Les hasards de la chasse

Je ne suis pas un dégénéré...

C’était son troisième café, bu dans l’espoir de recevoir bientôt un coup de fil. L’attente était longue, mais qu’est-ce qu’ils foutaient? Il faudrait qu’un jour quelqu’un confisque la machine à café afin que les gens des renseignements cessent d’y passer tout leur temps! Ce ne devait pas être si difficile de juste faire leur job?! Parce que pendant qu’ils glandaient, Ian attendait dans un café qu’ils repèrent une cible potentielle… Si ça continuait, il devrait aller se trouver du travail tout seul! D’ailleurs, le chasseur était plutôt mécontent de se trouver là, dans la grisaille de Londres. Pourquoi ne pouvait-on pas le laisser tranquille à Paris? S’il avait décidé d’habiter là, ce n’était pas pour faire des missions partout ailleurs! Il avait encore l’impression de faire le travail des autres…

Son portable vibra, affichant un texto. L’irlandais soupira, agacé. D’un côté, l’attente était terminée, mais d’un autre, il n’aimait pas vraiment cette façon impersonnelle de communiquer. Pourquoi ne pas l’appeler? De base, ça servait à ça un téléphone! Il se leva, paya et sortit afin de se diriger vers les coordonnées de la cible et sa direction. Ce n’était qu’une supposition, alors Ian devrait s’assurer que cette personne n’était pas de ce monde avant de l’attraper pour la ramener à ses patrons. Ces derniers irritaient de plus en plus le chasseur, qui se demandait vraiment si on ne lui avait pas menti en lui disant qu’ils renvoyaient les cibles chez eux… après tout, il avait bien appris qu’Oliver était toujours en train de vagabonder dans ce monde! Il savait qu’il devait enquêter là-dessus, mais c’était risqué et pour l’instant, il préférait se convaincre qu’il n’y avait pas de problèmes… Boire à presque tous les soirs aidait un peu à se convaincre et oublier…

L’homme marcha dans les rues, il pu rapidement apercevoir un énorme bâtiment. Une bibliothèque à laquelle il ne porta que peu d’attention, préférant se concentrer sur sa cible, qu’il repéra facilement. Il faut dire qu’il y avait peu de gens et qu’une seule personne correspondait à la vague description qu’on lui avait envoyé quelques instants plus tôt. Elle semblait plutôt jeune… comment l’aborder sans avoir d’air d’un prédateur? En n’allant pas directement vers elle! C’est ainsi que Ian arrêta un couple, puis un homme pour leur poser une question bidon, afin de donner l’impression qu’il ne visait personne. C’était un peu trop improvisé à son gout, mais c’était mieux que rien. Il s’approcha ensuite de la jeune femme aux traits asiatiques afin de l’interpeler :

-Hey, bonjour! Je m’excuse de te déranger, mis je cherche un chien. C’est un teckel à poil long, tu ne l’aurais pas vu? Mon ami serait bien triste qu’on ne le retrouve pas. Est-ce que tu connais bien Londres? Peut-être que tu saurais où on peut retrouver un chien perdu? Au fait, je m’appelle Ian.

L’irlandais essayait de gagner la confiance de la demoiselle en paraissant un peu perdu. Par contre intérieurement, il ressentait un peu de dégout envers cette façon de faire… Il avait l’impression de procéder comme ces dégénérés qui agressent les jeunes femmes! Pourtant, il ne lui voulait pas de mal, il ne faisait que son travail. De toute façon, avant de faire quoi que ce soit, il devait découvrir si c’était une intruse ou si les renseignements s’étaient trompés… ce ne serait pas la première fois!

-Tu peux m’aider? Si tu le vois, il s’appelle Saucisse… ouais, je sais, c’est stupide d’appeler un chien saucisse comme ça… je nommerais jamais mon chien comme ça!

Les hasards de la chasse

Je ne suis pas un dégénéré...

Balais? Il n’y avait que peu de doutes possibles… soit c’était une cible confirmée, soit c’était une folle échappée de l’asile… Ou peut-être les deux. Cette jeune femme semblait clairement mésadaptée, voir carrément retardée. Ian se dit qu’il jugeait peut-être un peu trop vite et qu’il ne fallait pas se fier à une première impression. Qui sait, peut-être qu’il avait devant lui une petite farceuse ne voulant pas donner sa vraie identité? Plus la jeune femme parlait, plus l’espoir d’avoir affaire à une forme de vie intelligente s’envolait. Les paroles en elles-mêmes auraient pu passer pour une plaisanterie, mais il y avait quelque chose dans le ton et le regard qui firent comprendre au chasseur qu’il n’y avait pas de doutes possible, l’asiatique était sérieuse dans ses propos.

Elle ne savait même pas ce qu’était un chien! C’était pourtant un des premiers animaux qu’on apprenait à identifier lorsqu’on était enfant! Ian ne pu s’empêcher de la dévisager. C’était presque amusant qu’elle pense que c’était un repas, faisant écho aux clichés sur les asiatiques qui mangeaient du chien. Cependant, il garda son semblant d’amusement pour lui, restant impassible sur ce point. C’est qu’il était plutôt désemparé par le manque de vocabulaire de la jeune femme… mais peut-être était-ce parce qu’elle ne parlait pas la langue? Si c’était le cas, n’aurait-elle pas mentionné ce fait afin de s’excuser pour les problèmes de communication que ça pouvait occasionner? C’était là essayer de trouver des justifications pour donner un sens à cette conversation étrange.

-Non, un chien ça ne se mange pas… enfin pas ici. C’est barbare de faire ça.

Bon peut-être que s’il n’y avait rien d’autre à manger… Beurk!  NON! Juste NON! C’était un peu comme songer à bouffer son ami! Bon, Ian n’avait pas vraiment d’amis, mais cette idée le dégoutait quand même. Et voilà qu’il en était à se questionner sur ce genre de sujets…
Qu’est-ce qu’il faisait là? À parler à cette jeune femme débile? Non seulement elle n’avait pas de la lumière à tous les étages, et en plus elle voulait manger du chien?! Ce n’était pas l’envie de tourner les talons qui manquait, mais le chasseur avait un travail à faire. Il se demandait bien qu’est-ce qu’il avait bien pu faire au ciel pour mériter ça? Bon, être alcoolique et kidnapper des gens devait entrainer ce genre de retour du karma…

-Oui il a quatre pattes, mais il est plutôt brun-roux.

L’irlandais décida de faire une recherche sur le net afin de montrer une photo de teckel à ce balai pour éviter de faire la description d’un chien pendant trois heures. Il trouva donc rapidement ce qu’il cherchait, désignant à la jeune femme :

-Ça c’est un chien de la race des teckels, on s’amuse à les appeler chiens saucisses parce qu’ils sont plus long que haut. Ce n’est qu’on surnom, on ne doit pas les manger. Le chien de mon ami ressemble à ça.

Le brun regarda autour de lui afin de trouver une idée pour enlever cette cible. Il n’avait pas de doutes, elle ne pouvait pas être de ce monde. L’esprit de l’homme ne pouvait pas concevoir cette histoire autrement. Aucun humain ne pouvait être aussi diminué à moins de rester enfermé toute sa vie dans une cave sans voir rien ni personne. Il repéra l’entrée d’une ruelle où il pourrait droguer la jeune femme, puis appeler les renforts pour la transporter au quartier général.

-Oh! Tu as vu?! Je pense qu’il vient de tourner le coin là-bas! Tu veux venir m’aider à l’attraper? Il est gentil, tu vas voir. Et il a une fourrure très douce.

Il fit quelques pas en direction de la ruelle en faisant signe à la demoiselle de le suivre. Il y était presque, ce paquet serait bientôt emballé et envoyé! Du moins c’est ce qu’Ian espérait…

Les hasards de la chasse

Je ne suis pas un dégénéré...

La jeune femme confirma qu’il ne fallait pas manger des chats. Une bonne chose de mis au clair! Ian essayait de ne pas se laisser aller aux préjugés, mais on ne savait jamais avec ces asiatiques…  l’homme osait croire que les histoires de manger des animaux de compagnie restaient loin de du Royaume-Uni et de la France! Il chassa ces pensés dégoutantes afin de trouver une image afin de faire comprendre à la jeune femme qu’il ne cherchait pas un chat de toute façon. Quand il trouva enfin et qu’elle déclara que ce n’était pas un joli chat, le brun tenta à nouveau de lui faire comprendre :

-C’est parce que ce n’est pas un chat. C’est un chien, de la race des Teckels.

Il avait beau essayer, elle ne semblait pas comprendre et carrément ne plus l’écouter à un moment! Elle lui avait dit s’appeler Balais? Et bien il commençait à réaliser que l’expression « con comme un balai » était tout à fait approprié. Comment quelqu’un comme ça pouvait-il survivre? Sans doute que quelqu’un s’occupait d’elle? Il ne la voyait vraiment pas se débrouiller seule!

Comme pour confirmer le manque de jugement et une absence d’instinct, Balais l’entraina à la recherche de l’animal. Dans la ruelle sombre. Seule avec lui. Où personne ne le verrait faire.

Il se sentit soudainement sale. Comment pouvait-on voir cette gamine comme une menace? Elle pouvait certes être un danger pour elle-même, mais elle ne ferait pas de mal à une mouche, comme la répétition qu’elle venait de faire l’indiquait. Ian se sentait de plus en plus mal à l’aise. Il tentant de garder une certaine contenance en lui répondant pour la rassurer :

-Non. On ne mange pas de chat, ni de chien. Saucisse ne semble pas ici de toute façon…

C’était le temps  pour l’endormir et la ramener… mais il n’y arrivait pas. Il avait trop de choses qui lui tournaient en tête. Peut=-être que ce n’était pas du café qu’il aurait du boire ce matin là, mais un bon verre d’alcool pour éviter ses questionnements. Sans savoir pourquoi, il décida de l’interroger :

-Dis-moi Balais. Tu es sage? Tu ne fais pas de mal aux gens? Et… tu es heureuse ici?

L’homme se disait que si elle était gentille, il n’y avait pas de raison de la ramener aux patrons. Elle n’était visiblement pas dangereuse, alors pourquoi perdre son temps avec elle? Il n’aurait qu’à dire que ce n’était qu’une jeune fille dérangée et que les renseignements lui avaient encore fait perdre son temps. Il attendit les réponses de l’asiatique, bien qu’il s’en doutait un peu.

Les hasards de la chasse

Je ne suis pas un dégénéré...

Plus Ian voyait la jeune femme aller, moins il comprenait comment on pouvait la laisser seule. Elle n’était pas apte à se balader seule, à la porter de tous les agresseurs possibles. Tant de naïveté et d’innocence était à peine croyable! Il y avait des gamins plus matures qu’elle! Pas que l’irlandais connaissait beaucoup d’enfants, mais ceux qu’il voyait de temps à autre dans son quartier ne semblaient pas trop débiles. De plus, ils avaient normalement des adultes pour veiller sur eux.  Il se demandait bien où pouvaient être les responsables de Balais. Sans doute s’était-elle enfuit par un concours de circonstances?

Ian ne compris pas immédiatement pourquoi elle parlait de souris méchante… Était-il question de Mickey? Quoiqu’il en soit, elle était plus heureuse ici que dans son monde d’origine. Pourquoi vouloir la renvoyer si elle était bien ici et qu’elle ne faisait de mal à personne? De plus, il doutait de plus en plus que les équipes de Louis travaillaient à cela, comme certaines de ses cibles se baladaient toujours ne liberté alors qu’il les avait bien livré! Il y avait des jours où il avait bien envi d’avoir une bonne discussion avec ses supérieurs, mais il avait l’impression que s’il fouinait trop à propos de ce genre de choses, ils le foutraient dehors, voir pire. L’alcoolique ne voulait pas se retrouver au chômage, il aimait bien avoir assez d’argent pour payer le loyer et pouvoir boire autant qu’il le voulait.

Le brun ne pu s’empêcher de sourire légèrement aux explications de la jeune femme à propos de ses maladresses. Il avait l’impression de parler à une enfant de quatre ans. Ça avait quelque chose de mignon et de dérangeant à la fois. Sa décision fut vite prise, il ne la ramènerait pas à Louis. Cependant, il ne pouvait pas la laisser là. Elle risquait de tomber sur des gens peu recommandables. Sa conscience poussait le chasseur à aider la femme à rentrer. Mais, comme un enfant, elle ne savait pas trop vers où se diriger pour rentrer.

-Parfait. Maintenant sait tu ce qui serait sage? Rentrer chez toi.

Comme l’asiatique n’avait nommé personne, Ian en déduisit qu’elle sortait sans doute d’un institut psychiatrique. Il passa rapidement quelques appels et trouva d’où elle s’était « échappée ». C’est ainsi que l’homme décida de raccompagner Balais, là où elle serait en sécurité. Il aurait l’esprit tranquille, il avait fait ce qu’il devait faire. Une fois à destination il lui dit au-revoir :

-Fais attention à toi, Balais. Continue d’être sage.

L’irlandais retourna à ses occupations, il avait bien besoin d’un verre après cette rencontre étrange. Il se promit de garder cela pour lui, personne ne devait apprendre qu’il avait délibérément laissé une cible partir. Un peu de whisky pour oublier ne ferait pas de tort!
[Fin]