J’ai toujours aimé recevoir du courrier. À mon époque, évidemment, les téléphones et autres engins électroniques n’existaient pas, et nous devions nous montrer plus créatifs pour communiquer en longue distance. Bien sûr, la plupart du temps, nous avions un messager qui nous transmettait lui-même les paroles des souverains de royaumes voisins, mais il m’arrivait également de recevoir des lettres privées que je gardais pour moi ; généralement, celles-là étaient plus intimes et provenaient du cœur, ce qui était aussi plus appréciable. Aujourd’hui, dans ce monde, tout passe par le même procédé : la messagerie instantanée. C’est souvent bien pratique, il est vrai, et j’avoue bien volontiers que je m’y suis moi-même habitué. Mais recevoir une lettre papier a quelque chose d’unique, de plus personnel, c’est pourquoi je souris en découvrant ce matin dans ma boite aux lettres un courrier signé de la main d’un certain Peter Pan. Ce bon vieux crocodile, mon camarade d’expédition lors de notre apparition soudaine dans cette étrange ville peuplée d’animaux nommée Zootopie. Depuis notre retour dans ce monde, nous avons réussi à reprendre contact et nous sommes devenus plutôt bons amis. Jusque-là, nous ne nous étions encore jamais revus en chair et en os, mais je comprends en lisant la lettre de Peter que le jour de nos retrouvailles arrivera bientôt, puisqu’il m’avertit qu’il passera prochainement par le portail magique pour se rendre à New York. C’est parfait, je n’ai qu’à l’attendre au T&L’s bar, je comptais justement m’y rendre dans la soirée, cela ne pouvait pas mieux tomber.

M’installant au comptoir, je salue Timon et discute en racontant mes grandes épopées comme j’en ai l’habitude, quand je vois la porte menant au sous-sol s’ouvrir et un garçon arriver vers nous. Il n’a plus sa tête de crocodile, mais je suis quasiment certain qu’il s’agit bien de Peter : si je n’ai jamais regardé son film d’animation, je connais au moins le personnage, et je trouve une certaine ressemblance avec celui qui vient de débarquer depuis la salle du portail. Un sourire enthousiaste aux lèvres, je me lève de mon tabouret et fais un grand geste pour être aperçu, puis m’approche du jeune homme en m’exclamant :

« Peter ! J’imagine que c’est bien toi. C’est moi, Phil. Bon sang, ça fait tout drôle de te voir sans tes écailles de crocodiles ! Comment tu vas ? »

Puis je l’invite à prendre place sur un tabouret près du comptoir et lui demande :

« Qu’est-ce que tu veux boire ? Je te conseille une bonne bière, si ça te dit, elles sont excellentes par ici. Et ne t’en fais pas pour le prix, je prends la première tournée, ça me fait plaisir ! »

Je suis quand même un excellent hôte, même si ce n’est pas vraiment chez moi ici, c’est tout comme. Et puis, je suis plutôt ravi de voir Peter ici, depuis la dernière fois que l’on s’est vus, alors il faut bien que je le montre.

Peter sourit puis me rejoint au bar en ajoutant que ça lui fait bizarre, à lui aussi, de me voir en humain plutôt qu’en cheval. Je faisais un magnifique cheval, mais j’espère que je suis quand même plus beau en tant qu’humain ! Princier, je l’invite à commander une bière, faisant un peu de la publicité pour celle de Timon au passage. Il accepte et quelques minutes plus tard, deux pintes arrivent devant nous. Je lève mon verre pour trinquer :

« À nos retrouvailles, et surtout à nos prochaines aventures ! En espérant ne pas être retransformés en animal de sitôt. »

C’est qu’avoir des sabots à la place des mains n’a pas été une expérience très agréable pour moi, je ne pouvais même pas saisir des objets simples, un comble pour quelqu’un de fort comme moi. Par exemple, je ne sais même pas comment j’aurais réussi à boire une bière si j’étais resté un cheval : est-ce qu’il aurait fallu que je prenne délicatement mon verre entre deux sabots, ou pire, que j’y aille directement avec la langue, comme un chat lape son lait ? Je préfère encore ne pas me poser la question. Heureusement, j’ai mes deux mains à présent et je peux descendre ma pinte comme j’en ai l’habitude. Mais je ne compte pas passer toute la journée au bar, surtout alors qu’il y a tant de choses à faire ! Je me tourne vers Peter et lui demande :

« Tu es déjà venu à New York ? Tu as une idée de ce que tu aimerais faire ? Il y a beaucoup de choses à voir et à faire dans cette grande ville, on ne risque pas de s’ennuyer ! »

C’est un paradis pour les touristes, avec tous les spectacles, les monuments et autres musées à visiter, mais aussi quelques bonnes activités à faire auxquelles on ne pense pas toujours. Dans tous les cas, Peter ne peut décemment pas reprendre le portail vers Londres sans être sorti du bar une seule fois, ce serait un vrai gâchis, même s’il est vrai que les bières sont très bonnes.

Peter me confirme que c’est sa première visite de New York, ce qui me remplit déjà de fierté, car il n’aurait jamais pu trouver meilleur guide que moi dans cette ville. Dommage qu’il n’ait pas d’envie particulière, il va falloir que je sélectionne parmi toutes les activités possibles et imaginables à faire ici pour qu’il passe une journée exceptionnelle, mais heureusement, je ne manque pas d’idées. Je balaie mentalement toutes les visites de musées ou les balades tranquilles, Peter ne me semble pas être du genre à vouloir passer des heures à se remplir la tête de choses trop sérieuses. Moi, j’aime bien de temps en temps aller admirer quelques galeries d’art ou me renseigner sur les événements de l’Histoire, surtout quand il s’agit de grandes batailles épiques, mais aujourd’hui, j’ai plutôt envie de m’amuser.

« Bon, tout d’abord, il n’est pas question que tu repartes d’ici sans avoir vu Times Square ou encore Central Park. C’est complètement incontournable. On n’a qu’à commencer par là, puis si tu as un petit creux, je t’emmènerais manger les meilleurs hot dogs du continent. Je n’exagère pas, il m’a suffit de les goûter une fois pour ne plus pouvoir m’en passer. »

Je pourrais y aller tous les jours si je ne faisais pas un peu attention à ma silhouette. Il ne faut pas non plus que je devienne trop gras, ou je perdrais de ma crédibilité en tant que héros fort et musclé. Mais un hot-dog de temps en temps ne peut pas me faire de mal, et cela fait déjà un petit moment que je n’y ai pas été, alors je peux bien me le permettre. Je finis ma pinte, laisse un pourboire à Timon et fais signe à Peter de me suivre hors du bar. Comme prévu, je prends mon rôle de guide très au sérieux et l’entraîne vers Times Square, d’où l’on peut déjà voir les grands immeubles se dresser un peu plus loin.

À mon arrivée dans ce monde, j’ai eu beaucoup de mal à m’acclimater à cette nouvelle ville, beaucoup plus moderne, plus peuplée, plus lumineuse que mon ancien royaume. La proximité avec la nature m’a très vite manqué, je ne voyais qu’une mer noire de monde, des humains qui vivaient tête baissée sur leurs espèces de boîtes rectangulaires dont j’appris plus tard qu’il s’agissait de téléphones. Mais avec le temps, j’appris à m’y faire. Aujourd’hui, je trouve cette ville grandiose, spectaculaire. Pas de fée ni de sorcière par ici, pourtant cet endroit me semble presque plus magique que mon royaume d’origine. Bien sûr, mon ancienne vie me manque toujours un peu, la beauté des paysages naturelles, le calme de la forêt, le chant des oiseaux, les cieux nocturnes remplis d’étoiles ; mais il émane de New York une telle aura, une énergie, une vitalité qui la rend si animée, si addictive qu’on veuille toujours y revenir. Je pense sincèrement que si je retrouvais ma place dans mon ancien monde, New York finirait par me manquer.

Comme il fallait s’y attendre, Times Square est empli de monde sur chaque trottoir et dans chaque magasin. Les grands écrans publicitaires illuminent la place en cette fin d’après-midi et nous informe des dernières sorties au cinéma ou des spectacles phares de Broadway. Il suffit de lever un peu la tête pour voir toutes les couleurs du monde en une seule fraction de secondes. Parfois, j’imagine ma tête apparaître sur l’un des écrans, avec mon nom écrit en grandes lettres dorées. PHIL STRONGMAN, UN HÉROS AU GRAND COEUR ou quelque chose comme ça. Un jour, peut-être, ce sera le cas. Donnez-moi un dragon à abattre, qu’on me reconnaisse enfin à ma juste valeur. Ce n’est sûrement qu’un doux rêve, mais rien ne semble impossible dans une ville comme celle-ci. Alors, pourquoi pas ?

« Ça doit te changer de Londres, non ? Tout est complètement démesuré ici, très excessif, excentrique même. Mais c’est ce qui fait son charme, je dirais. Ça donne l’impression qu’on peut faire absolument tout ce qu’on veut. C’est peut-être ça qu’on appelle le rêve américain. Moi, je rêve qu’un jour cette foule immense scande mon nom haut et fort, mais pour le moment je me contente d’être un héros anonyme. La gloire viendra peut-être plus tard. Toi, ce serait quoi, ton rêve le plus fou ? »

Développer le sens du jeu et de l’imagination. Je réfléchis un moment. C’est vrai qu’en tant qu’adulte, c’est quelque chose qu’on laisse parfois un peu de côté, pour s’occuper de choses plus sérieuses. Moi-même, si j’aime bien me divertir de temps en temps, je préfère quand mes actions sont utiles, que ce soit en entraînant d’autres à faire du sport ou en partant en mission sauvetage d’une personne en détresse. Mais dans un sens, Peter a raison, c’est aussi important de garder une petite part de son enfance en chacun de nous. Bien sûr, étant né au sein d’une famille royale, je n’ai jamais eu beaucoup de temps pour m’amuser, même étant bien plus jeune ; mais j’ai appris que parfois, c’était bien aussi de se détendre et de ne pas tout prendre trop sérieusement.

« Utopique, peut-être, mais ça vaut le coup d’essayer à ton échelle. Moi, j’aimerais être capable de sauver la Terre entière, mais c’est impossible, alors je me contente de porter main forte au moins aux personnes que je croise. Je pense que t’as raison, y en a qui gagneraient à se détendre un peu et laisser parler leur imagination de temps en temps, mais parfois, malheureusement, c’est compliqué, car nos responsabilités finissent toujours par nous rattraper. »

Par chance, je suis plutôt doué moi-même pour jongler entre mes responsabilités et mon temps personnel, mais ce n’est pas toujours le cas de tout le monde. Au moins, Peter pourrait-il aider ces gens-là, s’il en est capable. Mais ce n’est pas le moment de rentrer dans ce genre de débat, nous sommes ici pour passer une journée exceptionnelle dans cette grande ville iconique des Etats-Unis et j’ai bien l’intention de continuer à jouer les guides parfaits. Entraînant Peter dans une rue de Times Square, je lui suggérais :

« Veux-tu acheter un souvenir à ramener à Londres ? Ici, tu es obligé de trouver absolument tout ce que tu veux. Il y a des boutiques de toutes sortes. Plutôt vêtements, nourriture, objets de décoration ? Sinon, il doit y avoir quelques magasins de jeux par là-bas. Jeux de société ou jeux vidéo, il y en a de toutes sortes ! Comme je te disais, ici, tu es forcé d’y trouver ton bonheur. »

Je n’y connais pas grand-chose, en jeux, pour être honnête, mais j’imagine que Peter aurait ses préférences. Ou bien, si ça ne l’intéresse pas d’acheter quelque chose, rien ne nous empêche d’aller tout de suite vers Central Park pour la suite de la visite.

Peter a l’air de prendre ma proposition de s’acheter un souvenir avec beaucoup d’enthousiasme, mais je ne suis pas surpris, puisque j’ai rarement de mauvaises idées. En fait, j’ai même toujours des idées excellentes, ce qui m’aide bien dans ma vie de héros. Nous nous dirigeons donc vers l’une des grandes rues commerçantes de Times Square afin qu’il puisse observer les vitrines et choisir le magasin qui l’intéresse. Nous entrons dans une boutique à deux étages remplies de babioles en tout genre, la plupart étant décorées aux motifs du drapeau américain. Un vrai attrape-touristes, mais qui ferait l’affaire pour ce que recherche Peter. Nous déambulons dans les rayons chacun de notre côté et je prends à cœur ma mission de lui dénicher le meilleur objet qu’il puisse trouver ici. Je suis son seul guide de la journée, alors j’ai bien l’intention de faire en sorte que sa visite de New York lui soit inoubliable : ainsi, il pourra chanter mes louanges jusqu’à Londres. C’est alors que je m’arrête devant une superbe figurine de la Statue de la Liberté en métal argenté. Pourquoi pas ? Je la saisis et lève la main pour la montrer à Peter :

« Qu’est-ce que tu penses de ça ? C’est typique et plutôt joli. Ça rendrait bien dans un salon. »

Je le laisse décider s’il souhaite prendre la figurine - mais encore une fois, j’ai toujours de superbes idées, alors je ne vois pas pourquoi il refuserait. Une fois nos emplettes ici terminées, nous retournons dans la rue marchande en quête d’une boutique de jeux de société. Je dois admettre m’y connaître un peu moins, dans ce domaine, je n’ai jamais vraiment pris le temps de jouer, toujours bien trop occupé à m’entraîner à la salle ou à partir à l’aventure. Mais je pense que Peter saura compléter mes lacunes, puisque si je me souviens bien, il m’a déjà dit travailler lui-même dans un magasin de jeux, à Londres. C’est pourquoi, alors que l’on entrait dans une boutique spécialisée dans ce domaine, je lui affirmai :

« Je te laisse choisir, cette fois, tu sauras sûrement mieux que moi ce qui te ferait plaisir. Pour ma part, je vais observer un peu tout ce qu’ils ont. Je ne compte pas acheter quelque chose, mais ça ne me ferait pas de mal de voir un peu ce qu’il existe et à quoi les gens aiment jouer. »

Ce serait sûrement bénéfique pour moi de connaître quelques grands noms de jeux pour briller en société. Je pourrais passer pour quelqu’un dans le vent et l’on m’aimera certainement encore plus qu’actuellement. Je parcours donc les rayons en lisant quelques descriptifs sur certaines boîtes, mais n’ayant aucune expérience dans ce domaine, je me rends vite compte que je ne comprends pas grand-chose. Pourquoi tout est aussi compliqué ? Moi qui pensais que les jeux étaient justement faits pour s’amuser et non pas pour se prendre la tête. Après quelques minutes, je soupire finalement de déception et rejoins Peter qui attend à la caisse avec son nouveau jeu. Je lui demande par curiosité :

« Alors, qu’est-ce que tu as acheté ? »

Puis je lance un nouveau regard vers le reste de la boutique et rajoute :

« Dis donc, il y a plein de jeux avec beaucoup de règles, ils ont l’air bien compliqué. Ça parle de plateaux, de pions, de pièces, de cartes avec des capacités spéciales et j’en passe. Bien sûr, pour moi ce n’est pas un problème puisque je comprends très vite, mais pour des enfants, ça peut être facile de s’y perdre un peu, non ? »

Je n’ai aucune idée de ce que me baragouine Peter quand je lui demande le nom des jeux de société qu’il a achetés, mais je hoche la tête néanmoins pour lui faire croire que je sais totalement de quoi il parle. Hm hm, oui bien sûr, le fameux Sakiragawa machin, ou quelque chose comme ça, bon, je ne suis pas à une syllabe près. En tout cas, il a l’air plutôt content de son choix, alors c’est le principal, même si je ne comprends pas grand-chose aux jeux de plateau. Je lui pose d’ailleurs une question à ce sujet qui me taraude l’esprit depuis l’instant où nous sommes entrés dans cette boutique, car je me trouve en effet assez étonné de voir que l’on propose des choses aussi compliquées pour faire jouer des enfants. Bien sûr, quand j’étais petit, l’époque était bien différente et il faut dire que je n’ai jamais vraiment eu d’enfance de par mon sang royal. Je n’avais guère beaucoup de temps pour m’amuser, car mes responsabilités de prince étaient arrivées au moment même où j’ai vu le jour. À mes huit ans, l’on avait déjà décidé de me marier à la princesse d’un royaume voisin qui venait tout juste de naître et lorsque je devais faire usage de stratégie, ce n’était pas en face d’un petit jeu de plateau avec des dés et des cartes, mais devant des troupes armées qui n’attendaient plus que les ordres de la famille royale pour aller attaquer nos ennemis. Alors, je dois bien admettre qu’il est surprenant pour moi de voir des choses si compliquées destinées aux enfants pour le simple plaisir de jouer.

Mais Peter m’explique alors que les jeux de société ne sont pas seulement destinés aux enfants et que des personnes plus âgées, voire même des adultes peuvent également y jouer. Autant je ne suis pas étonné que Peter, le garçon qui ne voulait pas grandir, s’amuse avec ce genre de jeux, autant j’imagine assez mal des hommes tels que moi s’y laisser prendre. N’avons-nous pas mieux à faire que de déplacer quelques pions sur un plateau ? L’idée me fait sourire, personnellement, je ne me verrais pas passer des heures à jouer aux cartes - à moins d’y gagner quelque chose derrière, évidemment. Pour me distraire, je préfère largement aller voir des amis pour leur raconter mes dernières grandes aventures, ou bien aller chez Timon boire quelques bières.

« Ça en soulève quelques autres, pour être honnête. Je n’imaginais pas que des adultes puissent vouloir jouer à ce genre de choses. Mais tant mieux pour eux, s’ils ont du temps à tuer et qu’ils y trouvent leur compte. »

Je me sens autant à ma place dans cette boutique qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine, alors je ne suis pas mécontent lorsque l’on en sort enfin. Ça me fait plaisir de voir que Peter prenne autant goût à sa visite de New York - certainement grâce à ma présence - mais je n’aime pas ne pas tout comprendre à ce qui m’entoure et il faut avouer que les boites de jeux de société ont cet effet là sur moi. Plus tard, peut-être, je saurais tout ce qu’il y a à savoir sur celles-ci et je pourrais déambuler dans les rayons de ce magasin sans me sentir perdu ; après tout, encore quelques années plus tôt, les téléphones et la technologie moderne en général me donnaient la même impression. Mais pour le moment, je préfère reprendre notre balade à travers cette grande ville américaine et continuer à en mettre plein la vue à Peter avec mon savoir et mes connaissances.

« Je pense que tu apprécieras Central Park. Ce n’est pas très loin d’ici, à quelques minutes à pied. Je ne te propose pas de prendre les transports en commun, c’est beaucoup plus agréable de marcher et ça te permet aussi de voir un peu la ville. »

Pas besoin de carte, je connais cet endroit comme ma poche. J’entraîne mon ami dans les rues de New York en direction du parc sans trop d’hésitation sur le chemin à prendre - j’ai toujours eu un excellent sens de l’orientation. Tandis que nous marchons, je lui indique parfois quelques endroits intéressants de la ville - des monuments historiques, quelques belles fresques murales, ou bien des enseignes de restaurants dans lesquels j'ai déjà bien mangé. Puis je retire un instant ma casquette de guide exceptionnel pour celle de bon ami pour discuter simplement, sans cesser de nous diriger vers notre destination :

« Parfois, je ne saurais dire si je préfère New York ou mon ancien royaume. Je dirais qu’il y a de bons et de mauvais côtés dans les deux. Bien sûr, ma femme me manque terriblement, mais j’ai fait de bonnes rencontres ici également. Tu n’es pas de ce monde non plus, toi, je me trompe ? C’était comment, d’où tu viens ? »

Bien sûr, si je pose ce genre de questions, c’est principalement pour pouvoir y répondre moi-même par la suite afin de m’étendre sur mon sujet favori : moi. Mais je suis tout de même curieux d’en savoir plus sur le monde de Peter, puisque je n’ai jamais pris la peine de visionner le film dont il tire son origine. Je me demande s’il est aussi fascinant que le royaume où je vivais autrefois - même si, bien évidemment, je doute qu’il ait déjà vécu des aventures aussi fantastiques que les miennes.

Des enfants perdus ? Des pirates ? J’ai un peu du mal à imaginer ce qu’il y a de magnifique là-dedans, à part peut-être de bonnes raisons de partir à l’aventure pour sauver quelques innocents contre des personnes malveillantes. Dans tous les cas, il est certain que mon royaume d’origine n’a rien à envier au pays de Peter Pan. Des forêts et des fées, on en avait par chez moi aussi, mais je doute que les siennes soient aussi splendides que celles que j’avais eu le plaisir de rencontrer durant ma jeunesse. Comme je m’y attendais, Peter me demande en retour comment était mon royaume, et je laisse planer un peu de suspens, gardant un petit sourire mystérieux avant de répondre :

« C’était immense. Merveilleux. Je vivais dans un château gigantesque, surplombant un paysage magnifique. Imagine le décor : des bois à perte de vue, une nature belle de mille couleurs, des animaux qui n’hésitaient pas à pousser la chansonnette. Nous avions des fées, nous aussi, qui de leur baguette rendaient notre vie plus lumineuse encore. Des sorcières également, que j’aimais beaucoup moins bien sûr. Je te l’ai sûrement déjà raconté, mais j’ai d’ailleurs vaincu l’une d’elles auparavant, tandis qu’elle était sous la forme d’un dragon. C’était la belle époque. »

Je m’y revois encore, aux côtés de ma belle princesse, dans ce monde merveilleux qui me manque parfois. J’aurais sûrement du mal à quitter New York, si j’avais le choix d’y retourner un jour, mais il est vrai que je me sens nostalgique de temps en temps, quand j’y repense. Je me demande si Peter ressent la même chose vis-à-vis de son pays natal, ou s’il se plaît assez à Londres pour l’oublier. Mais je suis certain que s’il visitait mon royaume un jour, il ne voudrait plus le quitter.

Nous arrivons finalement devant Central Park et je laisse à mon ami le temps d’admirer la vue. Ce n’est certainement pas aussi grandiose que les forêts que j’avais par chez moi, dans mon royaume, mais ça vaut tout de même le détour. J’entraîne Peter pour une petite balade à l’intérieur du parc. Il y a un peu de monde, mais beaucoup moins qu’à Times Square, ce qui est tout de même un peu plus agréable pour marcher. Quand nous arrivons près d’un lac, où barbotent tranquillement quelques canards, je demande finalement :

« Qu’est-ce que tu penses de la vue ? J’aime bien cet endroit, ça change un peu des buildings entassés partout ailleurs dans New York. L’air y est un peu meilleur, aussi. »

Je viens ici parfois, généralement le matin, pour courir un peu et rester en forme. Nous reprenons la marche et passons devant un petit stand qui vend de la limonade bien fraîche. Ça tombe à pic, je commençai à avoir un peu soif. Je m’approche et paie deux verres, servis avec une paille. Je tends l’un d’eux à Peter et sirote le mien. On arrive bientôt à la fin de la visite, mais je nous réserve une dernière chose à faire après cette balade. Il ne pourra pas dire que je ne suis pas un guide exceptionnel, ça c’est certain !

Arrivé à la fin de ma limonade, je jette mon gobelet en plastique dans une poubelle de recyclage - car je suis un Prince et que je me dois de sauver la planète - puis Peter me rappelle qu’il commence à se faire tard et qu’il ne devrait pas tarder à repartir. Moi qui pensais que cette magnifique visite de New York l’aurait convaincu d’y rester ! Bon, mais je comprends, il a toute sa vie à Londres, il faut bien qu’il y retourne un moment ou un autre. Il me demande si j’ai quelque chose d’autre à lui montrer et je souris avant de répondre d’une voix qui se veut mystérieuse :

« Hm hm, oh non, pas grand-chose d’autre, si ce n’est… »

D’un geste théâtral, je me retourne et pointe du doigt le meilleur endroit de New York à mon goût : un stand de hot dogs juste en bordure de Central Park. J’en salive d’avance rien que d’y penser, même si je fais attention à ce que je mange pour garder un corps de héros, je ne pourrais pas me passer de ceux-là.

« Je t’avais promis les meilleurs hot dogs de New York, les voilà. Que dis-je, de New York ? Du monde entier ! »

C’est-à-dire que je n’en ai jamais goûté d’autres ailleurs mais je suis certain qu’ils ne seraient pas aussi bons que ceux-là. C’est bien une chose qui me manquerait lorsque je devrais retourner dans mon royaume : les spécialités culinaires de cette époque dépassent largement ce que l’on y faisait au Moyen- ge. J’entraîne Peter vers la roulotte jaune et rouge qui nous attend patiemment et salue le cuisinier :

« Salut Tony ! Je te ramène encore un nouveau client, comme tu vois. C’est mon ami Peter, il habite à Londres, mais je pense qu’après avoir goûté ce que tu fais, il voudra habiter dans le coin. »

Je rigole un peu avec mon bon vieil ami Tony puis lui commande deux hot dogs. Lorsqu’il nous les sert, je croque dans le mien sans attendre, toute cette bonne odeur m’ayant largement ouvert l’appétit. Comme je suis un Prince élevé dans les bonnes manières, j’engloutis tout mon sandwich avant de reprendre la parole, pour ne pas parler la bouche pleine :

« Alors, n’avais-je pas raison ? Les meilleurs hot dogs de la planète, sans hésitation. »

Je m’essuie la bouche et les mains dans une serviette en papier que je jette ensuite dans une poubelle - chaque geste compte - puis ajoute :

« Bon et bien, puisque toutes les bonnes choses ont une fin, j’imagine que tu dois rentrer. Je vais t’accompagner jusqu’au bar pour que tu reprennes le portail. J’espère que tu as apprécié la journée, en tout cas. Il ne faudra pas que tu hésites à me faire signe quand tu voudras revenir, je connais encore beaucoup de coins sympas, tu es loin d’avoir tout vu ! »

Je lui adresse un clin d'œil amical puis le guide tranquillement jusqu’au bar.