Stage door

Every human being is a puzzle of need.
You must become the missing piece.

Thaleia s'était enfuie. Les derniers mois avaient été pénibles pour lui : il pleurait, mangeait peu et voyait ses notes à l'université chuter alors qu'il en était à son avant dernière année. Il avait cru remonter la pente tranquillement suite au départ de Noah et s'était même adouci envers les restrictions de la sirène, mais cela n'avait pas été suffisant. Moonbin ne pouvait pas la blâmer ; elle avait été séquestrée dans son sous sol pendant beaucoup trop longtemps et dans les jours précédent son départ, le Coréen s'était montré vulnérable et probablement très irritant. Entre son boulot qu'il n'aimait plus, son retour aux études pour devenir enseignant en maternelle et ses sautes d'humeurs dû au départ inattendue de Noah pour la Corée du Sud, Moonbin pouvait comprendre qu'il avait été plus difficile à vivre qu'à l'habitude alors quoi de mieux que de profiter de sa période de vulnérabilité pour s'enfuir et jamais revenir..? Noah et elle étaient pareil ; ils s'enfuyaient alors qu'il avait le dos tourné… Alors qu'il ne pouvait pas les supplier de rester. L'aurait-il fait ? À une époque il aurait répondu non sans aucune hésitation en vous prenant de haut, mais maintenant il ne vous répondrait sûrement pas, ayant peur de s'avouer qu'il le ferait. C’était le karma, c’était tout ce qu’il méritait s’était-il même dit à un moment.  

Peut-être était-ce aussi le karma qui avait voulu lui donner une chance de se racheter lorsqu’un matin, alors qu’il lisait le journal, il avait vu dans les actualités diverses le prénom de Thäleia mentionné dans un petit article parlant la comédie musicale Sweeney todd se tenant en ville. Jamais Moonbin ne regardait cette partie du journal, ce n’était pas comme si le théâtre et tout cet univers l’intéressait sérieusement, mais étrangement cette matinée, il avait pensé à Noah qui à l’époque ne pouvait s’empêcher de lui dire qu’une certaine pièce était en ville et qu’il fallait ab-so-lu-ment aller la regarder et pour une fois, il avait envie de regarder et de se souvenir de cette habitude. Un sourire timide apparu sur son visage en voyant le nom de la demoiselle écrit noir sur blanc; elle se portait bien, elle était heureuse. Il aurait dû se contenter de ça, mais une énergie grimpait en lui chaque fois qu’il pensait à ce bout de papier. Il avait envie de la voir, même si c’était que pour l’instant d’une pièce et espérait peut-être échanger un sourire avec elle, au fond de la pièce, signant officiellement l’acceptation de sa demande de liberté.

Le jour J, malgré son hésitation, Moonbin avait passé plusieurs heures à fouiller dans son placard pour trouver l’ensemble parfait pour sa sortie, comme si ses vêtements allaient importer. Il s’était arrêté à un fleuriste de quartier et avait demandé un bouquet légère déconstruit de renoncules et de pivoines aux teintes roses blush et ses variantes corails. Il aimait ces fleurs printanières, sauvages mais délicates, rares et magnifiques… Un peu comme la sirène. Ces fleurs furent emballés dans un joli papier de coton rose pâle et attaché par un long ruban blanc crème puis remis au Coréen qui les déposa sur le banquette arrière de sa voiture le reste du trajet. Arrivé au théâtre, Moonbin regarda longuement le bâtiment, l’estomac serré et hésitant à y aller pour vrai, mais c’est finalement en se disant qu’il n’avait pas acheté ces fleurs pour rien qu’il retira les clefs du contact et qu’il alla finalement acheter un ticket pour la représentation.

Puisque la représentation était faite par des amateurs, la salle fut à moitié remplie et cela permit donc à Moonbin de s’installer à l’endroit qu’il souhaitait, soit au milieu le banc directement placé aux côtés de l’allée ; l’endroit parfait pour regarder et ne pas attirer l’attention s’était-il dit avant de voir de dos un homme aux cheveux roses… Au final, il pouvait être sûr que personne sur scène pourrait le remarquer grâce à cet homme singulier. Les minutes lui semblaient des heures, malgré l’étrange intérêt qu’il portait envers cette pièce où un homme tranchait des gorges pour vivre et nourrir la ville et où Thäleia jouait une jeune adolescente travestie dans le but de fuir l’homme qui l’avait séquestré toute sa vie. Cette pièce laissait un goût amer dans la bouche de Moonbin, comme une impression de déjà-vu et malgré tout, il se surprit à souhaiter que ce juge meurt dans d’affreuses souffrances. Pourquoi était-il aussi indigné de voir Johanna coincé entre quatres murs alors que c’est ce que l’actrice avait réellement vécue par sa faute ? Finalement à la fin de la représentation, Moonbin ne pouvait pas réellement dire ce qu’il avait regardé puisque trop concentré par ses pensées, il avait arrêté de suivre l’histoire après la scène osée de Johanna et Anthony.

Lorsque le rideau se ferma enfin définitivement après le salut des acteurs, Moonbin ne tarda pas à se lever et à chercher Thäleia qui s’était empressée de quitter la scène. Elle n’avait pas le droit de fuir, pas à nouveau. Pressant le pas, il avait fini par arriver à la sortie avant elle et l’avait attendu en faisant les cents pas; le Moonbin si confiant et arrogant qu’elle connaissait n’était pas au rendez-vous, mais elle, elle n’avait pas changé d’un poil : « Je ne savais pas que tu allais au théâtre. » . Moi non plus, aurait-il voulu répondre, mais aucun son ne voulut sortir de sa gorge beaucoup trop serré. « Comment tu m'as trouvé ? »  « J’ai vu ton prénom dans le journal… Je ne connais pas d’autre Thäleia alors j’ai assumé… Tiens. »  Il avait tendu le bouquet d’une main ferme, cherchant à cacher sa vulnérabilité. Trop longtemps elle l’avait vu comme un bateau en train de sombrer, il ne voulait pas lui avouer qu’il était devenu une épave. Il était un homme fort et brusque aux yeux de tous et il ne souhaitait pas qu’on change d’avis à ce sujet… C’était sa façon d’être capable de gérer sa vie même si présentement, il ne gérait rien du tout de celle-ci... Et ce fut ce satané karma qui se chargeât de lui rappeler ce qu’il était vraiment en voyant l’homme aux cheveux roses qu’il avait vu plus tôt s’approcher d’eux. Un battement de cœur manquant, des larmes lui montant aux yeux ; Noah était de retour au pays et Moonbin n’était même pas au courant.

Stage door

Every human being is a puzzle of need.
You must become the missing piece.

De trop. Moonbin avait envie de fuir. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Noah était là. Thäleia avait restée en contact avec lui. Ils s’aimaient. Pourquoi était-il encore là, à écouter leur échange alors qu’il n’avait même pas le courage de lever les yeux pour jeter un coup d’œil à son ex. Il voulait disparaître. Il pensait pouvoir gérer ses retrouvailles avec la sirène. Il avait passé des journées à s’y préparer, mais Noah était là. Il devait partir. Mais pourquoi ses pieds étaient cimentés au sol ? Pourquoi avait-il l’impression que son corps ne voulait pas répondre ? « T'as meilleure mine que Moon. » Le sourcil de celui-ci réagit. Difficile de faire pire que lui, se dit-il, le regard toujours collé aux souliers de Noah. « Vous savez, j'ai souvent imaginé ce jour... sans pouvoir me figurer ce que je pourrai bien vous dire. Maintenant je sais pourquoi : je n'ai simplement rien à dire. » Nouvelle réaction chez le plus jeune Coréen. Noah et elle n’étaient donc pas en bons termes ? Quelle situation grotesque étaient-ils en train de vivre tous les trois ? Que faisaient-ils là ? Allaient-ils se contenter de se regarder sans rien ajouter, attendant que quelque chose se produise pour qu’ils doivent enfin se séparer et continuer leur vie l’un sans l’autre ?« Mais ce n'est peut-être pas votre cas?»

Ô, Moonbin avait tant à lui dire, c’était bien pour ça qu’il s’était pointé au théâtre, mais il ne pouvait pas ouvrir la bouche. Pas devant Noah. Ce serait si gênant. Si embarrassant. Lui qui était incapable de dire correctement à l’autre homme qu’il l’aimait, il n’allait surement pas vider son sac en suppliant à Thäleia de lui pardonner… Mais il devait bien dire quelque chose. C’était sûrement la dernière chance qu’il avait de la recroiser. Il leva lentement le regard, montant lentement le long des jambes de Noah, puis de son torse. Ses pupilles terminèrent leur course jusqu’au visage de celui-ci qui créa un pincement au cœur de Moonbin, le faisant aussitôt détourner le regard pour regarder la demoiselle. Devrait-il plutôt ignorer sa présence ? Son corps tremblait, il le sentait, mais il espérait sincèrement que personne ne le remarque. « Je suis venu ici pour toi, pas pour la pièce. » débuta Moonbin. « Je sais que j’ai fais le con. Je n’aurais jamais dû me mêler de ton histoire avec lui. Mais si tu veux bien me pardonner, j'essaierai de tout régler. J’ai toujours fais attention à toi, j’aimerais que tu me fasse confiance. » une promesse qu’il savait bien inutile. Tout ce qu’il disait était sincère, mais il savait que jamais la sirène allait vouloir avaler la pilule. « Tu me manque, tu sais. » Il l’avait dit, détournant brièvement le regard en direction de Noah par la même occasion, lui disant inconsciemment que lui aussi, il le voulait à nouveau dans sa vie. « Je regrette vraiment. » Que devait-il faire maintenant ? Quitter ? Rester et entendre une réponse sanglante qui allait le briser encore plus qu'il ne pouvait l'être ?

Stage door

Every human being is a puzzle of need.
You must become the missing piece.

Ferme ta gueule, c’est ce que Moonbin avait envie de lui hurler. Il avait envie de lui dire de se mêler de ses affaires, qu’il ne lui parlait pas. Il en avait marre d’entendre des reproches, il était plus que conscient de ce qu’il avait fait et il n'avait pas besoin de l’entendre à nouveau. Surtout pas provenant de la bouche d’un homme qui avait préféré fuir ses responsabilités de gardien en allant en Corée. Qui était-il pour lui reprocher de ne pas se soucier du bien des autres alors qu’il était tout aussi coupable que lui en ce qui concernait l’instabilité de Thäleia ? N’était-il pas celui qui s’amusait à tester des choses sur le corps de la pauvre sirène ? N’était-il pas celui qui avait encouragé Moonbin à la garder avec eux ? Et n’était-il pas celui qui avait préféré l’abandonner avec l’homme égoïste au lieu de l’aider à fuir ? Ça lui faisait grincer des dents, mais en même temps, Moonbin avait envie de se retrouver dans ses bras; il avait envie d’être comme avant avec lui. Savoir que le soir ils allaient s’endormir ensemble et que le lendemain, il allait le retrouver, les cheveux ébouriffés et souriant, lui souhaitant bon matin. Oh, ça l’énervait à l’époque, cette tête de con, mais désormais il souhaitait la revoir à ses côtés. Quel idiot pouvait-il être.

Silence. C’était sa seule réponse au final. Les larmes qui étaient nées dû à une tristesse, se transformèrent en larmes de colère qui déformaient les traits du plus jeune Coréen qui luttait du mieux qu’il le pouvait pour ne pas trahir son air impassible. « Mettez de l’ordre dans vos propres vies avant de vouloir vous mêler de la mienne. » Un couteau au cœur, un clignement de yeux incontrôlé. L’eau salée contenu à la frontière de ses cils coula sur sa joue devenue rougis d’avoir trop retenu ses sentiments, le faisant sursauter à son contact. Oh non, Moonbin, ne pleure pas. Pas là. Pas maintenant. Pas devant Noah. Ça lui ferait beaucoup trop plaisir. Qu’il se surprit à penser comme si son apparence était vraiment importante. Pourquoi pensait-il à sa fierté alors qu’il l’avait perdu au moment où Noah avait appris pour ses nombreuses liaisons. Pourquoi avait-il envie de se mettre à genoux devant eux ? De les supplier de lui laisser une chance. De les convaincre qu’il pouvait réparer le passé ? Qu’il était pitoyable.

Thäleia s’éloigna, marquant la fin de leur discussion sans sens. Le chasseur tendit la main, cherchant à prendre la sienne. Il devait la forcer à rester, à accepter ses excuses. Elle devait… Il avorta son geste. Non. Qu’était-il en train de faire ? Son caractère possessif et égoïste voulait encore faire des siennes. Il devait arrêter d’exiger et accepter que seul le temps pouvait l’aider. Il hocha la tête pour lui-même, pinçant ses lèvres pour se retenir de pleurer davantage. Il se contenta de la regarder partir, ne la laissant pas savoir qu’il souhaitait faire un geste désespéré pour la prendre dans ses bras. Son regard se tourna brièvement vers son ex partenaire, inclina brièvement la tête par signe de politesse puis s’éloigna. Il n’avait pas envie de régler ses différends avec lui. Pas ici. Pas maintenant.

Une personne plus réfléchie aurait pris le temps de se calmer avant de prendre le volant, mais l’esprit trouble de Moonbin en fit autrement. Non, il n'avait pas cru devoir confronter Noah cette journée-là. Il ne s’y était pas préparé. Et ô seigneur, il n’aurait jamais cru que le revoir allait l’affecter à ce point. Après tout, c’était lui l’idiot. C’était lui qui l’avait trompé pendant des années, prenant leur relation comme une blague. Pourquoi avait-il l’impression d’avoir fait la plus grosse bêtise de toute sa vie ? Pourquoi avait-il l’impression que Noah était la personne la  plus importante à ses yeux ? C’était faux. C’était Jungwan. Ça avait toujours été lui, il ne comprenait plus son cœur qui se serrait chaque fois qu’il pensait au visage du médecin. Qui était-il ? Il ne savait plus.

Une boule au fond de sa gorge, incontrôlable, coincée sans vouloir sortir. Il avait l’impression d’agoniser, de chercher son air. La vision trouble, Moonbin continuait de conduire, pensant désespérément au confort de son domicile, là où il avait partagé des années aux côtés de Noah et où il avait vu grandir Thäleia. Pourquoi voulait-il retourner là-bas ? Il allait à nouveau pleurer, regarder les murs, souhaitant retrouver les clefs de Noah sur la table à l’entrée. C’était une sphère interminable, incurable. La douleur était toujours présente, malgré les nombreux mois qui s’étaient écoulés depuis leur séparation. Il était comme ça, Moonbin. Aimant sans jamais pouvoir décrocher même lorsque c’était malsain. C’est la dernière pensée qu’il eut cette journée-là, avant d’avoir un accident sur un carrefour, là où le feu de circulation rouge n’avait pas été respecté par l’homme qui n’avait pas su se concentrer sur la route.