Je suis du genre calme, compréhensive et posée. Je n’ai donc  que rarement des sauts d’humeur, ce qui m’a grandement aidé dans ma carrière d’ambulancière. C’est un métier exigeant autant physiquement que mentalement, mais j’aime bien quand ça bouge et que mon esprit est sollicité. J’ai une excellente résistance au stresse et à la pression, ce qui me permet d’être efficace dans mes interventions. Je sais me montrer patiente, lorsqu’il est question d’aider les autres, mais quand je suis directement concernée, c’est une autre histoire…
Quand je dois attendre, je suis plutôt impatiente, voir irritable. Il m’arrive aussi d’être impulsive et d’agir sans réfléchir quand mes proches ou moi sommes impliqués. Le sang et les coupures des autres, ça ne me dérange pas, mais je ne me sens pas bien si c’est moi qui suis blessée. Je pense que c’est parce que je peux garder une sorte de barrière psychologique quand je m’occupe d’inconnus. J’arrive aussi à être très réfléchie lorsque mes proches me demandent conseils, si seulement je pouvais avoir autant de recul avec ma propre vie!

Je ne peux pas m’empêcher de me moquer des autres, c’est ma façon de leur démontrer que je les apprécie, car qui aime bien, châtie bien. Comme au travail je dois avoir un comportement irréprochable, une fois à  la maison, je me laisse un peu aller, laissant sortir ce qui me passe par la tête. J’en garde aussi pas mal pour moi. Derrière mon air impassible, il arrive souvent que mon esprit s’emballe pour imaginer le pire. Heureusement, je garde ces pensées pour moi ou tourne ça à la blague.

Au fond de moi sommeille une certaine colère refoulée qui s’exprime parfois soudainement par un excès de violence inattendu… Il arrive donc que je fasse une réponse sèche, voir un coup de poing lorsque je suis trop énervée. Bien des sujets sont difficiles à digérer, les injustices sont un sujet sensible. J’ai beaucoup de mal avec le comportement de Moonbin qui couche à gauche et à droite, mais qui se permet de désapprouver mes choix amoureux… Si on peut vraiment parler d’un choix lorsque ça nous tombe dessus sans avertir! L’amour, ça ne se contrôle pas! D’ailleurs, quand j’aime quelqu’un, je me montre un peu, voir parfois beaucoup protectrice. Parfois mes amis me charrient en me répondant « oui maman », ce qui m’exaspère… Pas besoin d’être une mère pour s’occuper des autres et voir à leur bien!

C’est par la belle journée du 24 avril 1991 que je naquis. Bon, peut-être qu’il faisait gris ce jour-là, je ne m’en souviens évidement pas! La joie de mes parents  devait rendre tout plus beau que la réalité. Par contre je sais que mon frère ainé, Eunji, n’était pas trop content que je sois là pour attirer toute l’attention de la famille. Je crois que pour des enfants, quatre ans, c’est une différence d’âge un peu trop grande. Ce ne devait pas être facile pour mon frère de jouer silencieusement alors que moi je devais faire la sieste. Mais ce n’était pas ma faute, les bébés ont besoin de beaucoup de repos! Et puis, en tant que première fille de la famille, les adultes me chouchoutaient un peu, surtout maman qui aimait bien que je porte de jolies robes. Tout ça, c’est elle qui me l’a raconté, tout comme la suite!

L’année suivante, j’eu droit à deux petits frères! Des jumeaux nommées Moonbin et Jungwan. Bon, je ne compris pas trop, mais il parait que je leur faisais plein de beaux sourires en gazouillant des sons inintelligibles, signes que je ne devais pas être fâchée par leur présence, contrairement à Eunji. À croire que mon grand frère n’était jamais content. C’est qu’il avait un caractère difficile, peut-être parce qu’il avait été trop longtemps le seul enfant?

Je vécus une enfance paisible, sans autre drame qu’Eunji qui me piquait mes bonbons. J’avais de bonnes notes et mes parents étaient fiers de moi. Nous ne manquions de rien pour vivre. J’adorais aller trainer dans les tunnels de lave ouverts au publique ou admirer le paysage si particulier. Jeju-do est une ancienne île volcanique Coréenne dont le volcan est éteint. Heureusement, car ça aurait été stressant de vivre si près de cette montagne s’il en avait été autrement! Cette île, c’était mon paradis, j’adorais ma vie là-bas. Il faut dire que tout se passait si bien, j’étais douée à l’école, mes parents m’aimaient, je m’amusais bien avec mes amis, que demander de plus?

C’est pourquoi je ne vis pas venir la décision de mes parents au début de l’année 2005… Déménager à Londres. Cette décision me fit un choc, mais les explications étaient logiques. Eunji serait appelé sous peu à faire son service militaire, ce qui signifiait qu’en cas de conflit, il serait appeler au front. Puis quelques années plus tard, ce serait le tour des deux plus jeunes.  Jeju-Do est peut-être à l’écart, et pouvait bien ne pas attirer l’attention en cas de conflit avec la Corée du Nord, mais elle ne serait pas défendu par notre pays non plus… Je comprenais les motivations de mes parents, ils avaient raison de vouloir nous protéger. Et puis, rien ne nous empêcherait de revenir vivre ici plus tard? Je m’accrochais un peu à cette idée afin de ne pas accabler mes parents d’un autre enfant en crise, ils avaient déjà bien assez des jumeaux à gérer.

Le changement de pays se passa plutôt bien car j’étais plutôt douée en anglais, alors la langue ne fut pas un obstacle à mon intégration. Ce ne fut pas facile, c’était un tout autre style de vie, il y avait tant de changements! Heureusement à la maison nous avions gardé nos habitudes emmenées de Corée. Ça avait quelque chose de rassurant d’avoir  un peu de notre pays avec moi. Mais je n’avais rien contre le Royaume-Uni, c’est avec plaisir que je participais à toutes les célébrations, même celles sur le football, comme ce fameux soir du 14 juin. Une belle soirée, jusqu’à ce que je rentre pour apprendre cette terrible nouvelle… Moonbin et Jungwan s’étaient fait attaquer dans un parc… le plus jeune avait été battu à mort. Je n’arrivais pas à comprendre un tel niveau de violence. Comment pouvait-on enlever la vie d’un être si gentil et qui avait encore toute la vie devant lui?

Les semaines qui suivirent furent difficiles. Nous étions tous dévastés par la perte du plus jeune de la famille. Je n’arrivais pas à y croire, j’avais l’impression d’être dans un terrible cauchemar! Un frère mort, un autre chassé de l’appartement… Comment tout ça avait-il pu se produire? L’incompréhension de la situation se mêlait à tant de sentiments. La colère m’étouffait. Contre mes parents qui avaient chassé Moonbin, contre ce dernier pour ce qu’il avait causé… Plus jamais notre famille ne serait unie. Tout ça ne serait jamais arrivé si nous n’avions pas quitté la Corée! Oui, je rejetais la faute sur mes parents à ce moment là, il me fallait des coupables… C’était avant que je n’ai pu vraiment réfléchir au calme… maintenant, je sais qu’ils ne voulaient que notre bien.

Je n’étais plus bien avec mes parents… à chaque fois que je franchissais la porte, je les revoyais m’annoncer la terrible nouvelle. À chaque fois que je me retrouvais dans ma chambre, les disputes entre Moon et mes parents repassaient en boucle dans ma tête. Maintenant, il n’y avait plus de cris ou d’engueulades, car mon frère n’était plus là…  Il n’y avait qu’un lourd silence. Le pauvre… que devenait-il, seul et laissé à lui-même? Avait-il trouvé un endroit où vivre? J’étais sans nouvelle et je ne savais pas comment le retrouver. Je faillis me laisser aller, mais je ne pouvais pas abandonner mes projets, aucun de mes petits frères n’auraient voulu cela.

Il était déjà prévu que je quitte le nid familial pour mes études, je gardais donc cette idée, car c’était ce qu’il y avait de mieux à faire pour moi. Il fallait que je quitte cet endroit devenu malsain. Je devais poursuivre ma scolarité, je voulais être médecin à cette époque. Je voulais aider les gens, les guérir de leurs maux. Il semblait que j’avais le bon tempérament pour ce travail, alors c’était mon but.
J’avais  de bonnes notes, mais je trouvais de plus en plus difficile de rester assise des heures en cours. Je voyais les longues années d’études qu’il me restait… tant d’années où je ne pourrai aider personne…  Avais-je autant de temps à perdre sur les bancs d’école? De plus, je compris bien vite que je n’étais pas à ma place, je voulais bouger! Je trouvais que la médecine avait quelque chose de trop lent, toujours attendre tel ou tel résultat pour savoir quoi faire… non merci. Une profession s’imposa bien vite à mes yeux : ambulancière. Ce serait bien moins long avant que je puisse être sur le marché du travail, ce qui m’assurerait des revenus plus rapidement. J’aiderais autant les gens, mais d’une manière différente. D’ailleurs, lorsque je commençai la formation, je tombai en amour avec ce métier qui bougeait sans cesse. Il y avait de la théorie, où j’excellai, mais aussi des cas pratique qui permettaient de bouger tout en mettant ce que j’apprenais en application.

J’eus de la chance que la ville de Londres soit en recrutement lorsque je terminais mes études. Comme j’étais première de classe, je n’eus pas de difficultés à être embauchée, et puis j’avais de bonnes références de mes professeurs et de mes maîtres de stages. Évidement au début je n’avais que des petits remplacements. Ce ne fut pas facile de ne pas savoir si je serais appelé pour un remplacement de dernière minute, ou si je serais une semaine sans travailler… Plus je montais dans la liste, plus j’avais des remplacements longs, comme des arrêts de travail et un congé de maternité. C’était bien d’avoir un horaire fixe, bien que parfois ce n’était que pour quelques mois. Maintenant je suis assurée de travailler, même si l’horaire ne me plait pas tout le temps.

J’aimais  mon travail, mes amis… mais il manquait quelque chose dans ma vie. Je ne savais pas exactement quoi, donc je continuais mon cheminement. Mes revenus étaient stables, donc je décidais d’emménager dans un meilleur quartier. Je n’eu pas de peine à quitté mon appartement minuscule d’un coin peu recommandable. Ce changement me fit le plus grand bien et e ne me doutais pas de la surprise qui m’attendait! Je ne pensais pas que Noah Hong habitait cette rue jusqu’à ce que je le croise par hasard au printemps 2018, quelques mois après mon déménagement. Nous nous connaissions de l’hôpital, il était médecin, alors parfois je le croisais et nous aimions bien parler. Il insista pour que je rencontre son copain et qu’on boive un verre. Je finis par accepter parce que… pourquoi pas?
Je n’en crus pas mes yeux lorsque je reconnu mon petit frère! Mon petit Moon Moon que je ne pensais plus revoir! Ça me rendit tellement heureuse de le revoir et de le savoir en santé. J’avais l’impression que le vide que j’avais ressenti depuis un moment se comblait. À partir de ce moment, nous nous revîmes fréquemment, normal, comme nous étions tout près!

Tout allait bien, alors je ne pensais pas que ma vie changerai à nouveau avec la rencontre d’une jeune femme bien étrange…