BOOM.

Le bruit d’explosion semblait encore se poursuivre à mon réveil et l’espace d’une seconde, j’eus bien du mal à comprendre ce qu’il se passait. Pourquoi est-ce que j’étais encore en vie, et surtout en un seul morceau ? Ce n’est qu’en reconnaissant les murs de mon appartement parisien que je compris que tout cela n’avait été un cauchemar. Les zombies, le centre commercial désaffecté, l’homme en caleçon, rien n’était réel. Ce n’était qu’un rêve, un simple rêve. Je n’avais jamais été aussi heureuse de sortir de mon sommeil. Tentant de reprendre une respiration plus calme, je reposai la tête sur le coussin du canapé sur lequel je m’étais endormie tout à l’heure. Non pas que ce fut quelque chose de très habituel, mais je crois que j’avais eu bien besoin d’une sieste ce jour-là.

Mes oreilles sifflaient encore, à croire que l’explosion avait réellement eu lieu. Pour un cauchemar, c’était un sacré cauchemar. Tout me revenait peu à peu en mémoire à la manière d’un film post-apocalyptique. Mon duo avec Mally, mes retrouvailles avec Jayden, sa morsure, notre décision de le tuer, les filles bizarres qui ne se rendaient compte de rien et enfin les deux grenades qui avaient servi à tous les sauver… en me sacrifiant du même coup. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas fait de rêve aussi bizarre et étonnamment précis. Il faudrait peut-être que je le note quelque part pour ne pas l’oublier - ou même que je l’envoie à des studios de production de cinéma à ce niveau-là.

Mon souffle et les battements de mon cœur avaient repris finalement un rythme plus tranquille. Je me redressai de nouveau, m’asseyant sur le canapé, et aperçus ainsi Jayden qui me regardait avec un soupçon d’inquiétude depuis la cuisine. Mine de rien, c’était un peu difficile de le prendre au sérieux avec la perruque blonde de Ken posée sur sa tête. Ça me rappelait que je ne devais pas être beaucoup mieux non plus, avec mon costume de Barbie dans lequel je m’étais endormie. Quelle heure était-il d’ailleurs ? Avec tout ça, j’en avais presque oublié la soirée d’Halloween à laquelle nous étions censés aller.

« Hey. I’m alright, don’t worry, I just… wow, I just had one hell of a dream. »

Je le connaissais assez pour savoir qu’il ne me lâcherait pas tant que je ne lui aurais pas tout raconté, même et surtout la partie horrible de ce qui était arrivé au Jayden du cauchemar, mais pour le moment, j’essayais encore d’en émerger. Je me frottai un instant les paupières puis me levai enfin, réajustant mon ruban rose sur mes cheveux - vraiment, je devais avoir l’air ridicule. Je m’approchai du frigo devant lequel mon ami se tenait, en train de vérifier l’état des biscuits qu’il avait cuisinés un peu plus tôt.

« They look good. » L’avantage d’avoir un meilleur ami qui aime cuisiner. « You know, we could just skip the party and eat those all night. »

C’était lui qui m’avait suppliée de venir avec lui à cette fête d’Halloween et j’avais fini par donner mon accord, donc je me doutais bien que ma proposition de rester ici toute la soirée serait rejetée, mais je pouvais toujours essayer. En vérité, je savais que ça me ferait du bien de sortir un peu et penser à autre chose que les chasseurs et les disneys et notre enquête en général. Mais pour être honnête, le cauchemar que je venais de faire m’avait mise encore plus KO que je ne l’étais avant ma sieste. Il n’y avait rien de reposant à combattre des zombies et se faire exploser à la grenade. Bizarre, tout de même, à quel point ce rêve m’avait semblé réel. À croire que j’y étais vraiment, mais bien sûr, l’idée était ridicule. Tout cela n’était que dans ma tête et même s’il avait été particulièrement marquant, il valait mieux que j’arrête d’y penser.

Comme je l’avais prédit, Jayden refusa catégoriquement que l’on échappe à la soirée. Jusqu’à ce que sa peur de froisser les autres ne le rattrape et qu’il ne s’empresse d'ajouter que si je ne voulais vraiment pas y aller, on pouvait simplement passer la soirée ici à se faire notre propre karaoke. Je ne pus m’empêcher de sourire et de le mettre face à ses propres contradictions.

« So we absolutely do have to go, but you’ll be fine if we don’t? » Je soupirai théâtralement avant d’ajouter : « Okay fiiiiiine, we’ll go. But that’s only because we have the best matching costumes of all time and I wanna brag about it all night. »

D’accord, il n’y avait pas que ça, même s’il fallait dire que nos déguisements avait vraiment de la gueule (on était ridicules, mais c’était ce qui faisait tout le charme). La vérité, c’était que je savais, dans le fond, que ça me ferait du bien de sortir.  En dehors de Clawd, Jayden et Mally, que je voyais régulièrement, ma vie sociale touchait le fond depuis quelque temps et ça me manquait parfois de rencontrer de nouvelles têtes qui n’étaient pas simplement des personnes à interviewer. Et puis, c’était aussi l’occasion de penser à autre chose qu’aux Disneys et aux chasseurs. Mais c’était plus amusant de parler des costumes de Barbie et Ken que de mentionner ma vie ennuyante à voix haute.

Mon rêve, en revanche, n’avait rien d’ennuyant. Je m’attendais à ce que Jayden m’assomme de questions pour que je lui raconte tout en détail, mais apparemment, je n’étais pas la seule à avoir eu une sieste palpitante. Il suspecta la présence de vibes étranges dans mon salon car lui aussi avait eu un rêve fou. Des vibes, je n’étais pas certaine, mais peut-être était-ce simplement l’esprit d’Halloween. L’idée me fit sourire et je lui répondis :

« No crazier than mine, believe me. But you go first. »

J’étais curieuse d’entendre le sien, le connaissant je pouvais bien m’attendre à tout. Mais cette fois-ci, si l’on faisait un concours du rêve le plus incroyable, je pensais pouvoir gagner haut la main. Ce n’était pas toutes les nuits que je me faisais exploser à la grenade pour sauver mes amis des zombies. Je m’assis sur le bord d’un tabouret de cuisine et l’observais déplacer ses gâteaux du plateau à l’assiette tandis qu’il me racontait son rêve.

J’ignorais si c’était parce que je venais de sortir de mon sommeil et que je n’étais pas encore bien réveillée, mais quand il commença à parler d’apocalypse zombie, je ne réagis même pas. C’était comme écouter quelqu’un me raconter une histoire que je connaissais déjà et mon cerveau eu du mal à assimiler ce qui était en train de se passer. La seule question qui me venait à ce moment-là était : pourquoi Jayden me racontait-il mon rêve plutôt que le sien ? Sa morsure, le coup de feu tiré par Mally, c’était moi qui en avait été témoin, il ne devrait pas s’en souvenir, car tout cela n’avait été qu’un rêve. Il n’était pas vraiment là, alors comment savait-il… ?

Et puis, la panique m’envahit d’un coup. Ce n’était pas normal. Ce n’était qu’un cauchemar, ça n’avait eu lieu que dans ma tête, Jayden ne pouvait pas en avoir connaissance. Peut-être que je n’étais pas vraiment réveillée ? Je me sentais idiote, mais pour être sûre, je me pinçai discrètement l’avant-bras de toutes mes forces tandis que mon ami était encore concentré sur ses gâteaux. Rien. J’étais toujours là, les yeux ouverts sur le tabouret de la cuisine, et la bonne odeur du nappage au chocolat qui s’échappait de l’assiette sur le comptoir devant moi ne pouvait pas venir d’un rêve. Mais si j’étais bien dans la réalité et que l’apocalypse zombie avait bien été un cauchemar, alors comment est-ce que Jayden pouvait le raconter comme s’il y avait été lui-même ?

C’était impossible. Ce devait être une coïncidence, il n’y avait pas d’autre alternative. Peut-être que nous avions parlé ou entendu parler de zombies avant de dormir - je n’en avais pas de souvenir, mais j’aurais pu simplement oublier et mon inconscient s’en serait servi. Je préférais cette option que d’imaginer qu’on avait pu partager un rêve en commun. Je pouvais croire à l’arrivée de personnages Disney dans le monde réel, je pouvais croire à des portails de téléportation qui menaient vers trois pays différents ; mais ce qui se passait dans ma tête ne pouvait pas sortir de ma tête, c’était impossible. Si nous n’étions même plus en sécurité dans notre propre subconscient… non, non. C’était forcément une coïncidence.

Je regardais d’un air absent l’assiette qu’il me tendait à présent, sans savoir alors le combat que menaient mes pensées dans mon cerveau à cet instant même. Par mécanisme, je pris l’assiette et la reposait sur le comptoir sans me servir. Je réalisai à peine la tentative de parler français de mon ami ; à ce moment-là, tout ce que j’avais en tête, c’était son rêve et le mien, qui ne pouvaient être autre chose que deux rêves bien distincts peu importe à quel point ils étaient similaires. Il fallait que je vérifie. Que j’en aie le cœur net. Même si c’était stupide.

« There was this kid with you, a teenager, he could breathe fire. And then we got to the mall and we met two other people, a really strange woman that didn’t seem to understand what was going on and a half-naked man with a picture of a dog on his shirt. You… they weren’t in your dream as well, right? »

Ça me paraissait si improbable que je m’attendais à ce qu’il pouffe de rire en me demandant si j’allais bien. En fait, j’espérais qu’il le fasse. Que ce soit sa seule et unique réaction. Alors, je pourrais respirer à nouveau et on rirait de cette coïncidence amusante. Après tout, c’était Halloween, on avait peut-être simplement vu des zombies à la télévision ou sur une affiche publicitaire dans la rue et ça nous était resté en tête sans que l’on ne le réalise.

Jayden sourit et l’espace d’une demi-seconde, je crus qu’il allait se foutre de ma gueule - pour être complètement honnête, j’aurais préféré qu’il en soit ainsi. Qu’il pouffe de rire en me demandant où est-ce que j’avais été cherché autant de détails ridicules sur ces personnes qui l’auraient soit-disant accompagné en rêve. Qu’on réalise qu’on avait été deux à rêver de zombies au même moment mais qu’il s’agissait bien de deux cauchemars différents et que tout ceci n’était qu’une coïncidence. Inutile de vous dire que ce n’était qu’un faux espoir. Mon ami acquiesça sans se rendre compte de ce que cela voulait dire. Moi, j’avais déjà le cerveau qui surchauffait.

C’était impossible que ce ne soit qu’une coïncidence, mais c’était tout aussi impossible que ce n’en soit pas une. Malgré moi, j’essayai d’y trouver des explications rationnelles. La télé avait peut-être été laissée allumée pendant qu’on dormait, ou bien on avait vu inconsciemment tous ces personnages sur une même affiche ? Même si je voulais y croire, j’avais bien du mal. C’était beaucoup trop gros. L’explication surnaturelle prenait de plus en plus place dans mon esprit. Bien sûr, c’était loin d’être la première fois que nous étions confrontés malgré nous à une nouvelle expérience paranormale et ces choses-là ne devraient plus pouvoir me surprendre désormais : je savais depuis un bon moment désormais que les lois de la physique n’étaient plus les seules à régir ce monde. Mais que cela puisse survenir en rêve ? J’avais du mal à l’imaginer. Toute cette histoire allait beaucoup trop loin.

Entre temps, Jayden avait finalement compris ce qui clochait. D’une façon ou d’une autre, nous avions bel et bien vécu le même rêve. Encore une fois, je n’avais aucune explication à lui donner. C’était un nouveau mystère à ajouter à mon dossier et je ne voyais même pas par où commencer pour tenter de le résoudre. À croire qu’il n’y aurait jamais de fin à cette affaire.

« Apparently, yes. Fuck. How is this happening? »

Toujours assise sur le tabouret de cuisine, je posais mes coudes sur le comptoir et les mains sur mes tempes. Je réfléchissais, en quête d’une idée, d’une solution, quelque chose à laquelle m’accrocher pour tenter de donner un minimum de sens à ce qui venait d’arriver. Quelqu’un ou quelque chose en était-il responsable ou était-ce un simple phénomène fantastique accidentel ? Un bug de magie, en quelque sorte ? L’idée me paraissait ridicule mais je la préférais à la première option. Car si quelqu’un avait réellement le pouvoir de s’immiscer dans notre subconscient pour agir sous nos rêves… je ne voulais même plus y penser. On avait déjà assez des chasseurs et des vilains de Disney dans ce monde pour y ajouter un genre de Freddy Krueger en plus.

Du coin de l'œil, je vis Jayden saisir brusquement son téléphone et me tournai instinctivement vers lui pour comprendre ce qui l’agitait autant tout à coup. Je ne pouvais pas voir son écran d’où j’étais, mais il devait y avoir quelque chose d’assez choquant pour qu’il se mette à paniquer lui aussi. D’après lui, c’était en train de devenir de plus en plus bizarre. Qu’est-ce qui pouvait bien être plus bizarre que deux personnes à avoir fait le même rêve ? Apparemment, trois personnes à avoir fait le même rêve. Avec son SMS, Mally venait de confirmer ce que j’étais déjà en train de penser. Tous ceux qui avaient figuré dans ce scénario post-apocalyptique avec nous avaient rêvé de la même chose. J’ignorais si Bruni, Auguste, Kevin et le balai existaient réellement dans ce monde mais si c’était bien le cas, alors eux aussi avaient été confrontés à des zombies pendant leur sommeil, j’en aurais mis ma main à couper. Jay se mit à chercher des explications à son tour, mais ces hypothèses n’étaient pas beaucoup plus convaincantes que les miennes.

« Na, I’m pretty sure we’re awake now. » Je tendis mon bras et me pinçai à nouveau pour lui montrer. « See? I’m not waking up. »

Je le vis finalement essayer de se calmer. Je savais qu’il cherchait lui aussi à se rassurer d’une manière ou d’une autre, mais je ne voyais rien qui pourrait rendre cette situation moins flippante. Il annonça qu’il allait demander à Bruni, le mec dragon du rêve, pour savoir si lui aussi avait fait le même rêve.

« Wait, you actually know this guy in real life? ... can he actually breathe fire? No wait, that’s not the point. Go ahead. »

J’étais quand même un peu curieuse de savoir, mais ce n’était vraiment pas le plus important là-dedans. Je le laissais faire son message comme si la réponse allait vraiment pouvoir changer quelque chose. Je n’avais pas tellement de doute sur ce qu’il en serait. Mally, Jayden et moi nous étions retrouvés dans le même cauchemar, puisque Bruni y était, alors il en avait rêvé aussi - ce n’était qu’une simple logique de déduction à cette étape-là. Mon ami envoya son message vocal et se tourna à nouveau vers moi pour me dire que tout allait bien, qu’il nous suffisait d’attendre et qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Je fis tout le contraire en me levant du tabouret pour commencer à faire les cent pas, une main sur le front.

« But does it even matter? We’re already three people having the same exact dream, it’s already impossible and I’m pretty sure Bruni had it too, it’s only logical at this point. And look, I’ve never even met the guy before and yet I had a dream with him in it, how could I have if it was just a normal dream? »

Plus j’y réfléchissais et moins tout cela n’avait de sens. Je commençais déjà malgré moi à me plonger dans des scénarios auxquels je n’avais pas envie de penser.

« And how do we know it was just a single dream? Are we gonna go to sleep tonight and find ourselves in the same nightmare again? Is this ever gonna stop? Shit… Ok, sorry, but I’m actually completely freaking out. I have so many questions in my head right now, I feel like it’s gonna explode at any moment. »

Ce qui serait vraiment ironique compte tenu de la manière dont j’avais terminé dans ce rêve. Mais il fallait que je me concentre, laisser mes pensées tambouriner les unes contre les autres était parfaitement contre-productif. Une question à la fois. Je filai dans le salon pour sortir un carnet et un stylo du tiroir de la table basse.

« Ok… Let’s say we did have the same dream, was it really just a dream or does this post-apo zombie world really exist somewhere and we just happened to go there during our sleep for some reason? Although I’m pretty sure it’s not from any Disney movie this time. » Je commençais à griffonner quelques mots sur mon carnet en guise de notes puis m’arrêtai net en réalisant autre chose. « Hey, by the way, I’m sure I was speaking French during my dream, how did you even understand me? »

Maintenant que j’y pensais, je ne me souvenais pas avoir entendu parler anglais dans mon rêve, quoique mes souvenirs commençaient à devenir un peu flous. J’étais capable de parler les deux langues, alors je voulais bien croire que mon cerveau faisait la traduction automatique même en rêve, mais même avec toutes ses leçons de Duolingo je n’étais pas sûre que Jayden en soit déjà à ce stade-là avec le français.