De tous les plans qu’il avait pu échafauder depuis son arrivée dans ce corps d’humain, sensibiliser la population à la protection des océans et des espèces maritimes était celui qui donnait le plus d’espoir à Gill. Certes, ce n’était jamais qu’une infime partie des humains qui souhaitaient réellement s’y engager, mais pour l’ancien poisson, cette infime partie comptait. C’était toujours quelques personnes de plus pour l’aider à sauver cette étendue d’eau immense qui avait un jour été son habitat. Et ça lui faisait du bien, de savoir qu’il n’était pas seul. Il le voyait dans les commentaires sous les articles de son blog qu’il tenait à jour régulièrement. Dans les slogans inscrits au feutre noir sur les façades qui entouraient les ports de pêche. Dans les cris scandés lors des manifestations qu’il organisait. Il y avait toujours du monde avec lui pour s’indigner contre ceux qui salissaient l’Océan et qui détruisaient ses habitants.

Ce jour-là, il y avait une fête foraine dans un quartier très animé de Paris, et Gill avait absolument tenu à protester dans les rues adjacentes. Non seulement c’était l’occasion de manifester devant beaucoup de gens, mais surtout, c’était une manière de rugir contre ces insouciants qui utilisaient des pauvres poissons comme lot de récompense pour des gamins terribles. Le meilleur moyen de terminer en jouet pour une Darla bis, c’était bien de servir en cadeau dans les pêches aux canards. Quelle idiotie ! Plus Gill en découvrait sur les coutumes humaines et plus il les détestait. Pas question de les laisser faire ça sans avoir son mot à dire. Il avait donc réuni un bon groupe de personnes qu’il connaissait de précédentes manifestations, rameuté d’autres intéressés via les réseaux sociaux, et s’était ainsi retrouvé là, dans les rues de Paris, un mégaphone à la main et une pancarte « Empêche la pêche, dans nos océans c'est la dèche » dans l’autre, à crier :

« Les poissons ne sont pas des jouets ! Vous voulez faire plaisir à votre neveu ? Offrez-lui une peluche ou un jeu vidéo, pas une vie ! Laissez nos Océans tranquilles ! »

La foule derrière lui scandait à son tour des slogans de mille et une couleurs, résultant en un joyeux capharnaüm qui ne lui déplaisait pas. Tandis qu’il continuait de protester, Gill se demandait en son for intérieur combien de personnes dans les rues autour l’entendait, combien étaient d’accord avec ce qu’il disait. Et, depuis qu’il avait rencontré Dory, il ne pouvait pas non plus s’empêcher de se demander combien d’autres poissons avaient vécu la même chose que lui et étaient là, sur leurs deux nouvelles jambes humaines, à se rappeler leurs vies d’autrefois.

Il était tellement concentré sur son discours qu’il ne vit pas tout de suite le grabuge derrière lui. Ce n’est que lorsqu’il sentit qu’on le bousculait qu’il se retourna enfin, pour trouver un groupe d’adolescents en train de se mêler à leur parade pour essayer de voler des pancartes. Insupportables, ils riaient, se moquaient des slogans et chahutaient ses camarades qui tentaient de les repousser. Furieux par tant d’irrespect, Gill se rapprocha de l’un d’eux et le prit par le bras pour l’éloigner de la personne qu’il embêtait.

« Eh, gamin, casse-toi de là avant que je m’énerve pour de bon. C’est quoi ton problème ? Tu t’emmerdes tellement chez toi que tu viens emmerder les autres ? Dégage de là. »

Gill n’était pas un grand fan de l’espèce humaine en général, mais alors ce genre de personnes, il les haïssait vraiment pour de bon. Heureusement, l’adolescent s’éloigna, mais c’était pour mieux embêter quelqu’un d’autre à coups de tentatives de croche-pattes quelques mètres plus loin. De rage, Gill soupira. Il allait falloir quelques paires de bras en plus s’il voulait que sa marche retrouve le rythme qu’elle avait avant ces perturbations puériles. Levant le mégaphone à hauteur de sa bouche, il demanda :

« Est-ce qu’on peut virer ces idiots immatures qui pensent pouvoir arrêter une manifestation en faisant les cons ? Merci. »