Qui imaginerait que je puisse tomber aussi bas ? Moi, un prince ?

Debout devant cette modeste boutique, vêtu de ce que les gens d'ici appellent un pull, un jean et des baskets, je contemple ce qui sera peut être mon avenir. J'ai tout perdu, je suis sans le sou, ces pirates m'ont volé jusqu'à mon magnifique costume. Sans armes, sans bourse, je ne suis plus rien. Ici, personne ne semble reconnaitre mes droits et mon titre. J'ai beau leur dire que je suis un prince, marié à une sublime princesse, on me rit au nez. Bien entendu, tout ici est payant, rien n'est vraiment gratuit, si ce n'est l'air que je respire... Et encore ! Celui ci est chargé, lourd et puant ! Ces véhicules de métal, roulant sans chevaux, dégagent une fumée noire et une odeur horrible qui me font froncer le nez à chaque fois que j'en croise une. J'ai fini par prendre sur moi, car je me suis rendu compte que je faisais la grimace bien trop souvent aux yeux des passants

J'ai du me rendre à l'évidence... Si je voulais survivre, je dois m'abaisser au rang de ceux qui n'ont pas de sang royal : je dois travailler. Je frissonne rien qu'en pensant à cela, mais je n'ai pas le choix. Et puis, ce ne sera que pendant un temps. Dés que j'aurais réunis suffisamment d'argent, je trouverais un moyen de m'en sortir seul, sans avoir à dépendre de quelqu'un. C'est donc pour me présenter que je me tiens aujourd'hui devant ce commerce, hésitant, me demandant si c'est là une bonne idée. Des jouets... Cela n'a pas l'air si compliqué, non ? J'entre dans la boutique après un moment. Franchissant le pas, je suis tout de suite envahi par la féerie du lieu. Tout me rappelle mon royaume, mes enfants, mon château. Ces marionnettes de bois, ces petits chevaux, ces figurines de soldat. Je baisse un moment la tête, ému devant la représentation d'une princesse en robe bleue. Cendrillon... Elle me manque tellement. Comment va t'elle ? Elle doit être morte d'inquiétude.

J'entends des bruits de pas et lève la tête, croisant le regard d'un jeune homme qui, sans aucun doute, aurait pu être mon fils. De mieux en mieux... Je vais recevoir des ordres d'un enfant. Je n'aurais jamais cru qu'un prince puisse tomber aussi bas. Je reste cependant stoïque et, après une ou deux secondes durant lesquelles je l'ai regardé dans les yeux, cherchant une quelconque menace, je m'avance vers lui, en souriant. Je lui dis alors : Bien le bonjour Monsieur... Je suis Henri du Chastel. J'ai lu, sur votre porte, que vous cherchez un vendeur ? La place est elle encore disponible ? Mon Dieu, faites que ce soit le cas ! Je ne saurais pas vers qui me tourner sinon ! Ce magasin serait l'endroit idéal pour travailler sans risques !

Rester calme, je dois rester calme.

Je suis envahi par la honte et le désespoir. Jamais je n'aurais cru m'abaisser à cela. Travailler, confier des heures de ma vie à un patron, user ma santé pour de l'argent. Je suis un prince bon sang ! Je suis de sang royal ! Je devrais être dans mon château, à aider mon père pour la gestion de notre royaume ! C'est ça MON travail ! Faire que mon royaume atteigne des sommets, que mon peuple vive heureux, en bonne santé et à l'écart du danger ! Je ne suis pas fait pour vendre des jouets ou quoi que ce soit d'autre ! Mais je n'ai plus le choix. Si je veux vivre, si je veux revoir Cendrillon et mes enfants, je dois le faire, je dois affronter cette épreuve avec le sourire, afin de faire mes preuves et réussir à gagner suffisamment pour pouvoir m'en sortir par moi même. A ce que j'ai compris, les "Princes" ici, ceux qui ont autant d'importance que ceux de sang royal, sont ceux qui ont de grandes entreprises, qui gèrent des milliers d'employés. Je devrais pouvoir arriver à faire comme eux.

Le jeune homme, qui aurait pu être mon fils, me dit qu'il était non seulement le gérant mais aussi le seul vendeur. Je regarde autour de moi, soudain admiratif. Ce garçon, d'une vingtaine d'années visiblement, a réussi à faire tout cela tout seul ! Ce monde est décidément plein de possibilités ! Il m'invita à le suivre, pour passer un rapide entretien puis un essai. Je comprends alors qu'il est urgent pour ce garçon de trouver un autre vendeur, car, seul, il avait du mal à s'en sortir. Cela signifie que son commerce connait un certain succès, c'est pas mal ! Je le suis donc et m'assoit devant lui. Il me demanda alors si j'avais une quelconque expérience dans ce genre de poste, puis il me demanda si j'avais déjà joué. Je souris alors, attendri et amusé. Je m'attendais à la première question, mais pas à la deuxième. Je lui réponds alors : Je n'ai guère d'expérience en tant que vendeur, mais je ne demande qu'à apprendre. J'ai généralement de bons contacts avec les personnes, et je suis du genre patient. Pour ce qui est de votre deuxième question... J'ai été un enfant, même si cela remonte à bien des années. Je jouais avec des figurines et des épées en bois. Je jouais encore régulièrement avec mes propres enfants, jusqu'à... Je me tais quelques secondes, cherchant comment je pourrais lui annoncer cela : Jusqu'à mon arrivée ici.

Est il désespéré au point d'embaucher un homme sans expérience dans ce domaine ? Ou est il vraiment intéressé par mon profil ?

Je l'avoue, je ne vais pas chercher à connaitre la réponse à ces deux questions. Ce travail est une aubaine. Il m'évitera de trop me salir les mains, de m'abimer le dos ou de me faire mal en travaillant. Je pourrais exercer une profession tranquille, douce et pleine d'innocence. Je donnerais le sourire aux enfants et apporterait un peu de rêve dans leur vie. Ce n'est pas trop mal. J'aurais pu finir aux champs, ou sur un chantier. Je ne dis pas que ce sont des professions indignes de moi, loin de là, ceux qui l'exercent sont courageux. Je dis juste que je préfère quelque chose de plus... Posé. Le jeune homme paraissait convaincu par l'entretien, cela se voyait dans ses yeux. Ce qui m'étonna, c'est qu'il avait l'air de me comprendre lorsque j'ai évoqué mon arrivée ici, et la confusion que cela a engendré. Vient il d'un autre monde, lui aussi ? Quand nous nous connaitrons un peu mieux, je lui poserais la question.

Il me proposa alors de passer directement à l'étape suivante : l'essai. Bon sang, c'est rapide, nous ne parlons que depuis cinq minutes ! Mais il a l'air d'être un homme qui préfère l'action plutôt que la discussion. Très bien. Allons y. J'hoche la tête et me lève pour le suivre dans la boutique. Il m'avoua alors qu'il était arrivé ici il y a quelques années, et que, depuis, il recherchait Neverland. Bon, au moins, je n'aurais pas à lui demander d'où il vient. Il est comme moi. Il est perdu. Je reste un moment là, surpris, croyant que j'étais le seul dans ce cas. Je me sens soudainement plus... rassuré, même si je ne devrais pas l'être. Il me sorti de mes pensées lorsqu'il me demanda si j'avais des questions. Je secoue la tête et lui réponds : Nous pouvons commencer.

Je le suis dans la boutique et, comme s'ils nous avaient entendus, une femme, accompagné de sa fille, une enfant d'environ huit ans, entra. La gamine était obnubilé par tous les jouets autour d'elle, émerveillée devant une telle féerie. La mère, en revanche, n'avait d'yeux que pour l'homme en face d'elle. Je ne me laisse pas démonter, j'ai l'habitude. Je m'avance vers elle et, après l'avoir salué et souhaité la bienvenue, je lui demande si je peux l'aider. Souriant, à l'écoute, j'applique les conseils de mon père qui m'a toujours dit d'être patient avec les gens du peuple et d'être à leur disposition. Le Roi est au service de ses sujets, disait il toujours. Il veille sur eux, leur apporte joie et prospérité et, en échange, le peuple lui accorde le plus beau des cadeaux : sa confiance. La femme ouvrit la bouche pour répondre mais sa fille la coupa et proclama : Je veux une Cendrillon !

Je me fige, surpris. Une... Une Cendrillon ? Mais... Mais ? Je tourne la tête vers le gérant. Que veut elle dire par là ? Cendrillon est mon épouse ! Pas un jouet !

Je ne peux pas faire ça.

Etre vendeur est sans doute plus difficile qu'on ne le pense. Il faut sourire au client, refouler ses plus noires pensées et le servir dans la joie et la bonne humeur. Tout cela, répété et répété jusqu'à la fermeture. Et cela recommence le lendemain ! Je pensais que cela serait facile, je le croyais très sérieusement... Un enfant arrive à le faire ! Je ne dénigre pas mon éventuel futur patron, mais il pourrait être mon fils ! A son âge, j'étais aux côtés de mon père, apprenant à ses côtés à devenir roi. Quelques années plus tard, j'épousais Cendrillon, et encore quelques années plus tard, j'étais père. Bon sang, cela remonte déjà à loin. Ma famille me manque terriblement. Je me reprends et tourne la tête vers Peter pour lui demander silencieusement de l'aide.

La cliente me regarda de haut en bas et fit une petite moue, je passe une main dans mes cheveux, gêné. Peter demanda à la petite si c'était une poupée qu'elle souhaitait. Elle hocha la tête en souriant. Elle est adorable, elle me fait penser à ma fille. Il y a la même magie dans ses yeux, la même innocence... Je reprends contenance. Une poupée, elle veut une poupée. Je trouve rapidement du regard l'endroit où elles sont rangées. Tout en invitant la petite à me suivre, je me dirige vers les étagères. A vu de nez, il n'y a aucune poupée qui ressemble à Cendrillon. Bon sang, j'aurais aimé qu'elle soit là, elle aurait été d'une aide précieuse...

Puis, enfin, l'illumination, la voilà. Je croise le regard fixe d'une poupée blonde, coiffée d'un joli chignon et vêtue d'une robe bleue. Je la prends et la tends à la petite qui la prends en souriant, ravie. La mère est rassurée et, après m'avoir remercié, va à la caisse avec Peter pour régler son achat. Ouf... Ma faute a été rattrapée. Espérons que cela ne me porte pas préjudice pour la suite...

J'ai échappé de peu au désastre.

Alors que je regarde du coin de l'œil la mère payer son achat, je vois la petite fille commencer à serrer sa poupée dans ses bras. Elle toucha ses cheveux, ajusta sa robe, je note alors que le jouet ressemble beaucoup à mon épouse. Comme si... Comme si elle n'était qu'un personnage de fiction, dont on produit des jouets pour amuser les enfants. Je me souviens de ce pantin de bois qu'un vendeur proposait au marché, il disait que c'était la copie conforme d'un chevalier qui habite nos légendes anciennes. Je l'ai acheté pour mon fils, mais en aucun cas, ce morceau de bois ne saurait ressembler à un homme, contrairement à cette poupée. Certes, le visage est quelque peu... Etrange. Les yeux sont trop grands, le cou trop maigre. Mais la robe, les cheveux, les souliers transparents, tout dans cette poupée me faisait penser à mon épouse. Je me promis alors de lui en offrir une, quand nous nous reverrons. Je ne perds pas espoir, nous serons à nouveau réunis.

Les clientes, satisfaites, prennent congé, et Peter vint vers moi. Il me dit que l'essai était concluant, malgré ma petite erreur. Mais cela se rattrape, d'après lui, il me suffit d'apprendre à connaitre l'ensemble des articles qui composent son magasin. J'hoche la tête, regarde autour de moi, commençant à mémoriser quelques points importants. Les jouets de bois à l'ouest, les poupées à l'est, les livres de contes au nord... Les livres de contes ? Je demande alors, tout en me dirigeant vers ce rayon : Dites moi, y a t'il eu d'autres candidatures avant la mienne ? Ce brave jeune homme doit être désespéré pour embaucher un homme sans expérience dés la première heure, et malgré ses erreurs. Mais je lui en suis reconnaissant. Je lui dis d'ailleurs : Et... Je vous remercie. Grâce à vous et à cet emploi, je vais pouvoir m'en sortir. Survivre, et enfin, commencer à comprendre ce qu'il m'est arrivé.

Je fouille du regard les couvertures des livres et trouve rapidement ce que je cherche. Je le prends, l'ouvre et tombe sur l'image qui, je l'espère aidera Peter à comprendre mon désarroi. Je lui demande : Savez vous qui est Cendrillon, par hasard ? Je lui tends le livre ouvert à la page où Cendrillon danse avec son prince, et je lui dis : Je suis désolé, pour ce qu'il s'est passé tout à l'heure. Cela ne se reproduira plus.

Je suis le seul candidat au poste ? Etrange.

Je lève un sourcil interrogateur, me demandant pourquoi personne d'autre n'a cherché à travailler ici. J'ai pourtant vu assez de personnes en difficultés en ville pour savoir que la recherche de travail ne fait qu'augmenter. Je m'estime chanceux d'avoir été embauché aussi vite, mais j'ai du mal à croire que je sois le seul à vouloir tenter l'expérience. Peter a l'air gentil, assez innocent et attentionné envers ses clients. Je ne vois pas pourquoi on le fuirait. Je me demande alors si ce n'est pas sa jeunesse qui repousse les éventuels travailleurs. Pour ma part, ce n'est pas un problème. Je viens d'un monde où l'on apprends à travailler dés le plus jeune âge, que ce soit aux champs ou en tant qu'écuyer ou autres métiers. Je décide alors de ne pas m'avancer plus sur le sujet. J'ai le poste, c'est déjà ça, et je remercie le jeune homme pour sa bienveillance. Il me sourit en guise de réponse, ce qui me conforta dans l'idée que nous allons bien nous entendre.

Je me rends alors dans l'un des rayons, et, tout en lui montrant un livre portant sur l'histoire de mon épouse, je lui demande s'il sait qui elle est. Il m'avoua ne pas connaitre le nom de Cendrillon, mais je le vis réfléchir, alors qu'il observait le dessin qui me représente, dansant avec celle qui deviendra ma femme. Il me demanda alors si je venais d'un... Un quoi ? Un disney ? Je lève un sourcil interrogateur. Mais de quoi parle t'il ? Il m'avoua venir d'un "Disney" appelé Peter Pan, il y a quelques années. Est ce sa définition pour un conte, ou une histoire ? Est ce ainsi qu'on les appelle dans ce monde ? Je ne saurais le dire. C'est en refermant le livre que je vois ce mot, inscrit sur la couverture. Mais qu'est ce que c'est ? Je demande alors, confus et perdu : Qu'est ce qu'un Disney ? De quoi parlez vous ? Je viens d'un royaume bien différent de cet endroit, je suis le prince héritier et Cendrillon est mon épouse. Elle n'était qu'une pauvre jeune femme, exploitée par sa belle famille, et c'est un chausson de verre qui l'a menée jusqu'à moi.

Mais que me raconte t'il ?

A l'entendre, je viendrais tout simplement de l'esprit d'un ou de plusieurs hommes qui ont écrit et dessiné mon histoire dans le but de distraire d'autres personnes. Des contes ? J'en lis à mes enfants, mais jamais je ne pensais être né dans l'un d'entre eux. Non, c'est impossible, cela ne peut pas être réel. Et puis... Un dessin animé, qu'est ce que c'est au juste ? Je fronce les sourcils et croise les bras, réfléchissant à ces deux mots. Un dessin animé... Un dessin qui bouge ? Il n'y a que la magie qui pourrait être capable d'une telle prouesse. La marraine de mon épouse doit surement savoir répondre à ces questions qui naissent peu à peu dans mon esprit. Encore faudrait il que je la retrouve un jour, tout comme Cendrillon et notre famille. Je me sens tellement seul... Jamais je ne me suis senti aussi perdu, aussi désemparé, qu'aujourd'hui. Je baisse les yeux vers le livre que je tiens entre mes mains. Cendrillon... Un conte pour enfants. Je pâlis en réalisant soudain que je ne suis sans doute pas réel, que je ne suis que le fruit de l'imagination d'un homme. Dans cet ouvrage, je ne suis que le Prince, et c'est tout. Pas de nom, juste un titre, et une danse que j'offre à cette jeune fille à la robe immaculée. Ne suis je donc que ça ? Un simple personnage secondaire, qui n'apparait que pour régler les soucis de cette héroïne en lui offrant l'amour ?

Je recule de quelques pas, me mettant à trembler comme une feuille. Je dis alors, d'une voix hachée par l'angoisse : Je... Excusez moi... Je... Je dois m'asseoir un moment. C'est ce que je fais, m'asseyant à même le sol, le dos appuyé contre le rayons emplis de livres pour enfant. Mes mains tiennent toujours l'ouvrage portant le nom de mon épouse, et mes yeux ne quittent pas la couverture. Ce n'est qu'un dessin. Elle, moi, tout notre monde, tout n'est qu'une histoire, un dessin. Je secoue la tête et bredouille ces quelques mots : Que faire... ? Nous ne sommes donc pas réel... C'est bien ça ?

Je suis perdu, absolument perdu.

Comme lui, apparemment, même s'il a l'air de me vivre beaucoup mieux. Alors que je dois m'asseoir, complètement sous le choc après cette terrible nouvelle, le jeune homme, lui, vient à ma hauteur pour me parler de son passé. Il ne savait pas vraiment si nous étions réels ou non, mais il me dit que, dans son monde, il était à la tête d'un groupe d'enfants perdus, il portait une tenue verte. Je lève les yeux vers lui, lâchant un petit sourire et un petit rire avant de lui demander : Vous étiez... Tous seuls ? Rien que des enfants ? Où étaient les adultes ? Poser des questions m'aide à me maintenir la tête hors de l'eau, à me dire que je ne suis pas devenu fou. Tant que je peux réfléchir, tant que je peux continuer à parler, ça ira.
Je me redresse et finit par me relever. Il me dit alors que, si j'avais besoin d'aide, je n'avais qu'à lui demander. J'hoche la tête en souriant et, après quelques secondes, je lui dis finalement : C'est plutôt à moi de vous aider, vous êtes mon employeur maintenant. Que puis je faire ?