Adorable - Intelligent - Loyal - Chanceux - Responsable - Franc - Juste - Tenace - Craintif - Bonne poire - Pantouflard - Moralisateur - Sarcastique

Me décrire? Si vous y tenez…je ne suis pas quelqu’un qui aime se mettre en avant normalement. Ce n’est pas que je n’aime pas les compliments, j’ai mon petit orgueil quand même, mais je préfère vivre tranquillement dans mon coin plutôt que sous le feu des projecteurs.

Je ne suis pas connu pour ma soif d’aventures, plutôt le contraire: je n’aspire qu’à une vie calme avec un petit nid confortable où passer mes journées. On pourrait penser que c’est une aspiration très modeste, voir carrément facile, mais croyez-moi, le calme ne fait pas vraiment partie de mon quotidien. J’aimerai pourtant, mais j’ai eu le chic de m’entourer par des aimants à problèmes, un comble pour un soi-disant chanceux. Enfin, j’ai une bonne étoile quelque part, c’est certain (je ne serai pas ici en train de vous raconter tout cela autrement), mais elle fonctionne de manière bizarre. Un peu comme si elle avait une volonté propre, elle ne se manifeste qu’en cas de vraie galère, autrement elle n’a aucun mal à faire la sourde oreille lors de mes péripéties.

Malgré cette chance capricieuse et mon absence de témérité (certains m’appellent craintif, moi je dis que c’est de la prudence…un peu extrême), j’ai toujours affronter ce que la vie m’a mis sur la route. A tort ou à raison, je n’ai jamais jeté l’éponge, surtout lorsque ce sont mes proches qui se retrouvent en difficulté. Je n’en ai pas des centaines, mais une fois que quelqu’un m’a prouvé sa valeur, je suis pire que ce truc abominable que les humains mâchouillent sans arrêt. Comment cela s’appelle déjà? Ah oui, du chewing-gum. Petit aparté, comment on peut vouloir se mettre ce morceau de caoutchouc dans la bouche? Des fois je me demande sincèrement comment cette espèce parvient à survivre, ils ont des comportements très étranges. Bref, mes amis savent que je serai toujours là, même quand ils ne veulent plus de moi, pour les soutenir et apporter ma modeste contribution.

Car oui, c’est extrêmement facile de me faire embarquer dans des projets, peu importe leur pourcentage de réussite. Je suis (enfin, j’étais) un petit criquet, comment voulez-vous vous imposer quand littéralement TOUT le monde peut vous écraser? Je suis un suiveur, pas un leader, et cela n’a pas changé malgré mon changement de corps. Je ne vais pas non plus suivre aveuglement, j’ai des valeurs, mais toujours est-il que je me retrouve un peu trop souvent embarqué dans les plans douteux de certains. Cela ne m’empêche pas de râler, de faire la morale et de lancer deux-trois commentaires pas très sympathiques mais je n’impressionne même pas mon reflet, donc on passe outre.

Que dire de plus? Je ne m’énerve pas facilement, du moins je ne le crois pas, mais quand on me fait sortir de mes gonds, je deviens une petite teigne crieuse qui va vous rendre probablement sourd. Je ne recours jamais à la violence cependant, je n’aime pas recourir aux coups pour résoudre un problème, je suis un grand adepte de la diplomatie. Ou de la fuite quand on ne peut pas raisonner l’adversaire, je cours très vite.

Depuis mon…transfert, on va dire cela comme ça, j’ai développé quelques goûts humains (ils sont bizarres, mais ils ont des bonnes idées parfois). Au début, c’était plus pour m’intégrer dans cette nouvelle réalité qu’était la mienne, puis ma curiosité s’est réveillé et…c’était trop tard, me voilà donc addict à certaines choses: les boissons chaudes (pas de discrimination, j’aime tout), la peinture (c’est fou ce que ça détend, même si mes « oeuvres » sont loin de valoir quelque chose), les bains (un monde nouveau c’est ouvert à moi lorsque j’ai découvert tous les produits liés à cette activité) et les livres (je suis un livrovore, je lis tout ce qui me passe sous la main). Pour ce dernier passe-temps, je précise que ce n’est pas uniquement de l’amusement mais également de la recherche: je ne désespère pas de trouver quelque chose (n’importe quoi) qui me permettrait de retourner chez moi. Et plus mes lectures progressent, plus je me dis que c’est peine perdue.

C’est l’histoire d’un criquet lambda qui menait une vie tout à fait respectable pour un être de son espèce. Il était parti pour mener une existence absolument ordinaire, sans aucun impact sur le monde qui l’entourait, jusqu’à ce que sa route croise celle d’une vieille dame. Cette vénérable humaine le captura et le plaça dans une cage en bois avant de tenter de se tuer en défiant la circulation d’une des rues de son village. Par un miracle que personne ne parvint à expliquer, humaine et criquet émergèrent sans une égratignure du chaos qui suivit et ce fut à partir de ce jour-là que le petit criquet commença la dangereuse profession de porte-bonheur.

Ce criquet, c’est moi, et croyez-le ou non, cet épisode ne fut que le début de mon histoire.

Grâce (ou plutôt à cause) de cette grand-mère quelque peu fantasque, je fis la connaissance de Mulan, à qui je devais soi-disant assurer toute la chance possible par…ma présence? Je n’ai jamais bien compris ce passage, apparemment j’avais « prouvé » que j’avais un soi-disant pouvoir porte-bonheur après avoir survécu à cette tentative de meurtre (et de suicide). C’était absolument fou, mais tout le monde donnait raison à la vieille dame (je suspecte que c’était uniquement pour lui faire plaisir) et je me suis retrouvé privé de ma liberté, dans une cage, caché sous la tunique d’une jeune humaine que j’avais à peine aperçu derrière les barreaux de ma prison.

Ce qui suivit ne fut pas un de mes moments les plus glorieux.

A la première occasion, je tentai une évasion mais je fus empêché par Mulan. Je pense que dans la panique, elle voulait juste éviter que quelqu’un d’autre s’aperçoive de ma présence mais sur le moment, je ne l’ai pas particulièrement apprécié. Durant cette lutte ridiculement prévisible, ma pauvre carcasse se retrouva dans un autre récipient, qui fut gentiment rempli d’un délicieux liquide chaud. Très agréable, vraiment. Sauf que je courais à ma perte sans le savoir et cette gentille tenta de me sauver. Elle y parvint mais ce sauvetage causa une série d’accidents qui la mirent en très mauvaise posture. Une histoire d’honneur et de famille, mais j’étais trop occupé à ne pas mourir d’une crise cardiaque pour vraiment prêter attention à ce qui m’entourait.

Une fois le calme tout relatif revenu, Mulan me libéra de ma prison et tout aurait pu s’arrêter à cet instant-là. J’aurais pu sautiller de feuille en feuille, loin de tout ce chaos qui avait bien failli me coûter la vie, et retrouver ma vie de criquet sauvage.

Sauf que mon regard croisa celui de la jeune humaine et je sus que c’était fini de mon existence solitaire.

Cette humaine avait détruit plus ou moins sa vie sociale pour éviter qu’un petit insecte comme moi se fasse croquer par mégarde dans une tasse de thé. Je ne pouvais pas la laisser seule après ce qu’elle avait fait pour moi et mes sauts l’accompagnèrent dans le jardin, bien décidé que j’étais à rester auprès d’elle. Personne ne devait porter un regard si triste, surtout une fille aussi gentille que Mulan. Je ne pouvais pas faire grand chose pour elle (que voulez-vous qu’un criquet puisse faire pour consoler un être qui fais vingt fois sa taille?) à part ma présence.

J’assistai donc impuissant à sa fuite de la maison familiale et fus dans l’incapacité de la suivre, beaucoup trop rapide sur son cheval pour mes petites pattes et surtout j’avais besoin d’aide pour la ramener. Un criquet incapable de communiquer n’était clairement pas de taille pour mener à bien pareille mission. Heureusement, je n’étais pas le seul à se faire un sang d’encre et les esprits habitant le jardin décidèrent de se mêler de l’affaire.

C’est là qu’entre en jeu celui qui est devenu mon meilleur ami, ainsi que l’épine de mon existence, Mushu.

Ce petit dragon (oui, je l’ai dit, il est petit, mais est-ce que vous me voyez pleurnicher à cause de ma taille? Non? Bien, alors Mushu n’a pas à le faire non plus, il est bien plus grand que moi!) fut envoyé réveiller l’esprit chargé de récupérer Mulan mais il finit par détruire la statue du Grand Dragon. Dans une tentative désespérée de ne pas se faire arracher la langue par les esprits, il se fit passer pour lui et se laissa ensuite dominer brièvement par la panique. Pour une fois (car il n'en fait généralement qu'à sa tête), il m’écouta et on partit ensemble à la recherche de la jeune fille. Bon, il avait d’autres idées en tête, mais sur le moment retrouver Mulan était tout ce qui m’importait donc je décidai de passer outre.

J’aurais du le dissuader dès le départ.

Le dragon convainquit Mulan de continuer la mascarade et la « guida » dans le camp pour passer inaperçue. Autant dire que le plan fut un échec cuisant et la pauvre se fit détester par la quasi intégralité de la troupe. Heureusement pour Mushu (je l’aurai étranglé autrement, personne ne rend malheureuse ma sauveuse), Mulan avait plus d’un tour dans son sac et elle parvint à se relever de cet incident en gagnant le respect des autres soldats au passage. Les choses commençaient enfin à aller mieux et j’étais optimiste pour la suite, vraiment.

Puis arriva Chi-Fu, ou l’homme le plus énervant que j’ai eu le malheur de croiser. J’ai jamais compris pourquoi il était aux commandes alors qu’il était aussi imposant qu’un roseau desséché mais passons. Il décréta que la troupe n’était pas apte à combattre. Ni une ni deux, Mushu passa à l’action, avec mes modestes services de pinceau et de marionnettiste pour l’aider, et concocta un plan pour tromper le misérable bonhomme. Je sais, je sais, d’où un criquet sait écrire? Je vous dirai que les journées sont longues dans un camp bondé d’hommes, à ne rien faire à part surveiller Mulan (et Mushu), il fallait bien que je m’occupe. Et non, je ne vous dirai pas comment j’ai fait. Appelez cela de la magie, mais ma petite tête est très bien remplie, autrement je n’aurais pas pu tenir jusqu’ici.

Le plan fonctionna. Je me demande encore comment Chi-Fu a pu avaler le fait qu’un soldat utilisant un panda pour monture soit normal ou tout du moins crédible, mais l’essentiel était qu’on allait participer à la guerre. Personnellement je n’étais pas particulièrement pressé de me retrouver en pleine bataille mais c’était la seule chose à faire. On était allé trop loin, il fallait aller jusqu’au bout.

Sauf que je ne vis jamais la guerre, je ne mis jamais les pieds dans un quelconque champ de bataille. Oh non, je me retrouvai face à quelque chose de bien pire.

L’espace d’une nuit, je fus propulsé dans un monde qui m’était totalement étranger, où je ne comprenais rien et personne ne me comprenait (rien de nouveau à ce niveau-là, le seul qui m’avait jamais compris était Mushu). Si seulement cela s’était arrêté là…

Je n’étais plus un criquet.

Mon petit corps, mes petites pattes, mes petites antennes, tout s’était volatilisé. A la place mon esprit habitait désormais un corps humain. Un corps humain qui m’envoyait des signaux de douleur tenace, mon arrivée ne s’était pas fait en douceur et j’étais visiblement blessé au vu du liquide rouge qui m’entourait. Et le pire? J’étais tout seul. Pas de Mulan ni de Mushu à l’horizon, j’étais seul dans un coin sordide qui empestait.

Mon cerveau a un peu cessé de fonctionner quand je me suis rendu compte de la situation. J’étais complètement catatonique, mon monde venait tout bonnement de s’écrouler et j’avais la certitude que la mort aurait été préférable à ce qui m’arrivait. Elle n’allait d’ailleurs certainement pas tarder à venir si je restai planté là, mais je ne pouvais bouger.

Je ne suis pas particulièrement fier d’avoir réagi comme une pauvre petite chose fragile mais au final, je crois que cela m’a sauvé.

Il se passa une seconde, une minute, une heure, un an avant qu’on me prenne en charge. D’autres humains (maintenant je sais qu’il s’agissait de policiers) vinrent à ma rencontre et devant mon état psychologique et physique assez déplorable, ils m’emmenèrent dans un immense bâtiment aseptisé où on me recouvrit de tubes tout en hurlant entre eux avant que l’inconscience me prenne dans son manteau noir.

Une fois mon nouveau corps remis en état, ils se penchèrent sur mon cas et après maints examens, ils déterminèrent que j’étais visiblement victime d’une agression et que l’attaque m’avait laissé des séquelles assez profondes, dont une perte de mémoire très importante et un mutisme sûrement causé par l’expérience traumatique que j’avais vécu. Oui, j’ai menti, j’ai fait semblant pendant une bonne partie de leurs tests mais c’était soit cela, soit leur dire que j’étais un criquet donc j’ai choisi l’option la plus sûre. Surtout que mon but était de sortir le plus vite possible et rentrer auprès de mon crétin de meilleur ami et de ma sauveuse, non de me faire enfermer à double tour pour folie. Je fus pris en charge par l’Etat pendant un temps, histoire de ne pas lâcher un gars à peine majeur dans la jungle urbaine de New-York. Je n’ai jamais été aussi content d’avoir une tête pleinement fonctionnelle et surtout un minimum de connaissances du monde humain. Je ne vais pas mentir, ce fut très dur et plus d’une fois je crus que ma tête allait exploser ou que je n’allais jamais réussir à dominer ces nouvelles cordes vocales que je possédais. Au final, je tint le coup et on me donna ma liberté au bout de plusieurs mois de « remise en forme ».

Sans ressources, j’aurais pu finir en très mauvaise posture très vite. New-York est une ville assez impitoyable et j’aurais pu me faire avaler par ses rues en un clin d’oeil. Heureusement pour moi, ma bonne étoile décida de se manifester et m’envoya un ange gardien pour me sortir du guêpier. J’avais beaucoup sympathisé avec une bénévole du centre qui venait nous tenir compagnie tous les jeudis au soir. Mrs Watkins était une veuve adorable, propriétaire d’un petit café sans prétention de Brooklyn qu’elle tenait autrefois avec son mari. Cette gentille grand-mère me prit sous son aile et fut tout bonnement scandalisée quand elle apprit qu’on comptait me relâcher dans la nature sans la moindre aide. Elle me proposa de travailler temporairement dans son café, le temps que je mette ma vie en ordre et alla même jusqu’à me prêter la petite chambre vide de son appartement. Cette dame est une sainte et je ne me fatigue pas de lui dire au moins dix fois par jour, elle m’a donné un refuge et une chance de m’en sortir.

Ce qui devait être une solution temporaire, devint peu à peu un plan sur le moyen terme. Tout en aidant Mrs Walkins dans son café, et sous ses encouragements, je « terminai » mon éducation et obtint mon diplôme au bout d’un an. Une fois cette partie administrative faite, je pus vraiment me consacrer au café, que j’avais appris à aimer et pris peu à peu les rennes du café. Mrs Walkins n’était nullement en état de tenir un café à son âge donc je pris son poste derrière le comptoir pendant qu’elle s’occupait des papiers et des comptes au calme. Elle vient toujours jeter un oeil et discuter avec les clients mais je vois bien qu’elle est contente de me laisser gérer le service.

Aujourd’hui, trois ans après mon arrivée dans ce monde, je gère donc le café à temps plein, j’ai obtenu un petit studio non loin de chez ma bienfaitrice et je mène une vie banale en tant qu’être humain. Maintenant que ma situation est stable, je peux enfin consacrer mon temps libre à mon plan à long terme, c’est-à-dire trouver un moyen de rentrer chez moi. Pas que je me sois tourné les pouces, j’ai tenté d’en apprendre plus sur ce qui m’est arrivé mais à part confirmer que je suis apparu de nulle part dans une ruelle sans issue de New-York, je n’ai absolument rien, pas la moindre piste. Je suis fou d’inquiétude pour Mulan et Mushu et je dois absolument trouver un moyen de les rejoindre. La possibilité que je sois coincé ici à jamais n’est tout bonnement pas envisageable et je remuerai ciel et terre pour rentrer auprès des miens.