Affectueux - Agile - Altruiste - Amical - Assuré - Confiant - Curieux - Émotif - Énergique - Espiègle - Fidèle - Fier - Idéaliste - Impatient - Intrépide - Joueur - Joyeux - Loyal - Naïf - Optimiste - Protecteur - Puéril - Rêveur

Il fait vraiment noir, là-dedans. Inlassablement, Rouky donne des coups dans le vide, se débat, impatient de pouvoir glisser le museau dehors. C’est qu’il entend des voix, de l’autre côté de ces parois en tissu, et s’il ne connaît pas encore ces personnes-là, il a bien hâte de les rencontrer enfin. L’attente n’est pas si longue, mais pour le petit chiot, elle paraît interminable, jusqu’à ce qu’enfin la lumière pénètre par l’ouverture du sac dans lequel il était. Une main l’attrape par la nuque et il peut enfin mettre un visage sur les voix. Devant lui, il y a ce vieux chien gris, qui s’appelle Chef, comme il l’apprendra plus tard. Et l’homme qui le tient s’appelle Amos Slade. Lui, c’est son nouveau maître, et Rouky, il est bien trop heureux d’avoir trouvé deux nouveaux amis qu’il leur fait la fête immédiatement. Peu importe si Chef a l’air bougon, ce n’est pas ça qui arrêtera son enthousiasme. Sa petite langue de chiot à peine né vient lécher le bout du museau du vieux chien alors qu’il essaie de le renifler, ça lui est bien égal qu’il garde les sourcils froncés, il continue sans relâche de l’approcher. Finalement, son petit numéro semble porter ses fruits : Chef finit par accepter qu’il vienne se coucher dans ses pattes. Rouky sent à ce moment-là que c’est une belle vie qui commence et qu’il vient de se trouver une famille. Dans ses rêves, il les imagine tous les trois gambader joyeusement ensemble, et ça suffit à le faire sourire. Il sera heureux pour l’éternité.

Les premiers jours avec Amos et Chef se déroulent dans la joie et la bonne humeur, du moins c’est ainsi que le ressent Rouky. Le vieux chasseur lui apprend à suivre une piste avec son flair et à aboyer quand il l’a trouvé, pour le prévenir. Mais de temps en temps, le petit chiot s’amuse et se déconcentre, parfois pour suivre un papillon, parfois pour se rouler dans des feuilles, et une fois même il décide de se cacher dans un petit buisson pour faire une plaisanterie à ses deux nouveaux copains. L’oeil sévère, quand il le trouve, Amos lui dit que ce n’est pas encore l’heure de jouer, qu’il pourra s’amuser plus tard, après les leçons de chasse ; mais son sourire en coin ne trompe personne. Et Rouky revient, tout de même assez fier de ses bêtises qui le rendent attachant, pour reprendre son dressage auprès de Chef.

Un beau matin, alors que Chef et lui sont en train de boire dans leur abreuvoir près des tonneaux qui leur servent de niches, Rouky renifle dans l’air du vent une odeur bien inhabituelle. Intrigué, il commence à la suivre, mais le vieux chien pense qu’il se fait des idées. Le chiot est sûr de lui : il sent quelque chose qui provient de la forêt, alors il décide d’y aller, promettant à son superviseur de ne pas trop s’éloigner. Il sait ce qu’il fait, pense-t-il, il ne risque pas de se perdre en suivant son flair. Son nez le mène jusqu’à un petit renard qui se présente sous le nom de Rox. Content d’avoir trouvé ce qu’il cherchait en plus d’un nouveau copain, Rouky donne son nom également, et les deux enfants décident de se livrer à une partie de cache-cache qui se termine en bel éclat de rire. Le petit chien de chasse aurait bien aimé jouer avec son nouvel ami pendant des heures, mais c’est sans compter Amos, qui déjà crie son nom et siffle pour qu’il revienne. Il n’a pas l’air très content, alors Rouky décide de ne pas le faire attendre trop longtemps et prévient Rox qu’il doit partir. Mais il n’a pas l’intention de lui dire adieu définitivement : il compte bien retourner s’amuser avec lui dès qu’il le pourra. En attendant, il doit juste se faire petit, pour ne pas trop se faire gronder.

Le lendemain, quand Rox l’appelle pour venir jouer avec lui, Rouky fait attention à ne pas réveiller Chef qui dort à côté. Il a compris la leçon, il ne doit pas s’éloigner ; mais si personne ne le sait, on ne pourra pas le disputer. Alors, une fois certain que le vieux chien ne se réveillera pas, il court vers son nouvel ami et se jette sur lui avec un grand sourire. Il a hâte de passer la journée avec lui ! Ils passent l’après-midi à s’amuser comme des fous, Rouky se sent plus heureux que jamais. Il aime bien Amos et Chef, mais ils sont si vieux, ce n’est pas du tout aussi drôle quand il joue avec eux. Avec Rox, c’est différent, il a l’impression de vraiment pouvoir être un enfant. Alors, quand le petit renard lui confie qu’il est son meilleur ami, Rouky lui affirme qu’il est le sien aussi. Et ensemble, ils se font la promesse que leur amitié durera toute la vie. Malheureusement, quand Amos lui crie encore une fois de revenir, Rouky n’a pas d’autre choix que d’obéir. Il doit quitter Rox de nouveau, mais les deux copains sont bien décidés à se revoir le lendemain.

S’ils se retrouvent, effectivement, au petit matin, il y a un détail qui a changé : le petit chiot est attaché à son tonneau, plus question de retourner s’amuser dans la forêt cette fois. Mais il en faut plus pour arrêter le renard, qui décide alors de jouer ici, dans la ferme de Slade. Rouky n’est pas vraiment convaincu par cette idée : il y a Chef qui ronfle à côté et il n’a pas vraiment envie de le voir se réveiller. C’est un vieux chien de chasse, et si Rouky ne risque rien de plus que de se faire punir, il ne peut pas en dire autant de Rox. Pourtant, celui-ci semble bien insouciant, et se fiche bien de la taille de ses dents quand il soulève l’une des babines du vieux chien gris. Ça le fait rire, même, et Rouky, qui commence à vraiment avoir la trouille, le supplie de le laisser tranquille. Il ne veut pas que quelque chose d’horrible arrive à son meilleur ami.

Alors ce qui devait arriver arriva. Interpellé par l’odeur du renard tout proche de lui, Chef lève finalement les paupières et rugit en voyant Rox sous son museau. Le grondement du grand chien fait sursauter Rouky, qui part se réfugier dans son tonneau. Il se sent particulièrement impuissant, incapable de se détacher de sa laisse pour aller aider son ami qui fuit en courant. Tout ce qu’il peut faire, c’est lui crier de courir vite et espérer que le vieux canidé ne le rattrape pas. Attiré par les aboiements de son chien, Amos sort de sa maison, armé de son fusil de chasse, et quand il commence à tirer, Rouky se met en boule et se couvre les oreilles, apeuré. Des pensées abominables lui viennent en tête et il visualise mentalement le corps du petit renard troué de balles. Non, non, pitié, laissez-le tranquille ! Alors il crie, il hurle, il tente désespérément de supplier Amos et Chef d’arrêter leur course, de laisser le renard partir, mais personne ne l’entend, ou du moins personne ne l’écoute vraiment.

Pendant un moment qui semble durer une éternité, il se retrouve seul et le silence est assourdissant. Ce n’est finalement que lorsqu’Amos revient, furieux dans sa voiture au devant criblé de balles, s’insurgeant seul contre la vieille mégère d’à côté et son maudit renard, jurant qu’il finira un jour par l’avoir, que Rouky comprend que Rox est sauvé. Le soulagement dans son cœur n’est que de courte durée : cela signifie aussi que les deux amis ne pourront plus jamais jouer ensemble. Si Rox revient, Chef et Amos n’en feront qu’une bouchée, et Rouky ne pourra pas le supporter. Il ne veut pas que ses pensées sordides de tout à l’heure deviennent une réalité ; il préfère encore que son meilleur ami ne revienne jamais. Même si, à cette idée, il a réellement envie de pleurer.

Les jours passent sans que Rox ne vienne pointer le bout de son museau, et même s’il est toujours triste de ne plus passer de temps avec son ami, le chiot pense que c’est mieux ainsi. Avec le temps, il retrouve son sourire et sa bonne humeur inébranlable. Amos et Chef sont toujours là ; quand les amis partent, la famille, au moins, reste. Bientôt, l’automne arrive et avec le vent frais vient également la saison de la chasse. Toujours attaché à son tonneau, Rouky sautille partout où il peut, impatient à l’idée de pouvoir enfin faire ses preuves. On l’a bien dressé, il sait exactement ce qu’il doit faire pour que son maître soit fier de lui. Alors, quand Amos lui retire la corde qu’il avait au cou, il court monter à l’avant de la voiture, impatient qu’elle démarre, et même quand Chef lui dit que sa place est à l’arrière tant qu’il ne sera pas devenu un vrai chien de chasse, il ne se départ pas de son excitation. La voiture démarre enfin, ils chasseront tout l’hiver et ne reviendront qu’au printemps prochain. Rouky a hâte, mais alors qu’il jette un dernier coup d'œil à la ferme qu’ils laissent derrière eux, il aperçoit la silhouette de Rox à côté des tonneaux. Soudain empli de tristesse à l’idée de quitter son meilleur ami sans même avoir pu lui dire au revoir, Rouky penche la tête vers le ciel et crie de douleur. Mais il le sait, ce n’est pas ça qui arrêtera la voiture ; et c’est mieux ainsi. Il est simplement triste, ça lui paraît si injuste, d’avoir un ami et d’être interdit d’aller jouer avec.

Il n’a pas le temps d’y penser bien longtemps : bientôt, les choses sérieuses commencent. Il doit faire le bon chien de chasse et trouver des proies pour son maître. C’est laborieux au début, car le petit chiot est encore bien débutant et son esprit enfantin prend souvent le dessus, mais au fur et à mesure que les mois passent, son expertise grandit au même titre que son corps. Il est devenu un adolescent en l’espace de quelques semaines, et même s’il continue à vouloir sautiller dans la neige, il sait aussi être sérieux quand il s’agit de dénicher du gibier. Il est tout plein de volonté, et la fierté d’Amos le rend plus déterminé que jamais. Mais quand il se retrouve face à un renard, il perd de son assurance. Il pense à Rox, qu’il n’a pas vu depuis des mois, et il se rappelle de son ami fuyant les tirs du fusil d’Amos. Alors il perd ses moyens, jusqu’à ce que Chef aboie à sa place et que le renard se trouve finalement mort dans le pick-up du chasseur. Le grand chien le juge d’un air sévère, emprunt malgré tout d’une pointe de satisfaction, sûrement parce qu’il se dit qu’il ne sera jamais un aussi bon chien de chasse que lui malgré sa jeunesse et son excellent flair. Il a tort, pourtant. Car quand la neige fond et qu’il est temps de rentrer à la ferme, c’est Rouky qui détient le droit de s'asseoir sur le siège avant, cette fois ; et Chef doit se contenter de prendre place à l’arrière. C’est tout heureux qu’il secoue la tête et remue la queue au rythme de la chanson d’Amos, qui pour une fois semble d’aussi bonne humeur que son plus jeune chien. Chef bougonne à l’arrière, mais ça ne fait rien : Rouky, lui, est tout joyeux, et il chante à son tour en aboyant après avoir reçu de bon cœur le chapeau de chasseur de son maître.

Le temps passe vite quand on s’amuse, ou bien la route n’est pas si longue ; peu importe, car très rapidement, la ferme de Slade se dessine à l’horizon et Rouky se dresse fièrement, les pattes sur la vitre avant de la voiture, impatient de retrouver son chez-soi. Il est tellement content de sa toute première saison de chasse bien accomplie qu’il ne rouspète même pas quand Amos le rattache à son vieux tonneau ; la fierté dans les yeux de son maître quand il lui répète qu’il est un bon chien de chasse est tout ce qu’il lui importe. Au loin, le soleil commence déjà à se coucher sur cette première journée de printemps, mais Rouky, même s’il est épuisé, est bien trop excité pour s’endormir maintenant. C’est toujours sur un ton enjoué qu’il tente d’engager la conversation avec Chef, mais celui-ci continue de lui faire la tête et l’envoie bouler quand il essaie de le batailler pour jouer. Le vieux chien a l’air bien moins content de ses performances à la chasse qu’Amos, mais Rouky est sûr de lui : si la session a eu autant de succès, c’est en partie grâce à lui. Le vrai problème, c’est qu’il le traite encore comme un bébé. Il ne se croit pas si stupide que ce que Chef veut lui faire croire ! Faire travailler ses méninges, il peut très bien le faire quand il veut, s’il en a envie. Et sur ces belles pensées, il s’endort en souriant.

La nuit, pour la première fois depuis longtemps, il rêve que Rox vient le retrouver. Dans son rêve, il a bien grandi, lui aussi ; mais il a gardé sa petite voix d’enfant quand il lui propose de venir jouer. Rouky sourit en le voyant, il ne demande qu’à rejoindre son vieux copain pour s’amuser à deux. Mais voilà, il ne peut pas. Il est toujours attaché, et pire encore, il entend Chef arriver derrière lui. Il crie à Rox de s’enfuir, lui supplie de ne plus jamais revenir. Mais le renard fait du surplace malgré lui et c’est avec un visage terrifié que Rouky entend un coup de feu tiré derrière lui. Il se réveille en sursaut, tremblant de peur, et découvre avec soulagement que tout cela n’était qu’un cauchemar. La nuit est calme, silencieuse, excepté les ronflements de Chef dans le tonneau d’à côté. Pas de coup de feu, pas de fusil, mais surtout, aucune trace de Rox. Quelque part, c’est mieux ainsi.

Le renard ne fait aucune apparition durant les mois qui suivent. S’il a beau se dire qu’il vaut mieux cela que de le voir risquer sa vie, Rouky est tout de même un peu déçu. Il pensait que Rox serait au moins venu lui dire bonjour, après son retour, même si ce n’est qu’en coup de vent. C’est comme s’il avait tout simplement disparu. Pourtant, la vieille dame est toujours là, dans la ferme voisine. Rouky aimerait bien qu’elle vienne leur donner des nouvelles de son renard, mais Amos et elle s’évitant comme la peste, il sait bien que c’est peine perdue. Cependant, les rares fois où il parvient à croiser son regard, Rouky voit dans ses yeux une tristesse infinie, et il n’aime pas vraiment ça. Peut-être que Rox s’est échappé, peut-être qu’il les a oubliés. Ou peut-être pire que ça, … Non, il ne veut pas penser à ça.

Un jour d’automne, alors qu’Amos l’emmène à la chasse, Rouky flaire une nouvelle piste et, comme on le lui a si bien appris, prévient son maître qu’une proie se trouve près d’ici. Quand il aperçoit un pelage roux près de l’endroit qu’il vient de désigner, il est déjà trop tard pour reculer : le chasseur a déjà sorti son fusil et court à la poursuite du renard qui vient de s’enfuir. Rouky crie, il a bien trop peur que ce soit Rox, trop peur que son vieux copain soit touché par les coups du fusil d’Amos et qu’il meurt par sa faute. Mais il se rend compte en poursuivant l’animal que sa démarche est bien différente de celle de son ancien meilleur ami - plus élancée, plus féminine, aussi, peut-être. Ce n’est sûrement pas Rox, finalement. Mais ça ne fait rien, de toute façon, car la renarde les sème et ils rentrent bredouille. En revenant à la ferme, Amos lui donne une petite tape amicale sur le dessus de sa tête : même s’ils n’ont rien attrapé cette fois, il s’est encore bien débrouillé. Et, oubliant sa frayeur de la journée, Rouky part se coucher avec un extrême sentiment de fierté.

Quand il se réveille le lendemain matin, la première chose qu’il constate est qu’il n’est plus attaché. Il a toujours son collier bleu autour du cou, mais la corde a disparu. En fait, le tonneau aussi a disparu, Chef et la ferme également. Surpris et confus, Rouky commence à vouloir aboyer comme il en a l’habitude, mais se rend compte que son cri a changé. Il fait plus… humain ? Il ressemble à celui d’Amos quand il essaie de l’imiter pour plaisanter. Qu’est-ce que cela signifie ? Il baisse alors la tête vers ses pattes et découvre avec des yeux ronds stupéfaits qu’il n’a plus de pattes, mais qu’il possède désormais deux longs bras beiges, sans poils, et au bout de chacun d’eux, des mains. Instinctivement, il regarde alors son corps tout entier, et c’est là qu’il réalise : il est devenu humain. Humain, et complètement nu, à l’exception de son collier. Il n’a aucune idée d’où il est, mais une chose est sûre, c’est bien plus peuplé que la ferme d’Amos. C’est sûrement un rêve, bien que dans toute sa vie de chien, il n’en a jamais fait un d’aussi bizarre que celui-ci. Bon, il serait temps de se réveiller, à présent.