Manipulatrice Rancunière Déterminée Tricheuse Gourmande Séductrice Mauvaise Obstinée Control Freak Autoritaire Paranormale Inventive Intelligente Sournoise Affectueuse Débrouillarde Voyeuse Assoiffée de pouvoir Cynique Jalouse.

C'est l'histoire qu'on ne raconte jamais. C'est la version qu'on ne veut pas entendre. Mais aucune personne ne naît mauvaise, pas même dans un monde où le héros est immaculé, et le méchant d'une noirceur abyssale. La sorcière des mers a elle aussi un récit qui l'a façonnée comme les vagues dessinent la roche.

Il y a longtemps, Atlantica n'était pas du tout celle que tout le monde connaît. Les pieuvres dominaient le royaume de la mer, et deux princesses nageaient paisiblement dans le palais sous le regard bienveillant de leur mère la reine. Ursula et Morgana. Une enfance rêvée malgré la rivalité qui pesait sur les deux sœurs. Mais Ursula, l'aînée, était destinée à reprendre le rôle de sa mère et était alors mise en avant. C'était à peu près tout à fait logique. Tout allait bien, alors, jusqu'à ce que les deux princesses soient en passe de devenir adultes. Tout bascula. D'un jour à l'autre.
Les pieuvres et les sirènes étaient deux peuples radicalement opposés, qui n'avaient jamais été en bons termes. La première raison était purement culturelle. Les sirènes ne voyaient pas d'un bon œil le fait que les pieuvres soient carnivores et pratiquent la magie. Les pieuvres méprisaient l'élitisme des sirènes, loin d'avoir oublié que la plupart d'entre elles avaient eu pour l'habitude de noyer les humains, ce qui n'était pas plus honorable que leurs pratiques. La deuxième était la revendication d'Atlantica, qui était l'objet de disputes depuis des millénaires, si bien que personne ne savait qui avait possédé le trône en premier, et chacun des clans était persuadé que le leur était en plein droit. La guerre était inévitable. Alors vint le jour où les sirènes envahirent Atlantica. Après un combat acharné, Triton réussit à prendre le trident à la reine. Tout était terminé. Triton, le leader des sirènes, prit le pouvoir. Les pieuvres furent bannies. L'exil était obligatoire, sous peine d'être exécuté.

La reine mourut peu de temps après. Ursula... j'allais enfin devenir reine ! Et ce voleur de Triton se permit de me couper l'algue sous les tentacules... Se pavanant comme le roi d'Atlantica, comme s'il venait des générations qui avaient façonné les murs du palais, interdisant les festins immenses que l'on octroyait pour manger du plancton insipide, transformant Atlantica en une aberration, détruisant nos traditions, notre culture, notre peuple... Depuis ce jour, Triton et ses maudites sirènes nourrirent une haine tellement profonde qu'elle m'anime encore aujourd'hui. Cette injustice irréparable, j'essaie de l'éradiquer depuis des années et des années. Mais avec le pouvoir qu'il détenait désormais, je ne pouvais plus rien contre lui. Même si j'étais douée en magie, je n'avais aucune arme pour l'affronter. L'affront et l'exil finirent de craqueler la relation que j'avais avec ma sœur, si bien que Morgana décida de s'installer au Nord, le plus loin possible de moi et d'Atlantica. J'étais seule, rongée par la colère. Triton avait prit ma vie en un coup de grâce. Mais il allait apprendre que la vengeance est un plat qui se mange froid. Et définitivement pas végétarien.

Non loin d'Atlantica, j'attendais le moment de ma revanche dans ma grotte qui fut bientôt renommée pour son activité. Triton ne pouvait rien contre moi en ces terres neutres, et ce n'étaient pas son peuple qui allait protester. Car il y en avait, des désespérés. C'était fou le nombre de sirènes malheureuses que j'ai pu rencontrer après cet épisode. Je me demandais vraiment si leur soi-disant mode de vie prospère fonctionnait tant que ça. L'amour, l'apparence, le bonheur, le talent... rien n'allait. Stupides créatures futiles voulant atteindre la vaine perfection de l'être. Je les méprisais. Puisqu'ils m'avaient tout pris, j'allais tout leur prendre à mon tour. J'en laissais quelques un repartir contents, mais beaucoup finirent dans la collection. Ma collection d'âmes brisées, qui n'avaient jamais connu un chagrin aussi poignant que le mien, et qui finissaient enfin par en goûter un morceau. Réduits en pâture, je me délectais de leur petits corps frêles et plaintifs qui ruminaient dans mon antre, de plus en plus nombreux au fil des années. Les plus égoïstes s'étaient retrouvés ici, à méditer sur leur malheur. Désormais, ils avaient véritablement une raison de pleurer. S'il fallait rétablir la justice, j'étais bien la seule à le faire.

Je vieillissais, je m'enlaidissais. Seuls Flotsam et Jetsam, mes murènes et fidèles serviteurs, étaient les créatures sur lesquelles je pouvais réellement compter. Moi qui était vouée à une vie d'ermite, j'avais été la première surprise à pouvoir m'y faire deux amis. Presque deux enfants. Affamés, ils acceptaient de me fournir des proies en échange de nourriture et d'affection. Nous étions tous les trois les véritables âmes en perdition.
Mais même si le temps n'effaçait pas tout, il passait et entraînait l'espoir avec lui. Flotsam et Jetsam repérèrent la plus jeune fille du roi Triton, qui avait une tendance à s'aventurer dans les endroits les plus saugrenus. Je la surveillais de près, regardant ses moindres allers retours dans ma boule de voyance. Puis le jour arriva où cette petite sotte de sirène s'éprit d'un prince humain. Je m'en serais étouffée de rire. Le destin était en train de me servir ma vengeance sur un plateau, et je m'empressais de terminer l'apéritif. L'attirer dans mon antre ne fut pas difficile, et en quelques temps elle était là à passer un pacte avec moi. La fille chérie de ce bandit de Triton était entre mes tentacules, l'âme qui allait me permettre de reconquérir le trône qui m'avait été promis. L'ultime. Sa voix contre des jambes humaines. Le tour était joué.

Elle devait conquérir son ridicule prince au bout de trois jours. Ce qui me paraissait impossible était sans compter la propension des hommes à se jeter sur un bout de chair fraîche en seulement quelques temps. Le prince Eric était supposément un homme bien, mais embrasser une pauvresse dans une barque après l'avoir rencontrée la veille était apparemment de son ressort. Faisant tout pour empêcher les deux idiots de se jeter l'un sur l'autre, je finis par prendre la situation en main. J'allais me transformer en humaine, ressemblant alors à celle que j'étais il y a trente ans, les tentacules en moins. L'âge auquel j'allais monter sur le trône. Dans cette symbolique parfaite, j'allais briser la vie de cette petite sirène et récupérer ce qui était mien.
Mais rien ne se passa comme prévu. À peine eus-je le temps d'ensorceler cet idiot d'Eric que quelque chose d'étrange se produisit. La plage sur laquelle je me trouvais la nuit semblait s’égrainer dans une tempête de sable surnaturelle. Me protégeant avec ma cape, j'attendis que l'orage passe. Mais c'était plus qu'une simple tempête. Je me sentais partir, moi aussi. Aveuglée par la tornade de sable qui fouettait mes sens et étouffait ma conscience, je me laissais sombrer dans des ténèbres qui changeraient le monde à jamais. Lorsque je me réveillai, peut-être des heures plus tard à mon impression, je n'étais plus du tout au même endroit. La plage était toujours là, mais le château du prince avait disparu. D'énormes bâtiments en pointes et en cubes l'avaient remplacé, parsemant le ciel de mille lumières que je ne savais reconnaître. Tout avait changé. L'atmosphère, les sons, les odeurs et même... les perceptions... les choses. Je n'avais plus la même texture. Je n'étais plus vraiment moi. Une autre dimension. C'était ce qui me trottait en tête et que je ne voulais pas vraiment croire. Avais-je causé cette énormité ?! Non, impossible... pendant toutes ces années, jamais quelque chose de cet ordre ne s'était produit.

Je n'avais pas le choix. Il fallait que j'avance ici. Retrouver Ariel. Retrouver Atlantica... et retrouver le trident. Si la même chose était arrivée à Triton, alors il ne le possédait sûrement plus. J'avais encore une chance de contrôler le royaume des océans. Et j'allais tout faire pour y arriver.