J’étais autrefois un félin majestueux, un prédateur craint et respecté dans la jungle. Qui aurait alors pu croire que j’avais passé les premières années de ma vie en cage et enchaîné ? Je suis, en effet, né dans la ménagerie du Rajah d’Oodeypore, en Inde. Pour être tout à fait honnête, j’ai très peu de souvenirs de cette époque de ma vie… Je n’étais qu’une jeune panthère que l’on baladait comme un vulgaire chien en laisse. Je portais de magnifiques colliers de pierres précieuses, j’étais présenté à tous les invités du Rajah. Je n’étais considéré que comme un objet, une œuvre d’art exotique et un jouet, mais pas comme un animal. Ce petit jeu ne fut malheureusement que de courtes durées. Plus je vieillissais, plus je grandissais, plus je passais de temps en cage. L’allégresse et l’engouement autour de ma personne semblaient en effet s’estomper, car je n’étais plus un petit animal mignon que l’on pouvait prendre dans les bras et caresser à longueur de journée. Alors bien vite, je suis tombé dans l’oublie et je n’étais plus qu’un animal parmi tant d’autres, qui s’ennuyait et se morfondait dans cette grande ménagerie.

Si pendant de longues années, je me suis montré calme et docile pour animal en cage, c'est parce que je n'étais pas seul. Je partageais ma prison avec la panthère qui m'a mis au monde. Elle était la sagesse incarnée, intelligente, mais aussi douce et affectueuse. Bien qu'elle ait, elle aussi, passé sa vie derrière des barreaux, elle connaissait énormément de choses sur les Hommes et sur les animaux. Elle passait en effet ses journées - et ceux depuis plus de quinz ans - à observer l'espèce humaine et savait pleins de choses sur eux. Quant aux animaux, elle en avait croisé tellement au long de sa vie, qu'ils lui avaient tous racontée leur histoire. C'était un véritable puits de savoir et une bonne oratrice. Il n'était pas rare que tous les animaux de la ménagerie l'écoutent raconter des histoires des journées entières !
Alors quand elle tomba malade et nous quitta quelques jours plus tard, ce fut une véritable tragédie. La peine et la douleur que j'ai ressenti en découvrant qu'elle était partie et qu'elle ne reviendrait jamais est tout simplement indescriptible. J'étais anéanti, l'ombre de moi-même…

Malgré son absence qui me lacerait le coeur un peu plus chaque jour, c'est ma mère qui me donna le courage de m'évader de cette maudite prison. Vivre ici sans elle n'avait plus aucun sens. Elle m'avait raconté tant d'histoire à propos de la vie dans la jungle que je ne rêvais plus que d'une chose : fouler le sol humide de cette forêt de mes propres pattes.

Néanmoins, s'enfuir d'un tel endroit n'était pas une chose facile.. Il était à présent très rare que je sorte de ma cage, le Rajah préférant maintenant se pavaner en compagnie d'autres animaux exotiques. De plus, je n'avais pas la force pour briser les barreaux qui me retenaient prisonnier.. Je due donc tendre un piège à l'humain qui était venu nettoyer ma cage un jour. Caché, juste au-dessus de la porte, je suis parvenu à bloquer le mécanisme avec une patte et un rugissement a suffit à effrayer l'homme qui n'est pas parvenu à refermer la porte derrière lui. J'en suivis une longue traque. Tous les hommes de la ménagerie étaient à ma recherche, il fallait donc que je me montre discret et plus intelligent qu'eux, une fois de plus. Mon évasion. Ne fut donc pas évidente, mais une fois sorti du palais du Rajah, je découvrais enfin la tant convoitée jungle.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire : qu’un animal qui a été élevé par l’homme ne peut pas retourner vivre dans la nature, je me suis plutôt bien débrouillé une fois dans la jungle. Mes instincts de prédateurs ont très rapidement repris le dessus sur la bête docile que j’étais au près des hommes. Je me suis même très bien intégré auprès des autres animaux de la jungle, car je connaissais la loi par cœur. Je respectais mieux que quiconque la trêve de l’eau, je m’inclinais toujours devant les éléphants et je laissais les loups diriger la partie la jungle qui était mon terrain de chasse. On peut même dire que je me suis lié d’amitié avec ces derniers.

Je vivais donc une vie tranquille et solitaire et, après avoir fui les humains, je ne m’attendais pas à me lier d’amitié avec l’un d’entre eux…

Je me souviens du jour où j’ai entendu un cri… Un cri qui n’avait rien à voir avec ceux des animaux de la jungle.. C’était le cri d’un petit d’homme. Moi qui avais fui ses bipèdes il y a plusieurs années, je dois bien l’avouer, mon premier réflexe fut de faire comme si je n’avais rien entendu et de le laisser à son triste sort. Mais les pleurs du bébé retinrent plus qu’il le fallait mon attention et dès qu’il me vit, les pleurs se transformèrent en un doux rire. Comment ne pas succomber ? Comment laisser cette petite chose sans défense seule dans la forêt ? J’étais incapable de m’y résoudre. Il n’avait fallu qu’un simple regard pour que je me prenne complètement d’affection pour ce petit d’homme. 

Il fallu alors lui trouver de la nourriture, mais le village des hommes était à des jours de marche et sans les soins d’une mère, il allait mourir. C’est alors qu’il me vint une idée… Plusieurs femelles de la meute de loup qui régnait sur ses terres venaient d’avoir des portés. Je pris alors l’enfant avec moi et leur demanda de l’élever, comme s’il était le leur… Devant la détresse du petit, une louve accepta, laissant son instinct maternel prendre le dessus : Raksha. Je ne pouvais espérer meilleure mère pour lui. Elle était douce mais stricte quand il le fallait. Elle enseigna parfaitement au petit d’homme comment être un bon loup. Elle lui trouva même un très joli prénom : Mowgli.

Les années passèrent, et Mowgli devint un petit loup fort et très agile ! Je dois bien avouer qu’il m’impressionnait énormément. Il était intelligent, doué, curieux… Je me suis alors beaucoup rapproché de lui. Je n’arrivais pas à m’éloigner de lui plus de quelques jours et je pris très à cœur son éducation. J’avais trouvé ce petit d’homme, j’avais choisi de le laisser grandir dans la jungle, il était donc sous ma responsabilité. Parfois, j’avais l’impression que l’on partageait bien plus qu’une simple amitié, nous étions plutôt deux frères. Des frères qui s’aiment, mais aussi qui se chamaillent. Je ne compte plus le nombre de querelles que nous avons eut. Mowgli était encore jeune et intrépide, il n respectait pas toujours les règles de la jungle et il était donc de mon devoir de les lui rappeler.

Mais ce petit d’homme a bien évidemment grandi dans mon estime lorsqu’il nous a tous sauvés… 

Quand un terrible prédateur a refait surface dans notre parti de la jungle, il a tout de lui pris le jeune garçon pour cible… Malheureusement, Mowli ne s’est pas vraiment rendu compte du danger, du moins il le sous-estimait… Réussir à le convaincre de se rendre au village des hommes n’a donc pas été chose facile. Je me suis même plusieurs fois arraché les poils pour réussir à lui faire entendre raison…
Mais je dois bien avouer que cela n’a plus aucune importance aujourd’hui. Alors qu’il aurait pu vivre sa vie loin du danger, au village des hommes, il est revenu dans la jungle et a défié Shere Kan. Il était le seul à pouvoir manier la fleur rouge… Le seul a pouvoir faire fuir ce monstre de nos terres. Il nous prouva à nouveau son habileté, son intelligence et son courage en nous débarrassant de ce tigre tyrannique. Même encore aujourd’hui, je suis terriblement fière de lui.

Après un tel événement, Mowgli compris qu’il n’avait malheureusement plus vraiment sa place dans la jungle. Tout était devenu bien trop compliqué pour lui, comme pour nous. Le petit d’homme parti donc rejoindre le village des hommes une bonne fois pour toutes. Lui faire mes adieux fut la plus difficile et la plus terrible des épreuves. Je sentais mon cœur se déchirer à l’idée de ne plus jamais voir mon frère.. J’avais au cours de ses années, lié des liens si intenses avec lui que jamais, ô grand jamais je ne l’oublierais… 

La vie repris alors son cours, mais quelque chose avait changé… Tout était bien plus calme et paisible… Et je dois bien l’avouer, je pensais avoir vécu ma dernière grande aventure aux côtés de Mowgli, mais la vie semblait en avoir décidé autrement… 

Je me souviens m’être endormi sur une branche, les rayons du soleil réchauffant mon pelage sombre, mais en ouvrant les yeux, je n’étais plus la jungle… J’étais au beau milieu des hommes et.. J’en étais moi-même devenu un. Ce changement fut… Très déroutant. De plus, les manières de ses hommes n’avaient absolument rien à voir avec celles que je connaissais. Et c’est comme ça qu’en une fraction de seconde, ma vie fut complètement chamboulée.

Vivre dans ce nouveau monde fut très compliqué au début. Personne ne me croyait lorsque j’expliquais avoir été une panthère et que je m'appelait Bagheera. On me prenait pour un fou, pour un dérangé.. Au début, je n’avais même pas de toit au-dessus de ma tête, et personne ne voulait m’aider… Un autre gars, qui dormait sous les ponts avec moi, mais pour une tout autre raison, me prit sous son aile. Je ne comprends toujours pas pourquoi il m’a aidé.. Il aimait sans doute les histoires que je pouvais raconter puisqu’il me posait toujours un tas de questions sur la jungle et ses lois. 
Cet homme m’apprit alors à lire et à écrire, ainsi que le fonctionnement des nombreuses nouvelles choses de ce nouveau monde. C’est grâce à lui que j’ai réussi à avoir mon premier job et de quoi me payer un petit toit. 

Mes trois premières années à Londres furent donc entravées par un bon paquet de galères. Chercher un moyen de rentrer chez moi ne m’attira que des ennuis et c’est en rencontrant d’autres personnes comme moi que je compris qu’il n’y avait aucun moyen de retour en arrière. Je n’étais qu’un personnage de compte et de dessin animé, je n’étais pas réel… Et pourtant : je devais faire le deuil de ma vie de félin, oublier la jungle et construire un avenir dans ce nouveau corps, dans cette nouvelle ville. Adieu Bagheera, bonjour Zachary. 
C’est donc avec un tout nouvel état d’esprit que je pus enfin mettre des mots sur une de mes passions : enseigner. D’après mon entourage, j’avais toutes les capacités pour faire un bon professeur, mais pour ça, il fallait suivre un cursus assez strict. J’ai donc passé plusieurs diplômes, plusieurs formations pendant près de 5 ans avant d’enfin pouvoir exercer le métier que je voulais et je me suis très vite épanoui dans ce job. Je me suis toujours énormément investi pour tirer mes élèves vers le haut, pour faire ressortir le meilleur d’eux même et ceux, malgré leur jeune âge. Ce travail me permit également d’avoir mon premier vrai chez moi : un petit appartement dans les quartiers sud de Londres. 

Pour finir, je me suis découvert une nouvelle passion : les voyages. Qui dit voyage, dit également argent, c’est pour cela qu’en plus de mon travail dans une petite école primaire de Londres, je donne des cours particuliers à des jeunes en difficulté au collège ou au lycée. Les sous que ses cours supplémentaires me rapportent me permettent de parcourir le globe chaque fois que j’en ai envie. Évidemment, je suis retourné en Inde, dès que j’en ai eu les moyens, pour voir de mes propres yeux, à quel point le pays qui m’avait vu grandir avait changé… J’ai encore parfois du mal à croire tout ce qui m’arrivent, mais je dois dire que je suis assez heureux de ce que m’offre cette nouvelle vie. J’ai, à présent, tout un tas de projet que je veux réaliser, une multitude de pays que je souhaite visiter, des élèves à aider, mais je dois bien l’avouer, j’ai aussi un trou béant dans le cœur. Un trou qui ne se comblera que lorsque j’aurais retrouvé mon frère.