promis à sa fille. Il avait éloigné le renard, lui faisant jurer de ne jamais revenir.

Et pourtant, il l'avait fait. Et, une seconde fois, il avait été épargné. Coup du destin : la lapine qui l'accompagnait avait sauvé la vie de sa précieuse Frida. Il avait invité avec enthousiasme la dénommée Judy et laissé de mauvaise grâce le renard venir avec elle pour le plus beau jour de sa vie : le mariage de sa fille.

Il repensait encore en souriant à la détermination de son mari. Il l'avait menacé, intimidé, mais malgré sa peur apparente, la musaraigne n'avait pas reculée. "Bienvenue dans la famille", lui avait-il finalement dit après lui avoir fait craindre le pire.

Antonio était au sommet et n'attendait qu'une chose : jouer les grand-père pour sa petite-fille. A 43 ans, il était tout de même triste que cela soit sa seule perspective... Mister Big ne cherchait pas l'amour et s'asseyait déjà sur une puissance et un pouvoir remarquables. Il ne pouvait guère souhaiter plus et ce manque d'excitement avait fait naître un ennui qui s'aggravait de jour en jour.

Etait-ce là ce que sa vie était dévouée à devenir ? Une routine quotidienne, dénuée de tout challenge, de toute pointe d'adrénaline ? Où il guetterait avec une impatience presque malsaine l'arrivée de sa fille et de sa petite-fille pour bouleverser un peu son petit train-train ? Antonio n'appréciait guère cette idée... Arrivé trop tôt au sommet, il se languissait de cette existence qui n'avait plus rien à lui offrir.

Jusqu'à ce que le destin ne frappe à sa porte. Et ne le téléporte dans un autre monde.



Antonio s'était habitué à vivre petit dans un monde gigantesque dès lors qu'il quittait les quartiers de Little Rodentia. Mais lorsqu'il s'était réveillé, ce matin-là, rien n'était plus pareil. Il était grand. Si grand. Ses poils, son museau, ses pattes... Tout avait disparu, laissant place à un corps humanoïde. Et un visage de bébé, si jeune et délicat...

Il ne l'avait pas immédiatement compris, mais Antonio avait quitté son monde. Et semblait voué à ne plus jamais y retourner. L'ancienne musaraigne ne pouvait songer qu'à une seule chose : retrouver sa fille. Retrouver Fru Fru... Ses demandes désespérées et passablement folles (Mister Big ne cessant de répéter qu'il devait retrouver son enfant, la plus belle des musaraignes, au museau aussi frétillant que ses poils étaient doux) finirent par attirer l'attention d'une personne qui traversait la même situation que lui et lui explicita les choses.

Comprenant la situation, Antonio savait qu'il ne pouvait rien faire de mieux que de s'adapter et espérer que Frida soit saine et sauve dans leur monde et qu'il puisse un jour la retrouver là-bas. Mais en attendant ce moment béni, il avait une vie à reconstruire. Une nouvelle identité en poche, aidé par d'autres personnages Disney à qui il avait pris la sage décision de dissimuler son identité complète et réelle, Antonio avait alors entamé sa nouvelle existence.

Tout était à refaire. Et la perspective ne lui déplaisait guère. Sa fougue d'autrefois était toujours là. Il était prêt à se refaire sa place dans cet univers illégal qui était le sien. Après tout, les choses n'étaient pas si différentes dans ce monde... Ici aussi, les gens riches tendaient à oublier que les petites mains qui travaillaient pour eux avaient des oreilles... et une cervelle.

Au fil des mois, Antonio avait trouvé sa cible, parfait son plan. Sans hésitation, il s'était jeté devant la balle qui menaçait de se planter dans le client aux richesses douteuses qui était un habitué. Une balle qui provenait d'un assassin qu'il avait lui-même engagé, en l'échange d'une somme juteuse...

Le mafieux ayant contracté une dette de vie pour son tailleur, il offrit à Antonio la possibilité d'être à son service, continuant à prendre soin de ses costumes et à en tailler de nouveaux, tout en accomplissant des tâches un peu plus... sordides. Antonio avait gagné sa confiance et l'avait entretenu pendant les deux années qu'il avait passé dans ce monde. Lentement, il gravissait les échelons, l'excitation face au risque du quotidien retrouvée.

Mais toujours, toujours, ses pensées revenaient à sa fille. Frida. Fru Fru, en l'honneur de qui il avait baptisé sa boutique... Tout ce qu'il pouvait, c'était souhaiter son bonheur. Sa fille, qu'il aimait tant... Pourvu qu'il ne lui arrive rien...