Bad idea

soyons jeunes, soyons fous

Assise devant la télévision, je me débattais avec moi-même : devais-je vérifier une troisième fois si tout était bien fermé et verrouillé? Je savais que c’était stupide, je devais me faire plus confiance que ça. J’avais bien fait les choses. Il n’y avait aucune raison logique à ce que j’ai oublié un verrou. Aucun appel pour me déconcentrer et plus de Biscuit pour me faire dévier d’une trajectoire. Car oui, je dois l’avouer que parfois j’évitais la zone où il se trouvait. J’avais été agacée par sa présence bien longtemps, mais maintenant qu’il n’était plus là, ça me rendait parfois triste, car ça me rappelait qu’Oliver avait quitté le nid. Je savais bien que c’état normal et d’un côté, j’étais fière de lui, mais je me sentais seule. Ça me faisait un vide de ne plus m’occuper de mon fils adoptif.

Certes, J’étais moins seule depuis le retour de Clawd, mais il était souvent absent pour ses enquêtes, comme ce soir. Je savais que son travail était important et qu’il le faisait pour Oliver et moi, mais être seule me rendait parfois anxieuse. Un petit documentaire sur le thé m’aiderait sans doute à me détendre. Je réfléchissais trop par moment et ça me faisait du mal. Je tentais de m’installer confortablement avec une couverture et une bonne tasse de thé et franchement, je me sentais mieux.

J’étais un peu plus calme lorsqu’on frappa à la porte. Instantanément mon stresse monta en flèche. Je savais que ce n’était pas Clawd qui rentrait ni Oliver qui passait. Les deux avaient la clef et m’auraient texté afin que je retire les autres verrous. Ce n’était pas Gram, l’étrange petit copain d’Oliver, car lui ne frappait jamais aux portes et puis il n’avait aucune raison de venir me voir… ce qui me laissaient l’option des ennemis. Il était un peu étrange qu’ils cognent, mais c’était sans doute un stratagème. Je couru à la cuisine chercher un couteau avant de retourner à la porte. Le cœur battant, je jetais un œil par le judas. Je m’attendais à bien des choses, mais clairement pas à ça : Jayden qui se déhanchait devant la porte, porté par la musique de son casque. Il était difficile de rater les énormes sacs qu’il portait.

Je me calmai un peu, cachant le couteau dans le porte parapluie. Je n’avais pas envie de passer pour une folle! Je ne voulais pas que les regards intéressés qu’il me lançait parfois ne se transforment en crainte! Bon, je me faisais sans doute des idées là-dessus. Si ça se trouvait, il me regardait parce que je le regardais? Une part de moi avait bien envie de croire qu’il y avait du désir lorsqu’il posait les yeux sur moi, mais j’étais plus vieille que lui de quoi, dix ou douze ans? Un beau jeune homme comme lui devait s’intéresser aux filles de son âge! Je chassais les films que je me faisais tout en déverrouillant les verrous et ouvrant finalement la porte.

-Bonsoir Jayden? Tu m’as fais peur!

J’attendis qu’il retire son casque avant de poursuivre, ce qui me donna un instant de plus pour reprendre une respiration presque normale.

-Tu venais pour une réunion? Clawd m’a dit que c’était demain je crois?

Je lui fis un léger sourire. Le pauvre, il avait fait tout ce chemin pour rien. Je trouvais dommage de le renvoyer chez lui. Et puis j’avais envie d’un peu de compagnie, ce serait bien d’avoir quelqu’un avec qui parler. Peut-être que si nous étions que tout les deux, j’arriverais à savoir si je me faisais des idées à propos de ses regards?

-Tu veux venir déposer la nourriture? Elle sera déjà là pour demain. Ce serait stupide que tu la ramène chez toi pour la trainer à nouveau ici demain soir.

Je m’écartais afin de le laisser entrer et je fermais derrière lui. Puis nous nous rendîmes à la cuisine.

-Tu veux boire une tasse de thé avec moi? Ou je peux faire du café si tu préfères?

J’essayais de ne pas avoir l’air trop insistante, mais je voulais être accueillante, qu’il ne se sente pas obligé de partir immédiatement.

Ding dong chante la sonnette, mais Jayden ne l’entend pas, de la musique plein les oreilles. Et quand le refrain tombe, ouais, il a pas le choix que de bouger la tête en rythme, gauche, droite, gauche, droite.

I'm a Barbie girl in the Barbie world
Life in plastic, it's fantastic
You can brush my hair, undress me everywhere
Imagination, life is your creation

Petit déhanché, un tour sur lui-même, hop. L’énergie qui déborde de tous les côtés, la faute au soleil qui a trop brillé aujourd’hui. S’il fait beau dehors, alors, c’est au beau fixe aussi dans son cœur.

La porte s’ouvre, Jayden s’arrête. Le casque termine autour de son cou, fin de la fête. « Salut ! » Et son sourire éclatant de gaité ne tarde pas à perdre un peu de sa clarté. « Oh, pardon, je voulais pas te faire peur. » qu’il se hâte de s’excuser, un sourire désolé, le cœur battant à l’idée d’avoir (déjà) merdé. Et il est bien content d’avoir enfilé le super T-shirt rouge qu’il a chopé sur Vinted la semaine dernière, parce qu’il sait pas pourquoi, mais il a pas envie qu’elle pense n’importe quoi quand elle le voit.

Enfin, si, il sait pourquoi. Parce que lui, quand il la voit, y a justement des fois où il se met vraiment à s'imaginer n’importe quoi. Y a d’abord eu des regards un peu longs et des pensées à la con, à se dire qu’elle est canon, que pour ce genre de femme, il serait prêt à lui récurer gratuitement tout son appartement. (Ta gueule, Jayden.) Puis, fut un soir où ses iris pris en flagrant délit ont cru déceler une lueur tout aussi intéressée dans les yeux bleus de Mally. Et là, c’était fini. Le cerveau n’en demandait pas plus pour continuer à concocter ses petits scénarios et voilà Jayden parti, à sentir ses réflexions s’embrouiller pendant les réunions, jusqu’à complètement lui échapper sitôt que Mally passe dans son dos pour se préparer un thé ; à acquiescer devant Alice et Clawd sans les écouter vraiment. Oui, oui la tête affirme, quand son esprit est accaparé malgré lui par de tout autres films, du style, les doigts de Mally qui se perdent dans ses boucles brunes pendant qu’il lui embrasse la nuque. Qu’est-ce qu’il se passerait, si sur un malentendu entendu, ils- (Ta gueule, Jayden !!)

Ah shit, here we go again.

Il sait pas si c’est printemps qui lui fait cet effet-la, si c’est parce que sa dernière aventure remonte à plusieurs mois, ou bien les deux à la fois. Y a des périodes, comme ça, où une drôle de solitude vient le trouver, malgré tout ses efforts pour rester occupé, entouré. Et le cœur en manque d’affection réclame soudain la chaleur d’un autre corps, se persuade que ça lui manque de se créer de jolies illusions qui ne mèneront à rien dans les bras de quelqu’un. Et Mally lui plait bien.

Alors, forcément, il attendait chaque nouvelle réunion impatiemment.

Mais débarquer un jour en avance, ça, il ne l’avait encore jamais fait.
« QUOI ? MAIS NON. » La surprise lui a arraché un cri. Oups. Et fidèle à lui-même, Jayden en fait des caisses, à rejeter la tête en arrière pour regarder le plafond, comme abattu par l’information. « Ah putain, je suis trop con. » À tous les coups, c’est une date qu’il a mal notée. Ça lui arrive de temps en temps, quand son esprit surmené fait le trie malgré lui, c’est qu’entre le travail, sa mère, la paroisse et le centre communautaire, Jayden croule sous les choses à ne pas oublier, sa to do list se renouvelle sans jamais diminuer.

Bon, tant pis, c’est trop tard, maintenant qu’il est ici, plus qu’à assumer sa connerie.

D’autant que Mally l’invite à entrer déposer ce qu’il a apporté, il va pas refuser. Il acquiesce en sautillant pour enlever ses fausses converses et les abandonner dans l’entrée avant de la suivre à la cuisine. « Tu veux boire une tasse de thé avec moi ? » Ah, tout ce que tu veux, hein. Et il sait pas vraiment pourquoi ça le prend ni même pourquoi ça lui semble soudain être l’occasion rêvée de pratiquer son français. « Oui, je veux un thé s’il te plaît. J’ai… » Une grimace en se heurtant si tôt aux frontières de son vocabulaire et de ses connaissances en grammaire. « J’ai déjà fait et j’ai… » Comment on conjugue boire au passé, déjà ? « … mangé un café sur le… voyage. » Il a beau y mettre toute sa bonne volonté, non, vraiment, c’était la pire idée. « J’essaie de parler français quand je suis ici, mais c’est trop chaud. » Pourtant, il fait ses exercices tous les jours sur Duolingo. « Je voulais dire que j’ai bu un café sur la route, donc let’s go pour un thé. Je te laisse choisir lequel. » Qu’il lui répond en commençant à vider ses sacs, les traits toujours éclairés de bonne humeur. « Du coup, j’ai fait des lasagnes et des cookies au beurre de cacahuète, Alice m’a dit qu’elle en avait jamais mangé et c’est grave sous-coté en vrai je trouve. Tu peux en prendre un si tu veux. » Il imagine pas la dégaine de scout qu’il doit avoir, à brandir son Tupperware de cookies avec un grand sourire et l’espoir de faire plaisir. « Ah et j’ai pris à boire, dont ce truc dégueulasse, parce que je voulais leur faire goûter et faire rayonner ma culture un peu… » Les bouteilles de Bacon Soda atterrissent à leur tour sur la table sous son œil malicieux. Ça, il ne lui en proposera pas. « Et aussi pour voir la tête de Clawd. » Un petit rire se coince entre ses lèvres scellées dans un rictus espiègle. « Il va trop juger. » Et quand la critique de ses iris ne fait pas cavaler son cœur à mille à l’heure, ça le fait plutôt bien marrer, il doit l’avouer. « Je suis trop débile quand même, j’étais persuadé que le meeting était aujourd’hui, demain aprem je dois animer un anniversaire en plus, je risque d’arriver en retard si je veux pas débarquer en Tortue Ninja… » Nouveau rire léger, cette fois-ci pour camoufler la gêne qu’il s’inspire. Qu’est-ce que je dis, faut que j’arrête de raconter des conneries. Jayden qui voudrait se la jouer un peu plus cool qu’il ne l’est vraiment, sans savoir comment.

Alors, une fois ses sacs vidés et aussi, car il sent qu'il est encore en train de trop parler, Jayden laisse son regard un peu errer dans la pièce, papillon que tout intéresse. Partout où l’œil se pose, Jayden trouve quelque chose à regarder, à admirer. Les jeux de lumière des lampadaires à l’extérieur, les détails de la décoration à l’intérieur, l’arche qui sépare la cuisine du salon, les dessins d’enfant et les aimants colorés qui les maintiennent contre le frigo. Et puis, Mally. « T’as besoin d’aide ? » qu’il propose en la rejoignant, sans même être certain de savoir doser une cuillère à thé. Qu’importe, Jayden ne demande qu’à se rendre utile, incapable de ne rien faire. Et c’est là que le calme des lieux le frappe soudain. « Mais du coup… T’es toute seule ce soir ? Comment ça se fait ? »

Bad idea

soyons jeunes, soyons fous

Jayden s’excusa aussitôt pour la frayeur qu’il m’avait causée. Son sourire perdit un peu de son éclat un court instant, me faisant penser que j’aurais peut-être du garder cela pour moi. Quoique, je voulais expliquer l’air bizarre que je pouvais avoir en ouvrant la porte. Donc c’était sans doute mieux cette explication plutôt qu’il ne croie que je ne voulais pas le voir. Car j’étais plutôt contente qu’il soit là lors des réunions. Parfois, je faisais exprès de passer plus souvent que nécessaire dans la cuisine pour le regarder et observer son regard qui semblait me suivre. Parfois je me disais que je me faisais des idées. Il y avait sans doute trop longtemps que je n’avais pas sentir la chaleur d’un corps contre le mien.

La réaction du jeune homme à propos de la réunion fut instantanée et exubérante. Je ne le connaissais pas depuis longtemps, mais ça me semblait tout lui. Il en faisait beaucoup et ça le rendait attachant… et mignon. Mais ce ne l’était pas autant que quand il tenta de parler français. J’essayai de ne pas rire, mais mangé un café sur le voyage fit apparaitre des images plutôt drôle dans mon esprit. J’imaginais le jeune homme mangeant des grains de café et c’était amusant. Je le corrigeai gentiment :

-Bu un café sur le trajet. Le français n’est pas une langue facile, mais tu progresses. Je trouve l’effort… mignon.

Je ne sais pas trop ce qui m’a pris de le dire à voix haute, mais c’est fait, je ne pouvais pas revenir en arrière, autant assumer et continuer comme si je n’avais rien dit de particulier. Je me détournai afin de préparer le thé. Il disait que parler français c’était trop chaud, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce n’était pas la seule chose qui était chaud dans cette pièce. Je regardai dans mon armoire à thé afin de choisir ce que serait le mieux, mais aussi pour essayer de chasser ce genre de pensé qui me parasitait un peu trop ce soir. Ne sachant pas, je pris un bon vieux earl grey. Tout en écoutant Jayden parler de la nourriture qu’il avait amenée, je mis de l’eau à bouillir. Il me proposa un cookie. Je ne me fis pas prier, plutôt intriguée.

-Je ne savais pas qu’on pouvait faire des cookies avec du beurre d’arachide. Il faut dire que je ne connais pas beaucoup le sujet. Je crois que c’est plus répandu en Amérique le beurre d’arachide? Vous faites pas un sandwich avec ça et de la gelée ou de la confiture? J’ai vu ça dans des séries et des films.

Je goutai le cookie avant de commencer à trop parler. C’était plutôt bon, sucré, mais pas trop. Pourquoi on avait pas ça en France?

-Tu as raison. Clairement sous-coté. J’aime beaucoup!

Je terminai rapidement le cookie alors qu’il me montrait le bacon soda. Je grimaçai un peu en riant. Ça semblait si incompatible comme ingrédients! J’éclatai carrément de rire lorsqu’il me parla de la réaction de Clawd.

-Pour juger, il va juger! Tu commence à bien le connaitre.

Jayden reparla de sa bourde sur la date de leur rencontre. J’essayai de me faire rassurante en posant une main sur la sienne en lui souriant.

-Ça arrive les erreurs. Ils comprendront ton retard, ne t’inquiète pas. Ilo savent que tu travailles beaucoup. Mais ce serait drôle de voir la tête de Clawd si tu débarque déguisé en tortue.

Je ne pouvais m’empêcher de rire. Même si j’aimais beaucoup Clawd, comme un frère, il pouvait être si coincé! Je ne pu m’empêcher de me demander ce qu’il penserait de ce tête à tête entre Jayden et moi. Surement pas de bien, mais tant pis. Je tentais de le chasser de mes pensés. Il n’était pas là, je faisais ce que je voulais. Je réalisai alors que ma main était toujours sur la sienne. Ça n’était pas bizarre? Non, ça me semblait même naturel. La bouilloire commença à siffler et je dus donc rompre le contact.

Il me proposa son aide alors qu’il ne connaissait sans doute pas grand-chose au thé. Une gentille attention qui le rendait adorable.

-Non, ça va. Je me débrouille! J’adore faire le thé, le servir aux autres. Ça doit être un peu la même joie que toi quand tu nous sers à manger.

Tout en parlant, je mis une cuillère de thé dans l’infuseur que je plaçais dans la première tasse. Je versais l’eau chaude. Je changeai l’infuseur de tasse avant que le thé ne soit trop fort, puis je fis ma tasse. C’est ce que j’aimais avec le thé, on pouvait faire plusieurs tasses avec une cuillère. C’était non seulement un breuvage délicieux, mais qui ne revenait pas très cher. Je déposais les tasses sur la table et m’ assis pour répondre à la question du jeune homme.

-Oui, je suis seule. Clawd est en train de faire des recherches. Il ne m’a pas précisé et je n’ai pas trop demandé. Je me suis dis que s’il trouvait quelque chose d’important, il me le dirait. Rien ne sert de m’inquiéter tant qu’il n’a rien de concret.

Je ne m’impliquais pas autant que ce que j’aurais voulu, mais c’était pour protéger Oliver. Clawd était un humain de ce monde, il avait de meilleures chances de s’en tirer que moi. Je chassai ces idées. Il n’était pas le temps de songer à tout cela. Ces réflexions, je les avais déjà eut mainte et mainte fois. Je réalisais que je devais avoir un drôle d’air.

-Pardon, j’ai eu une absence. C’est rien. Parlons plutôt d’autre chose. Après tout, ce n’est pas un mal que Clawd ne soit pas là, ça nous permettra de parler un peu.

Je lui souris à nouveau, envolés les mauvais souvenirs qui menaçaient. Le présent était plus important. Je ne réalisais pas immédiatement que j’étais en train de le dévorer du regard. Pour me changer les idées, je me changeais les idées! Je m’imaginais dans ses bras, ses mains en train de courir sur mon corps… J’en oubliais presque mon thé. J’en pris une gorgée, tentant de revenir à la raison. Sauf que la raison, la sagesse, ça n’avait jamais été mon point fort. Et puis il me rendait mes regards? Je devais trouver quelque chose à dire. Sauf que je n’avais aucune concentration, trop occupée à le détailler du regard. Je me demandais quel gout avaient ses lèvres… Et si je le touchais, frissonnerait-il de plaisir? Je faillis m’étouffer avec une nouvelle gorgée de thé. Le thé et les fantasmes, ça ne faisait pas toujours bon ménage. Je me repris pour engager une vraie conversation :

-Sinon, autre que pour les réunions, tu viens souvent à Paris? Tu aimes bien? J’adore, c’est pour ça que j’ai décidé de rester ici. Mais j’ai déjà pensé déménager à New-York, mais je sais pas, j’ai mes petites habitudes ici et puis ça tourne souvent bizarre quand je vais là bas. Pareil quand je vais à Londres en fait… Ça doit être parce que je ne suis pas normale.

Petit haussement d’épaules avec un sourire. Je me sentais plus naturelle à parler et ça m’évitait de divaguer un peu trop.

Bon.
Jayden, il doit avouer qu'il est parfois un peu con quand il est question d'histoires de cœur et de corps. Du premier baiser foiré aux amours à sens unique répété, sans oublier les souvenirs traumatisés de sa première et unique relation, sa vie sentimentale n’est qu’une succession de désastres depuis ses années lycée. Ses yeux pétillants restent aveugle aux signes les plus évidents et obnubilé par ses doutes et ses pensées, Jayden laisse tout lui échapper, les pires red flags comme les plus belles opportunités.

Mais là, difficile d’ignorer ce qui est en train de se passer tant la chose lui saute au nez. Parce qu’il y a des indices que même lui ne peut pas ne pas repérer. Si des mots attentionnés et des regards appuyés peuvent encore le faire hésiter,  le contact de sa main qui s'attarde sur la sienne sans aucune raison laisse cependant peu de place à l'interprétation. Y a la bouilloire qui se met à hurler, donne à sa réalisation une bande son dramatique qui le pique de panique.

Alors, les questions s'enchaînent, les sourires aussi, quand bien même le sifflement s’attarde entre ses oreilles. Jayden qui fait comme si de rien n’était, s'assoit et croise les bras pour se donner l’air confiant, mais sa jambe tressaute. Il a l’impression d’avoir tiré une carte joker au UNO sans savoir comment la jouer.

Et maintenant ?
Bah, il sait pas vraiment.

Malgré des réunions passées à rêvasser, Jayden n'a jamais imaginé que ses petits scénarios puissent un jour s'ancrer dans la réalité. À vrai dire, là, debout face à cette nouvelle possibilité, il en vient à se demander si ce serait vraiment une si bonne idée. C'est que les coups d'un soir, c'est quand même mieux avec des gens qu'on est certains de ne plus revoir. Moins ambigu quand vient l’après, que le jour se lève pour mettre en lumière les folies de la nuit dernière.

Elles sont là, les voix de la raison, à lui répéter que certains films sont bien mieux limités à sa seule imagination. Le problème, c’est que ces voix naissent aussi vite qu'elles disparaissent. Un regard de Mally et elles se taisent toutes, remplacées par les pulsions de ses envies. Ce serait dommage de ne pas en embrasser l'instant présent, parce que, ouais, non, elle est clairement en train de me mater.

Y a un court instant où lui, ne sait plus quoi observer, ses yeux bruns d’abord plongés dans son thé qu’il commence à touiller, le temps de se composer. Parce que Jayden admet que ça lui plaît de se sentir brûler sous ce regard qu’il devine chargé d’intentions. Il ne lui a jamais fallu grand-chose pour le faire flancher, lui et son cœur affamé d'attention. Et tout content qu'il est, il sait que son sourire est déjà en train de le trahir, que ça doit crépiter au fond des yeux qu’il relève finalement vers Mally, malicieux, prêt à remplir son rôle dans ce drôle de jeu. À son tour, ses prunelles la détaillent, elle, ses iris bleutés, ses lèvres qui s'étouffent sur son thé, la cascade blonde de ses cheveux sur ses épaules et sa poitrine… Ouais, il est un peu déconcentré quand la conversation reprend :

« T'inquiète, y a toujours des dingueries à New York, ça fait partie du charme aussi. Enfin, j'imagine que t'as dû vivre des trucs plus oufs que juste voir des gros rats voler de la bouffe dans le métro. » Mince. Est-ce qu’il ne vient pas de merder avec ce réflexe qu’il a de toujours tout vouloir dédramatiser ? Après tout, il n’a aucune idée de ce que Mally a déjà pu traverser, mais à ses airs absents,  et à sa manière de mentionner son "anormalité" comme une drôle de fatalité, Jayden ne peut que deviner les blessures cachées derrière ses silences. Alors, il se hâte de changer de sujet, de rebondir sur les questions qu’elle vient de lui poser, trop heureux d’enfin pouvoir lui parler en dehors du contexte trop sérieux des réunions. « Mais ouais, je viens voir Alice quand je peux et on fait les touristes, enfin MOI, je fais le gros touriste, elle, elle me sert plutôt de guide, en fait. » La pauvre, elle en avait subi, des après-midi à l’accompagner dans les rues de Paris, à le suivre dans ses promenades ponctuées de lubies. « Mais j’aime trop, c’est trop beau, j’ai l’impression que je suis dans une série quand je suis là, c’est ouf ! » Il sait bien que ses paroles enjouées doivent se parer d’accent naïf une fois tombé dans l’oreille de n’importe quel parisien, qu’il incarne tous les clichés du touriste américain, mais ça n’enlève rien à son entrain. « Quand j’étais petit, je voulais trop voyager et aller genre, à Los Angeles et en France, je me donnais en cours de français, c’est comme ça que j’ai rencontré Alice, d’ailleurs, c’était ma correspondante au lycée. » Il a un peu envie de rire en repensant à toutes les vidéos qu’il lui a envoyées. « Au final j’ai jamais pu venir avant l'accident avec le portail, mais j'ai déjà été à Londres voir de la famille une fois quand j’étais petit et j'ai aussi été à Hollywood avec des potes. C’était pas le vrai Hollywood, juste un bled dans le Maryland, mais c’était incroyable, le meilleur voyage de ma vie, je crois. » L’anecdote lui arrache un nouveau sourire. Il se revoit avec ses amis, tassés au fond du bus puis dans leur tente trop petite pour eux trois, à se pousser et ricaner pendant qu’au-dehors le ciel pleurait et grondait.

À la mémoire de ces adolescents disparus dans le temps, le doux parfum de la nostalgie s'évapore pour ne laisser qu’un goût cendré dans sa bouche. Y a un pincement douloureux, un malaise qui lui compresse la poitrine quand il pense à eux. Non, Jayden préfère ne pas songer à ces fantômes du passé et encore moins à leurs alter ego du présent, à ce qu'ils diraient, ce qu'ils penseraient, s'il le voyait en ce moment, en train de tendre une jambe sous la table sans vraiment savoir ce qu'il fait, porté par le simple espoir que son pied rencontre celui de Mally par hasard. Imagine, elle pense juste que je fais un genre de manspreading en longueur. Il se donnerait lui-même un coup de pied, ne serait-ce que pour sa manière d’enchaîner après s’être brûlé sur sa première gorgée de thé : « C'est de la good soup ce thé. » Et ça recommence, la gêne qui le prend, le force à se mordre la langue pour s’arrêter net dans sa stupidité. Sérieux, quelqu’un devrait le bâillonner pour l’empêcher de parler. « En tout cas, si t'as envie de redonner une chance à New York, tu me diras, je pourrai te montrer des coins cool à Brooklyn. » Il se tait, espère que cette invitation et un sourire suffiront à le sauver.

Bad idea

soyons jeunes, soyons fous

Il y avait quelque chose de spécial dans le regard qu’il promenait sur moi. Regard qui sembla s’attarder sur ma poitrine, entre autre. Était-il en train de m’imaginer nue? Je ne pouvais m’empêcher de me demander à quoi il pensait précisément. Je me doutais bien que c’était dans le même registre que moi, comme nous étions aussi déconcentrés l’un que l’autre. Pas que notre conversation n’était pas intéressante, nous avions juste d’autres idées en tête.

Il me dit qu’il y avait toujours des dingueries à New-York, je voulais bien le croire! Il rigola en parlant des rats dans le métro. J’avais déjà pourchassé bien plus gros que des rats à New-York, mais c’était une histoire lointaine et un peu triste dont je ne parlais pas. Des aventures folles, j’en avais des tas dans ce monde, mais la plupart étaient soit triste, soit source de cauchemars. Je gardai le silence à ce propos, peut-être qu’un jour Je lui en parlerais, mais pas ce soir. Je n’avais pas envie de gâcher notre moment.

Il poursuivit en parlant d’Alice. Je ne pu m’empêcher de rire un peu, je l’imaginais totalement en gros touriste. Au moins, il avait une guide qui connaissait bien la ville et la langue. Je n’avais jamais pensé comparer une escapade à Paris à une série, mais je pouvais imaginer la sensation. Il m’était déjà arrivé d’être à New-York et de reconnaitre des lieux apparaissant dans des films ou séries. On se sentait un peu spécial d’être dans un endroit connu. Jayden parla de ses rêves de grands voyages. Je ne le connaissais pas depuis longtemps, mais ça lui ressemblait tellement de se retrouver à Hollywood, Maryland, et que ce soit le meilleur voyage de sa vie. Il avait un don pour trouver du positif. Ça le rendait si attachant. Je ne comprenais pas pourquoi il exaspérait autant Clawd.

-Je ne savais même pas qu’il y avait un autre Hollywood! Ils sont drôles ces américains à utiliser les mêmes noms de villes encore et encore. Tu penses que c’est un manque d’imagination?

Ça ne pouvait être que cela, même si cette idée était plutôt amusante. Peut-être que dans certains cas, c’était les origines des immigrants ou pour des raisons historiques? Je n’en avais aucune idée, je n’avais pas étudié l’histoire américaine. En réalité, je n’avais pas non plus des connaissances très approfondis à propos de l’Europe et la France. Toutes les choses que les enfants apprenaient à l’école, j’avais du me renseigner autrement, avec internet ou des documentaires.

C'est de la good soup ce thé. Je ne savais pas trop pourquoi, mais je trouvais cette formulation plutôt mignonne? Il devait faire allusion au côté réconfortant de la soupe? Parfois, j’avais quelques difficultés à suivre les expressions dans jeunes. Là où d’autres auraient froncé les sourcils, je me fis juste plus souriante.

-Je me souviendrais que tu aimes ce thé… pour la prochaine fois.

Pendant qu’il m’invitait à New-York, je fis mine de m’étirer, mon pied rencontra le sien plus vite que ce que j’aurais cru. Comme s’il cherchait ce contact lui aussi? Ce ne pouvait qu’être un signe de plus.  Mon pied caressa doucement le sien. Je le regardais dan les yeux tout en souriant :

-D’accord, je suis prête à laisser une autre chance à New-York. Tant que ce soit toi mon guide personnel. Mais avant il y a peut-être autre chose que j’aimerais explorer.

Petit sourire plein de sous entendus alors que mon autre pied remonta le long de l’intérieur de sa jambe. Il s’arrêta entre ses cuisses, à peine passé les genoux. Aller plus loin aurait peut-être été un peu trop et de toute façon, c’était physiquement impossible sans risquer de tomber de ma chaise. J’aurais du m’assoir plus proche au départ.  

Pour une prochaine fois, qu’elle a dit et Jayden a senti son cœur s'accélérer dans sa poitrine. Toutes les réponses sensées qu’il aurait pu formuler sur New York ou les noms des villes américaines s’envolent au contact surprise de la jambe de Mally contre la sienne. Son cœur fait une embardée : putain, c’est que son plan a fonctionné. Un peu trop, même. Et Jayden frissonne, ébranlé par le désir soudain qui papillonne au creux de son ventre quand il sent son pied monter, monter… « Ah ouais, wow, euh… » Au point qu’il en oublie comment articuler, comment respirer. C’est lui, ou il fait chaud tout d’un coup ? Une chance qu’il soit pas du genre à rougir facilement ou il serait aussi vermeil que son t-shirt actuellement.

Ça n’empêche pas son visage de trahir tout son plaisir. Jayden a toujours eu le sourire facile. Qu’il soit nerveux, malheureux ou heureux, les lèvres s’étirent dans un réflexe acquis. Mais certains sourires sont plus réels que d’autres et celui qui illumine ses traits ce soir déborde jusque dans son regard malicieux. Disparus, les doutes et autres pensées parasites, Jayden ne songe plus qu’à vivre l’instant présent, exalté par la chaleur de leurs jambes entremêlées. « Moi, je veux bien te montrer tout ce que tu veux.» Qu’il s’entend enfin rétorquer, la secousse initiale passée. Il doit se mordre l’intérieur de la lèvre pour s’empêcher de ricaner comme un idiot. Impossible de s’en empêcher. Il a l’impression d’avoir gagné à la loterie, à se sentir vachement chanceux qu’une femme comme elle puisse trouver un quelconque intérêt à un mec comme lui. Wow, wow, wow. Il n’en faut pas plus à Jayden pour qu’il se sente pousser des ailes.

Et soudain, le simple jeu de leurs pieds ne suffit plus, y a un besoin qui lui dévore la poitrine, celui de se rapprocher pour détailler son visage de plus prêt, s’abreuver de son parfum, effleurer ses mains. Encore faudrait-il surmonter l’obstacle de taille que la cuisine a imposé entre eux. « Je suis en train de me dire que c’était vraiment un move débile de m’assoir en face de toi et pas à côté de toi. » Pourquoi il raconte ça ? Merde, toutes ses pensées ne sont pas bonnes à partager. Il se sent encore plus con, maintenant, à se lever pour contourner la table et tirer une chaise à côté de Mally, quand il aurait pu faire exactement la même chose en silence en se parant d' une fausse assurance. Tant pis.

Sa gêne s’évanouit sitôt que ses iris accrochent ceux de Mally. Et Jayden se laisse aller à sa nature tactile en pressant son genou contre le sien, grisé par cette nouvelle proximité, une ivresse qui lui emballe à la fois le cœur et la langue : « Si j’avais su je me serais entraîné mentalement et genre, j’aurais fait un truc plus fancy que des cookies et j’aurais préparé une playlist pour te faire danser ou, je sais pas, des disquettes nulles pour te faire rire, parce que t’as une fossette juste ici quand tu souris. » Et porté par une impulsion aussi légère que téméraire, Jayden effleure sa joue gauche du bout du doigt, là où le bonheur a l’habitude de creuser une marque discrète, un sourire dans un sourire. « C’est joli. » Tu es jolie qui se perd avant de pouvoir franchir ses lèvres. Peur d’être gênant. Trop puéril. Il aimerait être un peu plus poète, réussir à mettre des mots sur le désir qu’elle lui inspire sans risquer d’avoir l’air bête. Parce qu'elle a déjà dû en entendre, des compliments, vibrer sous les éloges mielleux d’hommes et de femmes plus expérimentés. Oui, s’il le pouvait, il lui déclamerait une jolie phrase sur ses yeux clairs, ciel où il a basculé la tête la première. C’est drôle, comme il a l’impression à la fois de chuter et de voler. Mais qu’importe qu’il soit en train de décoller ou sur le point de s’écraser, tant qu’il peut quitter la Terre, ne serait-ce que le temps d’une soirée.

Ses prunelles brunes n’échappent aux iris hypnotiques de Mally que pour s’attarder sur ses lèvres, assez longtemps pour lever toute ambiguïté quant à la nature de ses pensées : il crève d’y goûter, de découvrir les arômes que le thé a déposés sur sa langue à elle. Ses doigts délaissent finalement la douceur de ses traits pour aller jouer dans ses mèches dorées et son regard à nouveau prisonnier du sien, Jayden rassemble les signes avant de s’abandonner à un excès d’adrénaline : « J’ai très envie de t’embrasser. » qu’il souffle dans un petit rire, sans s'exécuter. À Mally de décider si elle veut, ou non, réaliser son souhait. Et pendant une fraction de seconde, un Jayden enivré profite de cet instant en suspens, comme hors du temps, où promesses et possibilités coexistent dans un lendemain riche en potentiel.

Bad idea

soyons jeunes, soyons fous

Mes avances semblaient faire leur effet car Jayden manquait de mots, en plus d’avoir le visage tout rouge. Je ne pouvais m’empêcher de lui retourner son sourire. Je ne pouvais faire autrement que de fixer son regard plein de malices et de promesses. Il finit par dire une phrase cohérente qui me plu. Me montrer ce que je voulais? Mon imagination s’enflamma car il ressemblait bien à un jeune homme prêt à me montrer tout ce qui me passerait en tête.

Il était dommage que cette table soit si utile pour les repas de famille, car à ce moment là, je la trouvais très encombrante à nous séparer de la sorte. Je n’étais visiblement pas la seule à le penser, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il le dise à voix haute. Certains auraient trouvé ça débile, pas moi. Je le trouvais mignon et amusant. Je ne pu me retenir de rire un peu alors qu’il venait me rejoindre de mon côté de la table. Le contact de son genou contre le mien fit battre un peu plus mon cœur alors que le désir montait en moi. Je me retins de lui sauter dessus car il me parlait. Il parlait beaucoup.  Il parlait toujours beaucoup, mais peut-être que cette fois c’était aussi pour cacher sa nervosité? Il n’empêche que je ne l’interrompis pas, plutôt charmée par ce qu’il me disait à propos de ma fossette, qu’il toucha.

Je sentis une chaleur envahir mon visage. J’aurais voulu avoir plus d’assurance, mais je bégayai un peu. Il y avait un moment que je n’avais pas eu se genre d’interactions et sans doute que ça me troublais plus que ce que j’aurais cru.

-Mer… merci. T’inquiète pas… pas besoin de rien de fancy.

Je ne pu m’empêcher de penser que nous n’aurions jamais eu de temps pour ses autres propositions vu comment la situation évoluait rapidement. Sa main jouait dans mes cheveux se qui ajouta au frisson qui parcourait mon corps. Le désir qu’il exprima était tout à fait partagé alors j’approchai mon visage du sien pour unir nos lèvres. Un baiser tout d’abord timide, qui devint de plus en plus passionné. Je glissai mes mains dans ses cheveux comme j’en avais rêvé plus tôt. Nos langues dansèrent comme si elles se connaissaient depuis toujours. Même s’il y avait bien des raisons pour lesquels nous ne devrions pas continuer, le désir était trop fort pour me raisonner.

Lorsque nous nous séparâmes pour reprendre notre souffle, je me levai et lui pris la main pour l’entrainer jusqu’à ma chambre. Je n’avais pas trop envie de risquer de me faire surprendre dans la cuisine! Ça avait un côté excitant, mais nous avions déjà été gêné par la table une fois, je ne voulais pas qu’elle s’impose encore!

Une fois derrière la porte close, je recommençai à l’embrasser fougueusement. Les vêtements volèrent entre les caresses et nous nous retrouvâmes bien vite au lit.


Allongée contre Jayden, je reprenais mon souffle, les yeux fermés. Je ne pouvais m’empêcher de sourire, encore parcourue par un frisson de désir. Le jeune homme aimait visiblement faire plaisir dans tous les aspects de sa vie. Mon cœur se calmant, j’ouvris les yeux pour scruter son visage afin d’être certaine que je n’étais pas la seule à avoir apprécié ce moment. J’hésitais un peu à briser le silence, surtout pour demander ce que j’avais en tête. Et s’il n’avait pas aimé? Ça me rendrait triste et puis ça serait un peu bizarre quand on se recroiserait? Tant pis, qui ne tente rien n’a rien. Alors autant essayer :

-Je sais qu’on aurait peut-être pas du, mais… ça te dirait qu’on se revoit?  Je veux pas te forcer si tu n’en n’a pas envie! Surtout que je pense que ce serait mieux que ça reste entre nous. J’ai pas trop envie que Clawd nous fasse la morale… On pourrait se voir à l’hôtel ou même à ma boutique après la fermeture, l’arrière boutique est plutôt confortable.

Je savais bien que ça ne pourrait rester un secret pour toujours, après tout mon frère de cœur était détective et la meilleure amie de Jayden était journaliste, mais j’avais le droit d’espérer en profiter un peu avant qu’ils le découvrent. Je savais bien qu’il n’y avait pas de mal à ce que nous avions fait, après tout, nous étions entre adultes consentants. C’était le contexte qui pouvait faire tiquer. Entre notre différence d’âge et leur enquête, ce n’était pas banal comme situation. Mais bon, il n’y avait pas de mal à se faire du bien?

Douce magie que celles des premiers baisers.
Ne plus sentir le sol sous ses pieds, se savoir en train de trébucher et pourtant s’abandonner tout entier à ce saut dans l’inconnu. En un geste, Mally l’a arraché à l’instant présent et Jayden s’accroche à ses lèvres pour faire perdurer ce moment, cette chute aux allures d’envols. Il l’avait fantasmé, ce jeu de ses doigts dans ses cheveux, caresse qui lui arrache de nouveaux frissons, fait virevolter les papillons. Et Jayden glisse sa main derrière sa nuque pour l’inciter à continuer, à s’approcher, réduire un peu plus encore la distance entre leurs deux corps.

Ce n’est que lorsque l’air commence à manquer que Jayden se voit contraint de reculer. Une goulée d’air avant de, déjà, se pencher pour replonger. C’est qu’il en veut plus, conjuguer à nouveau leurs souffles brûlants, s’imprégner de son parfum, goûter encore et encore à ses lèvres pour mieux emporter leur souvenir. Mais elles lui échappent, bref instant où seules leurs mains restent liées. Et il se laisse entraîner, l’œil brillant, un sourire mutin aux lèvres, à se dire qu’il suivrait Mally n’importe où, tant qu’elle continue de le regarder, de l’embrasser comme elle le fait.


Tout est un peu en pagaille. Les draps, ses cheveux, ses pensées.
Y a des restes de gémissement sur ses lèvres, la mélodie du souffle de Mally qui continue de résonner entre ses oreilles, tandis que sur son corps brûlant courent encore quelques tremblements. Les secondes s’égrènent, Jayden revient à lui-même, mais ne dit rien, la poitrine à la fois trop vide et trop pleine. Ses mains s’attardent sur la peau de Mally, dernières tendresses pour que le réel ne les rattrape pas trop rapidement.

Elle est belle.
Leur regard se croise et Jayden sourit, la tête encore chargée d’euphorie, heureux de constater qu’il lui a aussi fait de l’effet. Il aurait pu recommencer à l’embrasser, si elle n’avait pas brisé le silence : « Je sais qu’on aurait peut-être pas dû, mais… ça te dirait qu’on se revoit ? Je veux pas te forcer si tu n’en as pas envie ! » « Bien sûr que j’en ai envie ! » Il peut pas s’empêcher de réagir, un sourire amusé à l’idée qu’elle puisse en douter, se dit que la prochaine fois, il redoublera d’effort pour lui montrer à quel point elle lui plait.

La prochaine fois.
La pensée lui a échappé, écho parfait aux paroles de Mally. Elle lui fait miroiter un futur où il jouerait les amants secrets et cette perspective aussi exaltante qu’effrayante fait jouer à son cœur le rythme dissonant de deux émotions contraires. Parce qu’il mentirait s’il disait ne pas se projeter un peu, lui aussi. Mais pas trop vite. Pas trop loin, surtout. Certainement pas au point de laisser cette aventure fuiter hors de ces murs.

Alors, Jayden tique un peu en entendant le prénom de Clawd. Un bref nuage passe sur ses traits, mimique confuse qu’il tente de camoufler derrière une grimace un brin surjouée en se demandant pourquoi le détective viendrait mettre son nez dans le lit de Mally. Oh, il a aucun mal à imaginer ce qu’on pourrait trouver à redire, lui-même y a pensé : coucher avec la coloc de son collègue-qui-n’en-est-pas-vraiment-un, ça se place où, au niveau de l’éthique du travail ? Et puis, il y a bien la différence d’âge qui peut déranger, c’est vrai. Mais ces raisons lui semblent dérisoires, maintenant que leurs corps se sont épousés et que Mally est là, entre ses bras. « Quoi, il va te dire que t’aurais dû attendre le mariage ? » qu’il rétorque alors. Il a un petit rire qui se fige en un sourire espiègle avant de fondre doucement. « Non, je rigole. Je comprends.  En vrai, je t’avoue que j’avais pas l’intention d’en parler à qui que ce soit. » Nouveau rire, cette fois un peu plus nerveux. C'est à peine s'il parle de sa vie privée, alors, de sa vie sexuelle…

Il se redresse sur un coude, s’écarte un peu sur le côté pour mieux la regarder, sa joue calée contre sa paume. Tout s’est alourdi d’un coup, sa poitrine et son souffle. Y a une urgence qui le saisit, le besoin soudain de mettre les choses au clair, de freiner le wagon lancé à toute allure avant qu’il ne fonce dans le mur. « Par contre faut que tu saches que… Pour l'instant, je suis pas vraiment à la recherche d’un truc trop trop sérieux. Je…  » Sa voix se meurt et avec elle, toutes les explications qu’il aurait pu lui donner pour se justifier. Certaines portes sont trop lourdes à pousser. Et il est trop tôt pour parler de tous les débuts d’histoire qu’il a sabotée par peur de revivre les erreurs de sa relation passée, qu’il suffit parfois d’un geste, d’un mot pour braquer son cœur effarouché, qu’au fond, il sait pas s’il sera à nouveau capable d’aimer et d’être aimé.

Non, Jayden préfère enchaîner sur ce qu’il sait faire le mieux, s’excuser. « J’aurais peut-être dû te le dire avant, désolé. » Peut-être. Mais quand ? Avant même de l’embrasser ? Entre deux baisers ? Pendant qu’elle était en train de le déshabiller ? Certainement pas quand sa langue jouait entre ses jambes, en tout cas. Non, vraiment, difficile de trouver un bon moment tant les choses s’étaient enchaînées rapidement.

Et c’est bien pour ça, qu’il redoute les après. Parce que son esprit ne manque jamais de s’emballer, de lui faire entrevoir la fin et toutes les manières dont une relation pourrait mal tourner sans même lui donner une chance d’exister. Il sait que les choses n’ont pas à être si compliquées, qu’il suffit de parler et de voir où les choses peuvent aller. It’s not that deep. On peut essayer et on verra après. Après, après, après… « Mais si ça te va et si c’est ce que tu veux aussi, moi, j’aimerais bien qu’on revoie, ouais. » Ça serait certainement plus facile si elle disait non, que les désirs volages ne l’intéressent pas, qu’il vaut mieux tout de suite tourner la page. Faire de ce moment d’égarement un simple accident, quelque chose qu’on oublie, une anecdote dont on rit. Avant que ses défauts lui sautent au nez, qu’elle réalise qu’il est pas vraiment marrant, ni intéressant, ni intelligent.

Mais Jayden, il se surprend pourtant à mourir d’envie qu’elle dise oui.