Wendy est une jeune demoiselle extrêmement bienveillante. Amicale et altruiste, elle rêve de la paix dans le monde et que tout le monde puisse être heureux et en bonne santé autour d’elle. Cette empathie la rend parfois très maternelle envers les autres, notamment ceux qui souffrent de l’absence d’un parent ; ou comme elle les appelle encore aujourd’hui, les enfants perdus. Et elle n’hésiterait pas une seconde à se sacrifier pour protéger ceux qu’elle aime. Parfois un peu naïve, elle ne comprend pas qu’on puisse vouloir faire du mal aux autres, et ne s’y résoudrait jamais, pas même à une mouche. Plutôt crever que d’accepter de devenir comme ces pirates sans cœur armés jusqu’aux dents.

Rêveuse et souvent la tête dans les nuages, elle n’en est pas moins bavarde et a souvent beaucoup de choses à raconter. Elle est facilement sociable et plutôt curieuse, désireuse d’en apprendre toujours plus sur ce monde qu’elle ne connait pas et qui la fascine. Malgré tout, elle aimerait bien un jour pouvoir rentrer chez elle, parce que mine de rien, ça lui manque un peu, notamment ses parents.

« Maman ! Maman, tu ne devineras jamais ! »

Mary Darling s’apprêtait à se coucher lorsque la voix enthousiaste de sa fille aînée retentit dans les couloirs de leur maison londonienne. Elle sourit en détachant sa deuxième boucle d’oreille, tentant d’imaginer ce que Wendy avait encore trouvé comme histoire à lui raconter. Elle avait trouvé la carte d’un fabuleux trésor sur une île imaginaire. Ou bien elle avait appris à parler aux animaux. Ce qui était certain, c’était que connaissant sa fille, elle ne risquait pas de s’ennuyer. Wendy avait une imagination débordante.

« Oui Wendy ? Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ? »

Elle tourna la tête vers la porte de la chambre pour voir la petite fille débarquer en courant, un gigantesque sourire aux lèvres et un objet qu’elle ne reconnut pas tout de suite dans les mains. Wendy le lui tendit en s’écriant :

« Ma boite à musique est revenue ! »

Mary laissa échapper un petit « oh » de surprise en déviant son regard vers le jouet que sa fille lui montrait. C’était impossible. Cette boite à musique, elle aurait dû être perdue à tout jamais. Lentement, et avec beaucoup de prudence, elle s’empara de l’objet, cherchant un indice, une preuve qui pourrait rationnaliser cette apparition soudaine. Mais loin d’apaiser ces doutes, ce geste eut pour conséquence de soulever d’autres questions : la boite était comme neuve, alors qu’en toute logique elle aurait dû être un déchet à présent. Elle était pourtant parfaitement sûre qu’il s’agissait bien de leur boite à musique. La princesse qui dansait sur le couvercle avait été sculptée par son propre père, en cadeau pour ses cinq ans. Mais alors comment était-ce possible ?

« Wendy, où l’as-tu trouvée ?
- Sur le rebord de la fenêtre, maman. Et regarde, elle marche parfaitement bien ! »

La petite sortit la clé attachée à son collier et l’inséra dans la serrure de la boite à musique. Aussitôt, la sculpture tourna sur elle-même et une douce mélodie s’échappa de l’objet, envoutant la pièce de ses notes enivrantes.

« Wendy ? Mary ? Que se passe-t-il ? »

Encore sous le choc de l’évènement, Mary tourna doucement la tête vers son mari qui venait de se lever, alerté par les échanges de voix et la musique qui continuait inlassablement de se jouer.

« Papa, papa ! Regarde, c’est ma boîte à musique ! »

Aux yeux ouverts ronds comme des soucoupes de George Darling, Mary sut qu’il se posait les mêmes questions qu’elle. Et à raison, puisque c’était sur un énième coup de colère de son mari que cette boite avait fini à la mer quelques mois plus tôt. Mary s’en rappelait comme si c’était hier. Ils s’étaient baladés tous les quatre (John, son cadet, était alors encore un bébé) au bord de l’eau, pour une heureuse sortie en famille. Wendy, toute fière de la boite à musique que sa mère venait de lui offrir pour son cinquième anniversaire, s’amusait à la faire tourner sans relâche, indifférente aux demandes de George qui, lassé par la musique, lui suppliait d’arrêter. Il finit par s’énerver réellement et, puisque sa fille ne voulait pas lui obéir, il lui arracha la boite des mains et l’envoya balader par-dessus bord, sous le regard effaré du reste de sa famille. Wendy pleura à chaude larmes pendant toute la soirée. Pris de regrets, le père tenta de rattraper la pauvre boite, mais celle-ci voguait déjà trop loin du rivage. Elle avait par ailleurs été brisée par la chute, et il n’était pas sûr qu’il aurait réussi à la réparer même s’il réussissait à la récupérer.

Alors revoir cette même boite à musique jouer cette mélodie infernale dans les mains de sa femme était un miracle que même avec toute la logique du monde George aurait été bien incapable de se l’expliquer.

Mais pour Wendy, c’était différent. Du haut de ses cinq ans presque six, la petite fille ne rêvait encore que de magie et d’aventures, et l’apparition inexpliquée de sa boite à musique sur le rebord de sa fenêtre cette nuit-là n’était qu’une preuve de l’existence de ce monde encore inconnu. Elle aurait d’ailleurs juré avoir aperçu l’éclat d’une petite fée, cachée derrière un des toits de la ville, qui l’observait tandis qu’elle ouvrait sa fenêtre pour prendre la boite. Depuis ce jour-là, ses rêves ne cessèrent plus.

Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle voyait cette petite fée qui virevoltait dans ses pensées, laissant derrière elle une longue traîne de poussière dorée. Et puis bientôt, elle imagina ce garçon roux au regard espiègle, ce petit lutin toujours vêtu de son costume vert feuilles, qui régnait en maître dans un monde lointain appelé le Pays Imaginaire. Ce pays fantastique fourmillait de pirates, d’indiens, de sirènes et autres créatures merveilleuses qui vivaient chaque jour des aventures incroyables. Le matin au réveil, elle prenait sa plus belle plume et notait chaque petit détail de son rêve pour le raconter le soir même à ses jeunes frères, John et Michael, qui buvaient ses paroles, totalement absorbés par ces histoires extraordinaires qu’elle leur contait.

Du côté de Mary et George Darling, ceux-ci s’étaient habitués aux histoires sans queue ni tête que leur fille aînée ne cessait de raconter ; et si cela commençait fortement à agacer le père, la mère quant à elle ne pouvait s’empêcher d’être attendrie par l’imagination débordante dont faisaient preuve ses enfants. Tous deux avaient décidé d’oublier l’histoire de la boite à musique mystérieuse, puisque c’était le devoir de tout adulte de fermer les yeux sur tout ce qui pouvait avoir trait à la magie et au surnaturel.

Un soir cependant, Wendy ne se contenta pas seulement de rêver. Alors qu’elle était en train de donner à manger à Nana, la chienne de la maison qui leur servait aussi étrangement de nourrice, elle aperçut une chose bien intrigante coincée dans la gueule de l’animal. La jeune fille, qui avait alors douze ans, s’accroupit à sa hauteur et tenta de la lui reprendre. D’abord hésitante, Nana finit tout de même par desserrer ses crocs et laisser la fillette s’emparer de la chose. En comprenant ce que c’était, Wendy poussa un cri de surprise. Une Ombre ! C’était l’Ombre de Peter Pan ! La silhouette découpée lui paraissait exactement comme dans ses rêves. Alors… ça signifiait que Peter était passé par ici ? Et que Nana avait récupéré son Ombre ? C’était… c’était… c’était parfait ! Toute excitée par cette nouvelle, Wendy courut dans toute la maison pour montrer sa trouvaille à ses frères. Il existait ! Peter Pan existait réellement ! Elle l’avait toujours su, bien sûr, mais c’était la première fois qu’elle en avait la preuve devant ses yeux. Et surtout, puisqu’il avait perdu son ombre ici, il reviendrait certainement la chercher ! Et elle le rencontrerait, enfin ! Lui, le lutin au regard espiègle, le héros de ses aventures, elle le verrait enfin ! Si elle le voyait, c’était sûr, elle l’embrasserait. En attendant, elle cacha l’Ombre dans un tiroir et mit ses frères au lit avant de leur conter une nouvelle histoire pour s’endormir. Puis elle alla patienter à la fenêtre, dans l’espoir de voir apparaitre son Peter Pan quelque part dans ce beau ciel étoilé. Et elle attendit, attendit, attendit…

« Wendy ? Tu t’es encore endormie près de la fenêtre, ma chérie. »

La jeune fille rouvrit les yeux doucement, réveillée par la main de sa mère qui caressait ses cheveux châtains et la lumière du jour qui commençait déjà à emplir la chambre. Elle sourit au visage maternel qui lui faisait face et répondit :

« Bonjour maman. Je me suis assoupie en attendant Peter Pan. »

Mary Darling eut un demi-sourire hésitant. Bien qu’elle soit plutôt attendrie devant l’innocence et la capacité impressionnante de ses enfants à inventer des aventures toujours plus folles, elle se demandait si c’était vraiment une bonne chose qu’ils soient aussi obsédés par ces histoires ; au point de ne plus pouvoir les distinguer de la réalité. Mais elle se reprit bien vite. Après tout, ils étaient encore jeunes. Ils avaient tout le temps de grandir. Elle embrassa le front de sa fille et lui demanda :

« Et alors ? Est-ce qu’il est venu ?
- Non, pas cette fois. Mais il viendra, je le sais. »

Qu’importe que cela prenne des jours, des semaines ou des mois. Wendy ne se découragerait pas. Peter Pan finirait par revenir, et elle serait là pour l’accueillir. Pour lui donner ce baiser qu’elle s’était promis de lui donner.

Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était que son père rentre de nouveau dans ses colères noires dont il avait l’habitude, et décide qu’à partir de la nuit suivante, elle dormirait dans une chambre à elle, comme une adulte. Il en avait assez de ces histoires ridicules sur ce Pays Imaginaire dont elle ne cessait de parler, sur ce garçon imprudent et ses amis bizarres. Il voulait qu’elle grandisse une bonne fois pour toutes. Mais Wendy, elle ne voulait pas grandir. Wendy, elle voulait rester encore une enfant, continuer à raconter ses rêves fantastiques à ses frères et jouer avec eux aux pirates et aux indiens. Le monde des adultes lui faisait peur, il n’était pas pour elle. Il n’était que pour les parents qui avaient accepté de ne plus croire à la magie. Elle ne voulait pas de ça. Surtout pas ça. Mais son père ne comprenait pas. Il était catégorique. Ce serait sa dernière nuit dans la chambre des enfants. Qu’elle panique ou non n’y changerait rien.

La nuit, après avoir demandé à sa mère de laisser la fenêtre ouverte, elle pria pour que Peter Pan vienne cette fois-ci, sachant que c’était sa dernière chance pour le rencontrer. Elle connaissait assez bien le garçon de ses rêves pour savoir qu’il ne viendrait jamais dans une chambre d’adulte. Elle tenta de rester éveillée, mais une fois encore, le sommeil la rattrapa bien vite.

La suite, on la connait. Réveillée par une course-poursuite entre Peter Pan et son Ombre, elle aida son héros à la recoudre à ses pieds, puis fut retenue violemment par une fée Clochette très jalouse lorsqu’elle tenta de l’embrasser comme elle se l’était promis. Enivrée par ses rêves d’aventures, elle apprit à s’envoler et elle et ses frères suivirent Peter jusqu’au Pays Imaginaire. Après une mauvaise rencontre avec les enfants perdus, les pirates puis les indiens, et après avoir bien faillit mourir une bonne trentaine de fois, Wendy décida qu’il était temps de rentrer à la maison. Elle avait aimé toutes ces aventures avec Peter, même si elle aurait bien voulu qu’il s’intéresse à elle un peu plus que ça plutôt qu’à cette Lili la tigresse, et elle avait aimé les enfants perdus, les indiens et même Clochette. Mais elle avait aussi pris conscience qu’on ne pouvait pas vivre ainsi éternellement et qu’il était temps de laisser la vie reprendre son cours. Un beau jour viendrait où elle serait adulte, et elle devrait l’accepter. À dire vrai, ça lui avait plu de jouer la maman avec les enfants perdus. Peut-être qu’un jour, elle le serait pour de vrai. Et pour la première fois, cette pensée ne l’effrayait pas du tout.

Après une dernière altercation avec des pirates violents où elle crut vraiment qu’elle y passerait pour de bon, leur petite troupe prit possession du navire et s’envola vers Londres où Wendy et ses frères purent rentrer chez eux.

Malgré les excuses de son père, qui lui assura qu’il lui avait parlé de la chambre d’adulte uniquement sous le coup de la colère, Wendy dormit dès le lendemain dans cette chambre à part. Pour être honnête, ce ne fut pas facile pour elle de se séparer de John et Michael, ni pour ces derniers d’ailleurs, qui s’étaient habitués à sa présence maternelle. Mais ils s’y habituèrent et Wendy eut moins de mal à mûrir que ce qu’elle aurait pensé. Elle avait gardé son caractère joyeux et bienveillant, et parlait toujours de Peter Pan avec un sourire sincère, mais elle savait à présent se concentrer sur les choses de la vie réelle comme l’apprentissage de ses leçons et les questions sur son avenir. Qui se résumaient surtout à quel homme elle allait marier parce que soyons un peu réalistes, en ce début de XXe siècle, les femmes existaient surtout pour faire des enfants. Quoique, Wendy avait pris plaisir à rédiger des romans d’aventures, d’abord à la plume puis sur la machine à écrire dernier cri que son père avait accepté de lui acheter. D’abord centrées sur le Pays Imaginaire, ces histoires avaient progressivement pris leur indépendance et s’étaient éloignées de ce monde qui avait appartenu à son enfance. Le temps avait passé sur sa mémoire, et bien qu’elle ne puisse jamais vraiment oublier son séjour sur l’île de Peter Pan, elle y pensait de moins en moins et serait bien incapable de se rappeler certains détails. À vrai dire, plus les années passaient et plus cette aventure paraissait dans sa tête comme un lointain souvenir, voire comme un ancien rêve d’un enfant avec peut-être un peu trop d’imagination.

Concernant sa vie familiale, Wendy était toujours aussi proche de ses frères, et même si elle ne jouait plus avec eux, elle prenait plaisir à s’occuper d’eux, à discuter et à leur donner des conseils quand ils en avaient besoin. Comme toujours, sa mère était sa meilleure amie et confidente. Quant à son père, elle avait appris à l’ignorer voire l’éviter lorsqu’il commençait à s’énerver ; mais lui pardonnait toujours aussi vite lorsqu’il revenait pour s’excuser, parce que bon, elle restait Wendy la Bienveillante, et Wendy la Bienveillante n’était pas connue pour sa rancœur.

Et puis un beau matin, pendant l’année de ses vingt ans, Wendy se réveilla dans un Londres qu’elle ne reconnut pas. Les quartiers, les habitations avaient changé, les passants étaient tous attifés de tenues ridicules et improbables, transportant des objets étranges qui semblaient émettre de la lumière, et surtout, les rues étaient encombrées de machines en ferrailles qui n’avaient plus grand chose à voir avec les voitures qu’elle connaissait. Ce changement soudain lui donna un violent mal de crâne et elle s’affaira à retrouver son chemin jusqu’à chez elle, espérant qu’une fois rentrée tout irait mieux. Sauf qu’elle ne trouva plus sa maison. Le quartier de Bloomsbury ne ressemblait plus à ce qu’elle connaissait et les quelques maisons qui auraient pu correspondre étaient toutes déjà habitées par des personnes qui lui assurèrent ne pas connaitre les Darlings. Perdue et complètement seule, Wendy fut subitement en proie à une crise de panique comme elle n’en avait jamais connu et finit par se retrouver en larmes dans le premier bâtiment public qu’elle trouva. Peinée, la gérante du café dans lequel elle avait trouvé refuge tenta de l’aider sans savoir vraiment quoi faire et finit par la diriger vers un hôtel abordable avec quelques pièces de monnaie pour lui payer une nuit.

Elle galéra beaucoup les premiers jours, vivant un enfer dans cette ville qu’elle ne reconnaissait plus, et dut se résoudre à dormir plusieurs nuits à la rue avant de parvenir à obtenir un emploi et de payer elle-même ses nuits à l’hôtel. Elle travaillait désormais comme serveuse dans le même café où elle s’était réfugiée le premier jour, sous la direction d’une patronne agréable qui avait le cœur sur la main. Au fil du temps passé dans ce qu’elle appelait le nouvel univers, elle réalisa qu’elle avait eu beaucoup de chance en tombant sur elle. Elle s’inscrit aussi à l’université, émerveillée par tout ce qu’elle proposait, et étudia la littérature. Elle ne savait pas trop où ça la mènerait, mais il lui semblait que ce nouvel univers ouvrait des portes infinies vers des métiers par milliers dans lesquels même les femmes pouvaient exercer. Finalement, peut-être qu’elle pourrait s’y faire. Peut-être même qu’elle pourrait s’y plaire.

Aujourd’hui, trois ans se sont écoulés depuis son arrivée dans le monde réel. Wendy s’est peu à peu habituée à cet univers inconnu et loge désormais dans un petit appartement modeste. Elle se rend régulièrement à l’université dans laquelle elle aime étudier. Elle s’est même récemment acheté un ordinateur qui est une machine vraiment incroyable dont elle se sert surtout pour écrire ses romans d’aventures. Elle a appris l’existence du conte et des films de Peter Pan mais ne comprend pas comment les auteurs aient pu en savoir autant sur sa propre vie. Au début, elle voulait clamer à quiconque qu’elle était bien la Wendy de l’univers de Peter Pan. Mais elle abandonna bien vite l’idée après avoir réalisé que les gens la prenaient soit pour une folle soit pour une bonne blagueuse. Elle ne croit pas être un personnage fictif mais plutôt une voyageuse temporelle comme ces films de science-fiction dont elle est devenue friande. Quant à Peter, si elle ne nierait pas avoir un peu envie de le revoir, elle est persuadée qu’il est toujours au Pays Imaginaire en compagnie de sa très chère Clochette dont elle est peut-être un tout petit peu jalouse encore aujourd’hui.