Premier jour de stage. Sa convention soigneusement rangée dans une pochette à l’intérieur de son sac à main, Wendy marchait d’un pas rapide vers l’entrée du portail de l’école primaire londonienne qui devait l’accueillir au sein du corps professoral pendant ces six prochains mois. Ses études en littérature l’avaient menée à se questionner sur ses prochains choix de carrière et, si elle n’abandonnait pas l’idée de devenir une grande auteure de romans d’aventures, elle souhaitait tout de même avoir un poste stable à côté, et l’enseignement lui convenait tout-à-fait. Si elle pouvait aider de plus jeunes qu’elles à apprécier les plus belles leçons que la vie pouvait donner, elle ne comptait pas laisser passer cette opportunité. Elle s’imaginait déjà prendre sous son aile une classe d’enfants perdus pour les guider vers de grands horizons et leur raconter mille et une histoires pour les encourager à rêver. C’est donc avec un grand sourire qu’elle se présenta devant les portes de l’école, prête à faire ses premiers pas dans ce nouveau chapitre de sa vie.

On lui avait assigné comme tuteur un certain Zachary Panthera, qu’elle ne connaissait que par quelques rapides échanges de mails assez formels. Elle ne l’avait encore jamais rencontré en chair et en os, mais elle espérait qu’il soit sympathique et qu’il partage ses idées sur l’enseignement. Durant ses quelques années d’études, il lui était arrivé de croiser des professeurs désagréables n’ayant aucun autre intérêt pour le métier d’enseignant que celui de l’argent, et elle espérait sincèrement que ce Zachary ne soit pas l’un d’entre eux. Dans sa tête, elle l’imaginait être un grand jeune, blond et au regard rieur, mais ce n’était que pour créer un visage sur ce nom qu’on lui avait donné. Il pourrait tout aussi bien être petit et roux, peu importe : le principal, pour elle, était qu’ils s’entendent bien, pour que ces quelques mois à venir soient aussi excitants qu’ils l’étaient dans son imagination.

À l’accueil, on lui indiqua que Monsieur Panthera se trouvait certainement dans la salle des professeurs à cette heure-ci. Quand elle demanda où se trouvait cette dite salle, on lui répondit par un simple mouvement de doigt pointé vers un long couloir sur sa droite. Bien… Elle salua tout de même le réceptionniste et lui souhaita une bonne journée avant de commencer sa quête dans ce couloir aux innombrables portes. Fort heureusement, celle des professeurs n’était que la deuxième sur la gauche et était indiquée par un grand écriteau sur la porte, ce qui lui évita pas mal de chemin. Elle se positionna donc juste devant, inspira un grand coup et, toujours souriante et pleine d’espoirs, toqua deux coups.

Entendant qu’on l’invitait à entrer, Wendy agrippa la poignée et poussa délicatement la porte, qui ouvrit sur une grande salle où se tenaient actuellement trois personnes. Ne sachant à qui s’adresser, elle se présenta tout en passant son regard sur chacune d’elle alternativement :

« B… Bonjour, je m’appelle Wendy Darling, je suis la nouvelle stagiaire. Je cherche le tuteur qui m’a été assigné, Monsieur Panthera ? »

Puisqu’il y avait effectivement un grand blond dans la salle – mais il était vieux – l’étudiante termina son point d’interrogation en gardant son regard vers lui, s’attendant à ce qu’il se présente effectivement comme son maitre de stage. Cependant, celui-ci l’ignora totalement et reporta son attention à ce qu’il faisait avant qu’elle ne les dérange, et Wendy prit son manque de réaction pour un indice qu’il n’était pas celui qu’elle cherchait. Première erreur, donc. Pour ne pas laisser ce moment d’embarras s’étendre plus longtemps, elle tourna immédiatement la tête vers celui qui semblait être le vrai Zachary cette fois – au vu des jeux de regards qu’elle avait saisi suivant sa question – et tenta de ne laisser paraitre aucune gêne dans son éternel sourire en attendant qu’il se présente à son tour.

Zachary vint se présenter à elle rapidement et son grand sourire rendit son accueil extrêmement chaleureux. Sa bonne humeur étant contagieuse, Wendy lui retourna un sourire identique, heureuse d’être visiblement tombée sur une personne aussi enthousiaste. Elle avait déjà eu une excellente impression du professeur lors de leurs premiers échanges écrits, mais c’était toujours agréable de voir la réalité la confirmer. Soulagée, l’étudiante se rendit compte que ses muscles avaient été tendus par le stress quand ceux-ci se relâchèrent. Il n’y avait plus aucune raison d’appréhender ce stage, désormais ; dans les mains d’un tel tuteur, elle était persuadée qu’il n’y avait pas de souci à se faire.

Zachary l’emmena jusqu’à son bureau et lui tira une chaise pour qu’elle puisse s’assoir. Elle sortit son calepin et un stylo et le regarda ranger ses copies pour faire un peu de place. Elle ne put s’empêcher de jeter un œil à la première de la pile et fut intriguée de constater que les questions semblaient être d’un niveau un peu supérieur à celui auquel elle aurait pu s’attendre pour une école primaire. Perplexe, elle décida de ne rien dire tout de suite, ce serait une question pour plus tard. Elle-même n’avait jamais vraiment connu le système scolaire actuel, qui différait largement de l’éducation qu’on lui avait donné à son époque, au tout début du vingtième siècle. Bien évidemment, c’est une anecdote qu’elle préférait taire, en général, car le voyage dans le temps n’était toujours pas une chose commune en 2021. Elle tenta donc de ne pas paraitre trop étonnée pour le moment, au cas où elle s’apprêtait à faire une bourde, et se dit qu’elle réfléchirait à une manière de tourner sa question pour ne pas sembler comme venue d’un autre monde au moment opportun. Zachary finit par reprendre la parole pour s’excuser de ne pas l’avoir attendue et Wendy balaya d’un mouvement de tête son apologie.

« Non, non, ne vous en faites pas, il n’y a aucun problème ! Vous exercez un métier passionnant, il est normal que vous soyez un peu pris par votre travail, c’est d’ailleurs ce qui m’attire en particulier dans cette profession. Je suis sûre qu’on ne doit jamais s’ennuyer, ici ! »

Elle termina sa phrase par une exclamation, excitée à l’idée de pouvoir commencer à travailler au sein d’une école. Elle s’imaginait déjà à donner des cours et à aider les élèves à apprendre toutes les merveilles que l’éducation pouvait leur apporter. Elle avait hâte de commencer ! Sans se départir de son grand sourire, l’étudiante répondit à l’interrogation du professeur :

« Non, fort heureusement, la salle des professeurs est plutôt facile à distinguer des autres, j’ai trouvé assez facilement… » elle baissa la voix tandis qu’elle rajoutait : « Même si je dois dire que le personnel de l’accueil gagnerait à être un peu plus aimable. »

Elle lui lança un petit sourire complice, se demandant s’il partageait son point de vue ou non. Ce n’était pas son genre de commérer sur les gens, mais elle se disait qu’une petite boutade ne pouvait pas faire de mal. Et puis, il l’avait cherché, aussi, à lui répondre comme il l’avait fait ! Comment pouvait-il travailler à l’accueil et ne même pas daigner sourire ? Enfin, il n’y avait pas de raison de s’étendre sur le sujet, elle avait bien d’autres choses plus intéressantes à penser. Enthousiaste, et avec beaucoup de mal à cacher son impatience, elle demanda :

« Alors, dites-moi, Monsieur Panthera, quel est le programme de la journée ? Par quoi commençons-nous ? J’ai hâte de rencontrer les élèves ! »

Tant de questions fusaient déjà dans son for intérieur. Est-ce qu’elle serait à la hauteur ? Est-ce qu’on l’apprécierait ? Est-ce qu’elle saurait gérer autant d’enfants ? Est-ce qu’elle parviendrait à rendre les cours intéressants ? C’était vraiment impressionnant, et elle était reconnaissante de pouvoir découvrir le métier aux côtés de Zachary. Elle était certaine que c’était un bon instituteur, les enfants devaient bien l’aimer. Elle se rappela d’ailleurs la première question qu’elle avait eue tout à l’heure et décida que c’était le bon moment de lui en faire part.

« Je me demandais aussi, sur quoi portent les cours, exactement ? Je serais curieuse de connaître un peu ce que font les élèves, avant de les rencontrer. Les copies que vous avez empilées sur le côté, était-ce un devoir que vous leur aviez donné ? »

C’était une manière de questionner sans trop passer pour une idiote ; du moins Wendy l’espérait. Ce serait dommage de commencer son premier jour en laissant une mauvaise impression d’elle-même.