Clawd Delatour. Rapidement gribouillées au crayon à papier sur une page de mon carnet, les lettres formaient ainsi mon prochain objectif. J’avais déjà fait des premières recherches sur cette personne, grâce à cet outil merveilleux qu’était Internet. Jeune homme de vingt-cinq ans, ancien membre de la police parisienne, il avait récemment quitté ses fonctions pour ouvrir son propre cabinet de détective privé. Ça, c’était les informations officielles. Les détails un peu plus officieux, en revanche, rapportaient un certain lien avec des personnages issus de films d’animation Disney. En tout cas, c’était ce que quelques interviews avec des personnes bien choisies m’avaient permis de déduire. Ce n’était pas facile de récolter des informations sur ce genre de sujet quand autant de personnes vous riaient au nez dès que vous tentiez de formuler des questions un peu plus originales que celles auxquelles ils se seraient attendus ; mais à force de creuser, on finit toujours par trouver un morceau de la vérité. Et cette fois, mon morceau, c’était Clawd.

Grâce aux informations de contact trouvées sur la page de son auto-entreprise, j’ai pu l’avoir sans mal au téléphone pour fixer un rendez-vous. C’était un vrai soulagement – vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui nécessitaient de battre des pieds et des mains dans tous les sens pendant trois semaines avant de réussir à les joindre. Le matin de notre rencontre, donc, j’embarquai tout ce qui pourrait me servir dans un sac à dos, remplis la gamelle de ma chatte Dani, lui collai un bisou entre ses deux oreilles et partis en trottinant jusqu’à l’arrêt de bus. Par chance, Clawd ne travaillait pas bien loin de chez moi, et j’arrivai devant sa porte à peine quinze minutes plus tard. Sonnant à l’interphone, je m’annonçai de manière professionnelle et entrai d’un pas assuré. Lorsque je me trouvai face au jeune homme, je lui tendis une main en lui souriant aimablement :

« Bonjour, M. Delatour, et merci encore de m’accorder votre temps. Comme vous le savez déjà, je suis journaliste à mon compte, donc cet entretien n’est supervisé par aucun journal. Vous êtes donc parfaitement libre de choisir ce qui sera rendu public ou non après cela. Pour être parfaitement honnête avec vous, je viens surtout pour une enquête personnelle. »

S’il y a bien une chose que j’avais retenu sur cette invasion des Disneys, comme je l’appelle à défaut d’en savoir plus, c’était que toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans ce phénomène étaient généralement réticent à s’exprimer là-dessus. J’espérais donc pouvoir rassurer d’emblée Clawd en lui affirmant que tout ce qu’il dirait ne devrait pas nécessairement être publié. Après cette rapide introduction, je m’installais convenablement, sortis un crayon et mon grand carnet et expliquai :

« J’aimerais vous dire tout de suite la raison de ma venue. Cela fait plus d’un an maintenant que j’enquête sur un phénomène très étrange qui semble se produire sans que personne n’en parle pourtant publiquement, et j’ai des raisons de croire que vous savez certaines choses à ce sujet. »

Je laissai un petit temps de suspens avant de continuer ; la vraie raison, c’était que je cherchais encore comment formuler mes phrases sans qu’elles ne paraissent trop absurdes.

« Je crois qu’il y a parmi nous des personnes qui ne viennent pas de notre monde. Je crois qu’elles viennent d’univers fictifs, dessinés par les studios d’animations Disney et Pixar. Cela peut paraitre ridicule, mais je suis persuadée qu’il existe, dans le Paris que l’on connait et dans lequel nous vivons depuis toujours, des personnages que l’on ne voit pourtant que dans les films. Et je crois, Clawd, que vous-même en connaissez certains. Ai-je raison ? »

J’articulais mes mots avec un semblant d’assurance, mais mes yeux suppliants trahissaient mes vraies pensées. Je voulais qu’il acquiesce. Qu’il me réponde que j’avais tout bon depuis le début, que mes recherches n’avaient pas été faites en vain, que j’avais raison sur toute la ligne. Qu’il me prouve que je n’étais pas folle, délurée, que je ne croyais pas simplement un peu trop aux contes de fées, comme on me l’avait trop souvent répété. En cet instant, j’espérai, j’osai croire, que venir ici avait été le bon choix.