Ce n’est pas la première fois que je passe le portail situé au sous-sol du bar de mon ami Timon. Même s’il ne marche pas tout le temps et qu’il a l’air carrément instable depuis quelques semaines déjà, ça ne m’empêche pas de l’emprunter régulièrement pour me rendre à Paris ou à Londres quand l’envie m’en prend. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de différent. C’était comme si je n’avais pas eu le choix. Tu dois prendre le portail, Phillip, j’entends ces mots en boucle dans ma tête depuis ce matin. Prends le portail. Je n’aime pas que l’on me donne des ordres, bien évidemment, mais cette fois, ce sont des ordres qui viennent de moi, alors je ne peux que m’écouter. Alors j’ai suivi mes prendres commandements. Et j’ai rejoint le portail.

Je n’étais pas seul, mais ce n’est pas le plus étrange. Quand nous avons passé le portail, j’ai entendu un bruit très inhabituel et j’ai cru qu’il était en train d’exploser. J’ai hurlé, d’ailleurs j’espère que personne ne m’a entendu, ma réputation de Prince sans peur et sans reproche en aurait pris un coup. J’ai été propulsé hors du portail, et quand j’ai relevé la tête, j’ai été pris un instant de vertige en voyant le paysage qui me faisait face. Ça ne ressemble à rien de ce que je connais. Ce n’est pas Paris, ce n’est pas Londres, ni New York. C’est une ville immense qui pourrait sembler parfaitement normale si elle n’était pas peuplée de milliers d’animaux différents, qui se déplaçaient sur leurs deux pattes comme s’ils avaient toujours été bipèdes.

« Qu’est-ce que… AHH ! »

Un nouveau hurlement, décidément, je les enchaîne. Mais il y a de quoi : je viens de remarquer mes bras, et ils ne ressemblent en rien aux deux membres qu’ils étaient avant. On dirait des pattes de… cheval ? J’ai des sabots à la place des mains, je n’arrive même pas à y croire. Ça alors, mais qu’est-ce que c’est que ces sottises ? Je tâtonne mon visage, et réalise ce que je craignais : j’ai une tête de cheval. Quel enfer ! J’adore les chevaux, mon plus fidèle ami d’où je viens était un cheval, mais je n’ai jamais rêvé en devenir un moi-même ! Je suis un Prince humain et j’ai toujours été très bien comme je suis, merci bien ! Je lâche un souffle agacé et regarde autour de moi. Je crois qu’on est trois à se trouver dans la même situation un peu confuse. Je remarque un papier un peu brûlé sur les bords à nos pieds. Je tends une patte pour le ramasser, mais mes sabots m’empêchent de le saisir. Ça m’énerve déjà, cette histoire. Comment continuer à être le héros que je suis si je n’ai même pas de quoi attraper un bout de papier ? Malgré tout, en bon leader, je m’adresse à mes coéquipiers en tentant de rester calme, même si je bouillonne intérieurement :

« Eh, tout le monde va bien ? Vous avez passé le portail, vous aussi, non ? Mon nom est Phil, n’ayez crainte, je vais m’assurer que l’on rentre chez nous sains et saufs. Dites voir, l’un de vous peut-il ramasser cette lettre par terre ? Ça m’a tout l’air important. »

Le premier est un crocodile du nom de Peter Pan, le second est un écureuil se présentant comme Pinocchio. Ces deux noms me sont bien familiers, même si je n’ai pas passé beaucoup de temps à regarder des films d’animation (excepté celui dans lequel j’apparais, bien entendu), je connais certains titres et ceux-là sont des classiques. Le reptile semble avoir autant de difficulté que moi avec ses nouvelles pattes, heureusement que le troisième membre de notre drôle d’équipe parvient à me montrer cette lettre. Il m’a l’air assez paniqué, le pauvre, et j’ai bien l’impression que c’est un enfant derrière ce corps d’animal. Rassurant, j’essaie de le calmer :

« Ne t’inquiète pas, petit. Je crois bien qu’il nous est tous arrivé la même chose. Moi aussi, j’ai eu l’impression que le portail m’appelait, c’est pour ça que je l’ai pris. »

Je tapote sa petite tête de mon sabot en prenant soin de ne pas y aller trop fort, puis reporte mon attention vers ce bout de papier qu’il tient toujours dans sa patte. Je prends un temps pour le lire, puis je m’exclame :

« Louis ! Mais c’est ce détraqué qui travaille pour la sorcière ! C’est lui qui a mis des chasseurs à nos trousses ! Et maintenant, il parle d’une nouvelle expérience ? Je vous jure, si j’arrive à lui mettre la main dessus, il passera un sale quart d’heure, c’est moi qui vous le dis ! »

J’en ai sacrément assez de cet énergumène aux plans machiavéliques, il est grand temps que quelqu’un s’occupe de son cas. En tant que Prince et héros de conte de fée, j’espère bien que ce quelqu’un sera moi. Mais en attendant, il faut qu’on se sorte de là et qu’on retourne d’où l’on vient. Je relis le passage qui m’intéresse, où il parle de cristaux de portails, et explique au reste de l’équipe :

« Bon, il nous faut trouver trois cristaux afin de reconstituer le portail et rentrer. Ça ne doit pas être bien compliqué. Il est marqué que le premier se trouve dans le commissariat de police. On devrait bien pouvoir trouver ça ici. Peut-être en demandant à un passant. »

Je relève la tête vers le paysage qui me fait face. La ville est immense, mais un commissariat ne doit pas être trop difficile à trouver, si ? Au moins, ça ne manque pas d’habitants, même s’ils ont tous des têtes d’animaux. Maintenant que j’y pense, ça me rappelle cette histoire de ville dans laquelle vivait mon ami Nick avant d’être envoyé dans notre monde. Il disait que les animaux avaient bien évolué et vivaient tous ensemble en paix. Je me demande si c’était un endroit comme celui-ci. Il faudra sûrement qu’on en reparle tous les deux, la prochaine fois que je le verrais.

La réflexion de Nino sur les mondes Disneys m’intrigue un peu, mais je ne sais pas encore quoi en penser. Ce serait tout de même une sacrée belle aubaine de pouvoir retrouver Aurore et mon royaume, mais je ne crois pas que cette ville remplie d’animaux parlants et cette quête pour les morceaux du portail pourra vraiment nous y aider. Je garde malgré tout cette idée dans un coin de ma tête de cheval et décide de me concentrer d’abord sur le présent. Je regarde notre crocodile partir à la recherche d’un animal pour nous montrer le chemin à suivre tandis que notre écureuil grimpe sur un lampadaire afin de scruter les environs. C’est une bonne équipe que nous avons, je ne suis pas peu fier d’en être à la tête. Enfin, c’est ce que je pense jusqu’à ce que Nino nous demande ce qu’est un commis de Sariat. Je crois qu’il ne sait pas ce que l’on cherche, en vérité, ce qui rend son action un peu plus inutile qu’elle n’en a l’air. Je lève la tête vers lui et lui répond :

« C’est le bâtiment dans lequel se trouve la police, c’est… attends, laisse-moi voir. »

Avec mes gros sabots, j’oublie que je dois peser environ une demi-tonne dans ce nouveau corps et commence à escalader le lampadaire pour rejoindre mon coéquipier et prendre un peu de hauteur. Alors que je commence mon repérage, le réverbère tangue et je le sens pencher progressivement sur le côté. Je pousse un hennissement apeuré tandis que je vois le sol se rapprocher de plus en plus, et en quelques secondes nous nous retrouvons à terre les quatre fers en l’air, littéralement pour ma part.

« Ouch, ils auraient pu faire des structures un peu plus solides, quand même ! »

Je relève la tête et me retrouve nez-à-nez, ou plutôt naseau-à-museau avec le chat interpelé par Peter, qui nous regarde tous les trois comme si nous étions des bêtes de foire. Ses yeux grands ouverts passent d’une tête à l’autre, puis il s’exclame :

« Mais vous zêtes fous ! Mais ze vais vous zamener au poste de police moi, vous zallez voir ! On ne grimpe pas sur les lampadaires enfin, regardez ce que vous zavez fait ! »

Bon, notre plan ne s’est peut-être pas exactement déroulé comme prévu, mais enfin, au moins le résultat est là. Je me relève rapidement et répond au petit félin :

« Tout-à-fait, nous aimerions nous rendre au poste de police, montrez-nous donc le chemin, je vous prie, nous vous suivrons. Mes excuses pour le lampadaire, pour ma défense, j’avais oublié que je pesais plus lourd qu’autrefois. »

Je lui fis signe de partir devant nous et, après avoir lancé un regard satisfait vers mes coéquipiers du jour, je lui emboîte le pas vers le commissariat.

Nous arrivons enfin au commissariat et le chat s’empresse de tout raconter au guépard à l’accueil. Bon, enfin, ce n’est qu’un lampadaire, tout de même. Pas de quoi en faire un drame. Peter se dédouane immédiatement en leur rappelant qu’il n’a rien fait lui-même et nous pointe du doigt à la place. Il n’a pas vraiment l’air de savoir ce qu’est l’esprit d’équipe, mais je ne le blâme pas. Tout le monde ne peut pas être aussi humble et héroïque que moi. Il fait partie de ceux qui abandonneraient leurs proches au fond d’un précipice pourvu que leur peau soit sauvée, c’est ainsi. Sur mon épaule, l’écureuil s’agite. Il semble nerveux et explique que ce n’était pas fait exprès et que nous voulions simplement rentrer chez nous. Il dévoile un peu trop de choses à notre sujet, notamment sur Louis et sur les morceaux de portail, mais son commentaire sur ma force me rend fier. C’est vrai, même si je ne suis plus humain actuellement, je suis toujours capable de me battre tant que c’est pour aider les miens. J’ai presque envie de leur prouver ses dires en gonflant mon torse, mais une bagarre ici dans ce commissariat n’est peut-être pas la meilleure idée du siècle. Soucieux, je dépose Nino en sécurité sur le comptoir et me tourne vers les trois rhinocéros qui se rapprochent dangereusement de nous. Prenant un air pacifiste, je m’exprime enfin :

« Allons, allons, ce n’est pas la peine d’en arriver jusque là pour un simple lampadaire. Si vous y tenez tant, je vous aiderai à le remettre en place. Vous savez, j’étais Prince dans une autre vie, j’ai toujours les intérêts du peuple à cœur. J’ai déjà libéré un royaume entier de l’emprise d’un dragon, alors ce n’est pas un petit lampadaire qui me fera reculer, vous vous en doutez bien. Seulement, comme vous l’a dit mon ami l’écureuil, nous avons une affaire plus urgente à régler présentement. »

Les rhinocéros ont terminé d’avancer vers nous et nous regardent désormais d’un air sévère. Je crois même apercevoir un souffle énervé s’échapper de leurs naseaux. Ça ne me fait pas vraiment peur, j’ai combattu bien plus impressionnant que cela, mais je n’ai pas vraiment envie de me mettre toute une ville à dos en engageant une bagarre contre la police, surtout alors que mon objectif principal actuellement est de rassembler tous les morceaux de portail pour partir d’ici. Malheureusement, les policiers n’ont pas vraiment l’air de cet avis. Le premier rhinocéros, qui semble être le plus gradé, me toise un instant avant de me répondre :

« C’est ça, et moi je suis le président de Zootopie. En attendant vous allez surtout rester ici bien gentiment le temps que l’on vous charge d’une amende et je vous conseillerais de vous taire si vous ne voulez pas l’alourdir. Tant que j’y suis, je vais aussi appeler le département de psychiatrie pour vous, ça n’a pas l’air de tourner rond là-dedans. Un Prince, t’as entendu ça, Ben ? C’est dans le palmarès de la pire excuse que j’aie entendue, ça. »

Les deux autres rhinocéros poursuivent en faisant des bruits étonnants que je suppose être des rires forcés. Je n’aime pas trop la direction que prend cette conversation, moi qui pensais qu’en entendant mon titre les gens s’inclineraient devant moi, c’est tout de même assez vexant de voir qu’on me rigole au visage en plus de me menacer. D'ailleurs, est-ce qu'il venait de parler de Zootopie ? Je crois que je suis réellement tombé dans la ville où vivait Nick. Il faudra vraiment que je pense à lui raconter tout ceci en revenant ! Mais chaque chose en son temps. Je m’apprête à répondre aux policiers que ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse à une personne de sang royal lorsque mon œil capte quelque chose de brillant au loin. L’objet, que je ne parviens pas vraiment à identifier, se trouve sur une étagère au fond de la pièce, mais je ne pense pas que les trois gros bras devant moi me laisseront passer si j’essayais de m’en approcher. Alors, changement de plan, je pointe avec mon sabot en direction de l’étagère et crie à mes coéquipiers :

« Peter ! Nino ! Le morceau de portail ! Je crois qu’il est là ! »

Les rhinocéros se sont empressés de me saisir les pattes pour m’empêcher de faire quoi que ce soit d’autre, mais ça n’a plus d’importance. Si l’on récupère ce fragment, on se rapproche de notre ticket de sortie, et c’est tout ce qui compte.

Je vois mes deux coéquipiers se diriger vers l’étagère où se trouve le morceau de portail et tenter de le récupérer. Parfait, notre mission avance bien ! En attendant, je ne suis pas certain que de subtiliser quelque chose dans un commissariat juste sous le nez de policiers déjà bien en colère soit la meilleure idée du siècle. Il faudrait que je fasse diversion de mon côté, pour qu’ils puissent s’emparer du fragment sans provoquer un scandale au sein du bâtiment. Je me retourne donc vers les deux rhinocéros qui me tiennent encore fermement les pattes et leur crie :

« Messieurs ! Si je puis me permettre, ce sont de très belles cornes que vous avez là ! Est-ce que vous les polissez tous les jours ? »

Je crains que ma distraction, pourtant sans défaut, ne fonctionne pas, sans doute parce que les deux colosses sont déjà trop occupés à surveiller mes amis pour m’écouter. Ne leur ai-je pourtant pas dit que j’étais un Prince ? Quelles sont ces manières, d’ignorer quelqu’un d’aussi haut placé que moi ? Je n’ai pas le temps de me scandaliser, car dans le fond de la pièce, Nino referme enfin ses petites pattes sur le morceau de portail et commence à s’éloigner ; mais bien sûr, les policiers autour l’ont vu aussi et se sont mis à ses trousses. Je profite de la cohue pour me dégager de l’emprise des rhinocéros et fuir avec l’écureuil. L’avantage d’être un cheval, c’est qu’on galope quand même plus vite qu’un gros balourd comme ces policiers, alors je suis le second à mettre une patte à l’extérieur après Nino. Les deux rhinocéros me suivent, particulièrement énervés, mais heureusement le petit animal n’est plus visible ; même moi, j’ignore où il a bien pu se cacher. Mais ce n’est pas le plus important pour le moment, car il faut d’abord se débarrasser de ces gros lourdauds qui n’ont pas l’air prêt à abandonner la piste de l’écureuil.

« Allons, messieurs, enfin, ressaisissez-vous ! Vous avez bien vu comme moi que cet écureuil n’était qu’un petit enfant qui vous jouait un tour, pas de quoi en faire tout un fromage ! Laissez-le donc, ça ne vaut pas la peine de gâcher votre journée pour si peu ! Je suis sûr que vous avez beaucoup mieux à faire, il y a encore des criminels qui courent les rues, ne sont-ils pas plus importants qu’un petit écureuil sans défense ? Quant à moi, ne vous en faites pas. Je m’en vais, c’est promis, vous ne me reverrez plus ici. Là, vous voyez, tout rentre dans l’ordre n’est-ce pas ? »

Lancé de dé :
6 : Réussite critique, les rhinocéros sont parfaitement impressionnés par mon discours et retournent à l’intérieur du commissariat en se félicitant d’être de si bons policiers et en promettant d’arrêter tous les autres délinquants de Zootopie.

3-4-5 : Les rhinocéros me regardent d’un oeil mauvais et me plaquent au sol en me disant que ça passe pour cette fois, mais que la prochaine fois qu’ils me voient, ils me feront vraiment passer un sale quart d’heure et que je finirais derrière les barreaux, moi et mes deux autres compagnons, foi de rhinocéros. Ils repartent dans le commissariat l'air toujours très énervés.

1-2 : Les rhinocéros appellent les autres policiers en renfort et ils se ramènent à six pour me neutraliser. Je prends mes pattes à mon cou et galope le plus vite possible loin du commissariat, les policiers à mes trousses. Tant pis pour Nino et Peter, ils finiront bien par me retrouver ; la bonne nouvelle pour eux, c’est que les policiers ne les recherchent plus.

Je me relève du sol, vaguement énervé. C’est quoi cette police qui maltraite ainsi ses citoyen ? D’accord, je ne suis pas réellement citoyen ici, mais tout de même, je suis un cheval, et un Prince par-dessus tout, je mérite un peu plus de respect que cela ! Je grommelle en me promettant d’envoyer une lettre de plainte à la mairie, hors de question que je laisse des rhinocéros me plaquer ainsi au sol comme cela impunément ! Enfin, pour l’heure, nous avons plus important à nous préoccuper. Je veux bien entendu parler de cette quête que nous avons pour récupérer des fragments de portail. Nino devrait avoir le premier, il nous faut désormais suivre la piste du deuxième, qui se situe chez un marchand de glace, si je me souviens bien de ce que disait la lettre. Peter me le confirme et je hoche la tête en guise d’approbation. Mais au fait, où est Nino ? Nous ne pouvons pas nous permettre de le perdre maintenant, c’est lui qui a notre premier morceau !

« Nino ? Où es-tu caché, mon grand ? La voie est libre, plus de policiers, tu peux sortir ! »

En guise de réponse, j’entends soudain du bruit provenant de l’une des poubelles sur le bord de la route. Mon premier instinct est de l’ignorer, supposant qu’il ne s’agit que d’un animal qui serait tombé dedans, avant de me rappeler que dans ce monde, les animaux, c’est nous. C’est donc une vraie personne qui se trouve là-dedans et qui, à en juger par le boucan que ça fait, est en train de se débattre avec les ordures. Mon cœur de héros s’emballe, il faut que j’aille sauver ce pauvre animal en détresse ! Au moment où je m’en approche, prêt à braver la saleté et l’odeur nauséabonde qui s’échappe du contenant pour mener à bien mon sauvetage, une petite tête sort alors de la poubelle et je reconnais le sourire triomphant de Nino, en train de brandir le fragment de portail. Merveilleux ! Et aussi carrément dégoûtant, qui sait ce qu’il a pu trouver dans cette poubelle ? Il a même un emballage plastique sur la tête. Je m’apprête à l’en débarrasser, bon Prince que je suis, quand un détail sur cet emballage m’interpelle. Suivant mon intuition, je m’empresse de le saisir entre mes deux sabots et lit le logo à voix haute :

« Jumbeaux… Jumbeaux ! Ça ne vous dit rien ? N’est-ce pas le marchand de glace que nous cherchions justement ? Alors ça ! C’est une sacré coïncidence ! Bravo, p’tit gars ! »

Je lis une adresse écrite en petit sur le côté de l’emballage, mais ça ne m’aide pas beaucoup, car je n’ai pas de carte de la ville. En revanche, je peux peut-être m’aider de ça pour demander mon chemin aux passants. Sans perdre de temps, oubliant un instant mes autres coéquipiers, je traverse la rue pour me diriger vers un petit groupe d’animaux qui discutaient en face et tapote l’épaule du zèbre à ma droite pour lui demander :

« Excusez-moi, monsieur… Oh pardon, madame ! Je cherche le marchand de glace nommé Jumbeaux, où l’on vend des glaces dans des emballages tels que celui-là. Pourriez-vous m’aiguiller ? »

Lancé de dé :
Numéro pair : La dame, très sympathique, accepte volontiers et me donne quelques instructions très utiles sur le chemin à prendre pour le Jumbeaux’s Café. La remerciant, je retourne voir mes deux compères et leur annonce la bonne nouvelle. Il n’y a plus qu’à se mettre en route !
3-5 : La dame est désolée, mais elle ne connaît pas bien la ville également et n’a jamais entendu parler de Jumbeaux. Je la remercie avec une moue dépitée et retourne voir mes amis, bredouille.
1 : La dame réplique que ce n’est pas le moment de la déranger et qu’elle a mieux à faire que de m’aider. Les deux autres animaux avec elle, un lion et une girafe, n’ont pas l’air très content de me voir débarquer dans leur conversation privée. Ils me bousculent et me conseillent vivement de faire demi-tour si je ne veux pas avoir d’ennuis. Je crois qu’il vaut mieux changer de rue, ça n’a pas l’air d’être des gens très sympathiques, par ici.

Grâce à la gentille dame que j’ai interpelé, nous suivons sans mal le chemin vers le marchand de glace et arrivons quelques minutes plus tard devant leur vitrine plutôt alléchante. Je sais que l’on est ici pour chercher un morceau de portail, mais rien ne nous empêche de nous faire plaisir entre temps. J’espère qu’ils prennent les dollars, ici, car je n’ai pas vu de boutique de change. Dans le pire des cas, je n’aurais qu’à dire que je suis Prince, ils ne pourront pas me refuser quelques boules de glaces pour mes amis et moi. Je suis donc occupé à regarder les différents parfums de glace proposés à travers la vitre lorsque Peter fait une remarque à voix haute que je ne saisis pas tout de suite. Je me relève pour lire à mon tour la pancarte qu’il désigne et comprend que Nino ne sera pas le bienvenue à l’intérieur de la boutique. Qu’est-ce que c’est donc que ces manières ? Pourquoi un écureuil ne pourrait-il pas manger de glace, enfin, c’est ridicule ! Je m’apprête à exprimer à voix haute mon sentiment d’injustice, quand je réalise que je n’ai déjà plus d’interlocuteurs. Peter est entré dans le magasin sans demander son reste et Nino est parti bouder un peu plus loin sur un banc après lui avoir demandé de lui ramener une glace. Bon, très bien. De toute manière, nous n’avons pas le choix, il nous faut absolument ce fragment de portail.

Je pousse la porte de chez Jumbeaux’s d’un geste déterminé, le visage sévère. Il y a une petite file d’attente devant le comptoir, mais étant de sang royal, je suppose que je n’ai pas besoin d’attendre mon tour. Je dépasse donc les autres animaux, incitant mon ami crocodile à me suivre, et me poste devant l’éléphant occupé à déposer des boules de glace dans un grand pot. Je pose mes grands sabots d’un mouvement brusque contre le comptoir et, avant qu’il ne puisse réagir, m’offusque à voix haute :

« Vous devriez avoir honte, Jumbeaux, de discriminer ainsi les petits animaux ! Pourquoi n’auraient-ils pas le droit à quelques boules de glace, eux aussi ? Dans mon royaume, je n’aurais jamais accepté une telle chose ! J’aurais fermé votre taverne, enfin votre boutique sans préavis, c’est moi qui vous le dis ! Et je peux vous le dire, car je suis Prince. D’ailleurs, j’aimerais une boule de glace chocolat noisette, pour mon ami écureuil qui patiente dehors. Et je cherche un fragment de portail qui devrait se trouver chez vous, vous n’aurez pas vu quelque chose d’étrange briller par ici, à tout hasard ? »

Lancé de dé :

1 : C’est une défaite totale, l’éléphant me crie de déguerpir de là tandis qu’un autre, qui s’occupait de nettoyer le sol, me chasse hors de la boutique avec un balai. Je crois que je ne suis plus bienvenu ici malgré mon sang royal. Je rouspète, criant que je suis Prince et que je ne devrais pas être traité de la sorte, mais on ne m’écoute plus. Je retourne m’assoir sur le banc avec Nino, très irrité par le mauvais service client de chez Jumbeaux’s. Heureusement qu’il reste encore Peter à l’intérieur pour trouver le morceau de portail.

2, 4, 6 : L’éléphant me regarde d’un air agacé et me demande de faire la queue, comme tout le monde. Je râle un peu, mais il n’a pas l’air de vouloir répondre à mes questions tant que je n’aurais pas respecté le règlement de la boutique. Je dois dire que je suis un peu outré d’être traité ainsi malgré mon sang royal, mais soit, s’il faut que je me mêle au peuple pour mener cette mission à bien, qu’il en soit ainsi. Nous retournons donc à la fin de la file d’attente, il ne nous reste plus qu’à prendre notre mal en patience.

3, 5 : Mes paroles n’ont pas l’air de beaucoup plaire à l’éléphant, mais il finit par nous avouer avoir vu un objet brillant un peu étrange tout à l’heure en passant dans la réserve. Il refuse de nous y laisser entrer, malgré mes protestations, répétant que l’accès n’est autorisé qu’au personnel. J’ai beau dire que je suis Prince, il semble ne rien vouloir entendre. Au moins, on sait où chercher, il ne nous reste plus qu’à trouver un moyen d’y entrer sans se faire voir. Je me demande si le fait d’avoir un petit animal comme Nino comme coéquipier ne jouerait pas en notre faveur, pour une fois.