Quand elle voyait son casino et l’empire qu’elle y avait bâti tout autour, Quinn se disait qu’elle n’était pas à plaindre. Même chassée de son ancien royaume, elle avait su se relever et renaitre de ses cendres, dans ce monde qu’elle n’avait autrefois connu que dans les histoires. Elle avait tout ce dont elle avait besoin : de la richesse, du pouvoir et de la reconnaissance. Peut-être même de l’amour. Elle était Reine à nouveau, et même si rien ici ne ressemblait à ce qu’elle vivait à Underland, elle devait dire que ça lui plaisait bien. Ce matin pourtant, elle s’était réveillée de mauvaise humeur. Debout face au miroir de sa salle de bain, les sourcils froncés, elle soufflait d’agacement tandis qu’elle observait son reflet. Son apparence. C’était peut-être ce qu’elle regrettait le plus de sa vie d’antan.

Bien sûr, c’était paradoxal. Autrefois, son visage disproportionné et sa coupe en forme de cœur avait suscité tant de moqueries qu’elle avait fini par entrer dans une colère noire qui ne l’avait plus jamais quitté par la suite. Mais petit à petit, à force de prendre du pouvoir et d’inspirer la peur, elle avait fait de ses défauts physiques une force, au point où même ses courtisans se devait d’en avoir eux-mêmes. Elle en avait fait sa fierté, sa marque de fabrique, elle avait même fait sculpter la forme de sa tête dans un buisson qui dominait ses jardins. Son château lui-même avait été bâti à son image ! Désormais, si jolie soit-elle, elle n’avait plus rien de cette force qu’elle s’était construite. Elle était banale. Neutre. Terne. Toute l’extravagance de ce qu’on appelait le pays des merveilles lui manquait.

Alors elle avait pris sa décision. Elle ne pouvait rien faire pour la forme de son visage ni pour ses proportions ; mais elle pouvait toujours changer la couleur de ses cheveux. Marre de ce brun sans saveur. Il lui fallait du rouge. Elle ne se coucherait pas ce soir tant qu’elle ne serait pas rousse.

C’est ainsi qu’elle s’était trouvée devant la vitrine d’un magasin de peinture. De teinture ? Non non, de peinture. La peinture rouge avait très bien marché sur des roses blanches, pourquoi n’en serait-il pas de même sur des cheveux bruns ? Et puis, regardez un peu ce rouge si rougeoyant ! De quoi retrouver sa couleur d’antan. Peut-être pourrait-elle-même faire en sorte de les dresser pour qu’ils prennent la forme d’un cœur. C’était à tenter. En attendant, elle se concentrait plutôt sur la couleur. Evidemment, elle ne voulait rien d’autre que du rouge. Néanmoins, il y avait aussi ce pot de peinture bleue qui lui faisait de l’œil. Elle détestait le bleu, autant que toutes les autres couleurs qui n’étaient pas rouges, mais il fallait qu’elle voie ce que ça pourrait bien donner sur des cheveux. Pas les siens, bien entendu. Elle devait se trouver un cobaye. Et puis, quitte à se peindre les cheveux, autant le faire à deux.

Avant d’entrer dans le magasin, elle scruta donc la rue à la recherche de la personne parfaite pour cette petite expérience. Les premiers piétons étaient soit chauves, soit pas assez chevelus ; en revanche, son regard s’arrêta sur une jeune demoiselle avec une longue tignasse rousse et le visage de Quinn s’éclaira. Parfait ! C’était même d’une pierre deux coups : si celle-ci se peignait en bleu, c’était une concurrente rousse de moins. Sans s’annoncer, l’ancienne Reine de Cœur agrippa donc le bras de sa pauvre victime et lui expliqua :

« Je vais faire de vous une nouvelle personne ! »

Elle l’entraina dans la boutique sans lui demander aucune autorisation et déclara immédiatement au vendeur derrière la caisse :

« Je veux un pot de peinture rouge, pour colorer mes cheveux ! Et la demoiselle prendra le bleu pour les siens ! »