Et petit à petit, le monde reprend vie dans son esprit à moitié endormi. C'est des sons, des sensations et des émotions qui doucement réveillent ses sens et interpellent sa conscience.

Une brise sur son visage.
Une conversation lointaine.
Une étreinte visqueuse.
Une odeur infecte.
Une douleur poignante.

Oh putain… Ça fait un mal de chien. Douleur qui se répercute en échos dans ses souvenirs, il est à la sortie du lycée et Sofia lui a presque pété le nez tellement il l’avait saoulé ; il est dans la cage d’escalier et les bouteilles vides se brisent sur lui et les marches qu’il vient de dégringoler ; mais non, le décor qui se dessine entre deux battements de cils n’a rien d’aussi familier.

C’est un drôle d’univers que Jayden discerne chaque fois qu’il parvient à ouvrir les paupières. Un monde où le sol semble s’être effondré sous ses pieds. Il le voit, là, étalé loin tout en bas. Quoi ? Doucement, son corps sort de sa léthargie pour se réinscrire dans son environnement. Est-ce qu’il est en train de flotter ? De voler ?

Oh putain. Mots qu’il n’arrive pas à articuler, les syllabes fondent en gémissement dans sa bouche. Car si la raison commence à saisir l’urgence de la situation, le corps, lui, reste insensible aux piques de la panique. Incapable de se redresser, Jayden ne peut qu’observer les portes qui tout autour défilent et montent et montent jusqu’au plafond, des milliers de rectangles que son esprit flou associe à d’étranges étagères chargées de cartons. « Pourquoi c’est IKEA ? » qu’il s’entend enfin baragouiner, ses pensées toutes embrouillées. Ça y est, la visite du magasin touche à sa fin, plus qu’à trouver son meuble et à rentrer, putain, ça va être chaud de trainer la kallax dans le metro.

Non.
Il est en train de voler.
Non.
Il se fait transporter.
Non.
Il est en train de tomber.

Pas le temps de réaliser, impossible de crier. Son souffle se coupe, coincé dans sa gorge toute encombrée de hurlements. Ses paupières se sont aussitôt refermées, réflexe d'un Jayden qui a trop peur de la mort pour la regarder s'approcher. Et le corps se tend en anticipant le choc qui l'attend. Si seulement il rêvait, ce serait le moment parfait pour enfin se réveiller.

Mais son lit reste bien loin, quand tout s'arrête enfin. Décidément, il n'a rien compris et il n'est pas certain d'en avoir envie. Ce qu'il veut, en revanche, c'est retrouver la sensation de la terre sous ses pieds, se défaire de la prise oppressante et un brin écœurante. « Je veux descendre, je veux descendre, je veux descendre ! » Jayden demande, Jayden supplie, sa plainte montant en crescendo, plus encore lorsqu'il réalise que ce ne sont pas des bras qui le retiennent depuis tout ce temps. Non, non, NON, il n'a pas signé pour ça.

Il dégringole plus qu'il ne descend. « Merci- Oula. » Stop. Le plancher tangue drôlement sous ses pieds. Jayden cherche à se stabiliser, une main posée sur Bruni, la seconde portée à sa tempe, là où la douleur pulse au rythme de son cœur. Battements qui se veulent de plus en plus effréné lorsque, sous ses yeux affolés, Jayden découvre les éclats rouge restés sur ses doigts. « Oh non, oh non, oh non, oh non. » Refrain panique venu accompagner le geste frénétique de sa main contre son pull pour vite, vite, se débarrasser de cette couleur sang de malheur, de ce ton vermeille qu’il a en terreur. La tache sera difficile à enlever, il le sait, Jayden revoit encore les formes marrons que papa avait semé sur son pyjama, celles qu’il avait fini par découper faute de réussir à s’en débarrasser, quitte à dormir dans un vêtement troué.

Parce que non, décidément, le sang, c’est censé rester dedans.

Jayden sent ses forces l'abandonner, tandis que ses pas se retrouvent soudain dérivé par le poids mort de son jumeau encore ensuqué. Wooow. Ses jambes viennent l'écraser contre la rambarde. « Oh putain, c’est haut sa mère… » Ses mains se referment sur la barrière. Jayden se concentre sur le toucher froid du fer sous ses doigts pour oublier la nausée qui lui serre les entrailles et soulève son cœur jusqu’à ses lèvres.

OK, OK…
Inspirer…
Expirer…
Ça va aller…
Il va se calmer…

(Si résultat impair)
« OK, ça va… » Finit-il par murmurer en se retournant vers Gram et Bruni. « Je crois que… » Désormais dos à la barrière, Jayden se laisse doucement glisser contre le muret pour se retrouver par terre, entre un transpalette chargée de portes et un pilier. « Je crois que j’ai besoin de me poser deux secondes. » Le temps que le monde arrête de tourner. Qu'il comprenne ce qui est en train de se passer. Et sa continue de tanguer, la tête lourde de brique vient se poser sur les portes entreposés. «  On est où, là ? C’est ça le truc des portes ? » Y a un drôle de silence à ses côtés, une absence inquiétante. « Hey, ça va ? » qu'il demande en secouant prudemment son jumeau.

(Si résultat pair)
« OK, ça va… » Finit-il par murmurer en se retournant vers Gram et Bruni. « Je crois que… » Désormais dos à la barrière, Jayden se laisse doucement glisser contre le muret pour se retrouver par terre, entre un transpalette chargée de portes et un pilier. « Je crois que j’ai besoin de me poser deux secondes. » Le temps que le monde arrête de tourner. Qu'il comprenne ce qui est en train de se passer. Et sa continue de tanguer, la tête lourde de brique vient se poser sur les portes entreposés. C'est là que sa rétine hurle sous l'agression d'un objet brillant. « Oh putain, j'y crois pas. »

HORS JEU
Résultat pair : Jayden trouve le dernier morceau de portail entre un transpalette chargé de porte et la rambarde.
Résultat impair : Jayden comate et pose des questions aux autres.

En bref:

ENVENT Ch.5 : Monstropolis

Je peux emménager plz?

Quelle déception de ne pas revenir vers les autres avec un morceau de portail. Mais bon, vu comment les deux premiers avaient été faciles à trouver, ce n’était pas surprenant que le dernier se laisse désirer un peu. Gram fut surpris, mais fort enjoué de la proposition de Bruni. Voler sur le dos d’un dragon, ce serait sans aucun doute génial. Il prit place sur le dos de l’autre garçon, essayant de prendre une position qui n’entraverait pas les mouvement de Bruni pendant le vol. Le garnement attrapa ensuite Jayden, le tenant fermement afin qu’il ne glisse pas. Ils étaient prêts pour le grand saut. L’excitation gagna Gram, qui avait l’impression de faire la monté dans une montagne russe.

Ils approchèrent du bord, encore et encore… et puis se fut la chute. Même si bruni semblait en perte de contrôle totale, Gram s’amusa de la descente. La phrase de Jayden se perdit dans le sifflement qui engourdissait les oreilles de Gram. D’ailleurs, il ne remarqua même pas que le lutin reprenait conscience. Il était trop concentré sur ce qu’il ressentait. C’était terrifiant et donc grisant pour lui. Ce fut un peu trop court à son gout, mais bon, mieux valait atterrir sur cette plateforme plutôt que d’aller s’écraser au sol.

Gram regardait les leviers avec un grand intérêt lorsque la voix de Jayden le supplia afin qu’il le laisse descendre. Le garnement ne s’y opposa pas. Après un certain effort, il réussit à détacher les ventouses, laissant l’autre choir sur le plancher. Lui-même sauta du dos du dragon, après tout, il y avait peut-être quelque chose d‘intéressant sur cette plate forme. Il lorgna à nouveau vers les leviers, mais décida de surveillé le bicéphale afin que ce dernier ne tombe pas. Il s’assit par terre et questionna sur cet endroit.

-Ouais, c’est l’fameux entrepôt des portes.  T’as manqué la balade en porte. C’tait MA-LA-DE. Faudra s’refaire ça.

Jayden sembla alors réaliser l’inconscience de son jumeau. Gram haussa les épaules :

-Il est tombé dans les pommes en voyant le sang. J’te jure, il a paniqué pour rien. Il va surement r’venir à lui dans pas long.

Peut-être que ce serait le bon moment afin de parler des plans qu’ils avaient parlé pendant qu’il était inconscient. Ce serait plus facile vu que le double était toujours dans les vapes. Un seul qui désapprouve, se sera bien suffisant. Et puis à un moment, il trouvait ça agaçant les conversation entre les deux têtes comme si les deux plus jeunes n’étaient pas là.

-Écoute, il se pourrait que Bruni et moi on reste dans ce monde. Mais t’inquiète, on va t’aider à trouver le dernier bout et tout rassembler.

Comme pour prouver sa bonne intention, Gram s’approcha du panneau de contrôle des leviers et regarda à l’intérieur.

Si impair :
Gram y trouva le cristal. Il se retourna et le brandi triomphalement.

-Alors c’qui l’meilleur? Tu s’ras bientôt chez toi monsieur le lutin!

Si pair :
Gram ne trouva rien, alors il joua avec un levier, ce qui provoqua une collision entre deux portes. Ce qui risquait d’attirer l’attention sur le trio d’intrus.

-Oups… vaut mieux aller s’cacher.

En résumé:

Dans un état second, Jayden relève vers Gram des yeux vitreux chargés de confusions, le corps pris de nouveaux tremblements à l’évocation du mot sang. Évidemment que son jumeau et lui partage la même phobie. Malgré leurs deux consciences, ils n’en restent pas moins un seul être uni par une même existence.

Inspirer, expirer, ça va aller.
Son double va se réveiller.
Et lui, ne va ni s’évanouir ni vomir ni mourir.

Paupières closes pour fuir l’éclat douloureux de la lumière, Jayden se contente d’acquiescer à tout ce qu’on est en train de lui raconter, son attention aux allées et venues de sa respiration. Les mots flottent jusqu’à ses oreilles dans un amas confus. « … Hein ? »

C’est sûr, il a mal entendu.
Oui, il a pas bien retenu.

Et pourtant. Jayden rouvre les yeux, le visage grimaçant. Mais qu’est-ce qu’il dit ? « Woh, woh, woooooooh… » s’étire sur ses lèvres. « QU-OI ? » C’est beaucoup, c’est même trop. « Attends, QUOI ? » Jayden qui ne saisit plus rien. « Mais pourquoi ? » Jayden qui ne comprends plus rien. Comment peuvent-ils vouloir rester, quand lui a l’impression d’être en train de crever depuis qu’il s’est réveillé ? « OK… mais euh… enfin, si vous voulez rester… euh… » Pause, à la recherche des fragments manquant, mais même les pensées à l’origine de sa phrase amputée restent inachevés. Il a trop mal à la tête pour formuler la moindre idée concrète.

Jayden reste là, tout étourdi, complètement abasourdi, à dévisager les contours flous de Gram, puis de Bruni. Des bribes d’explications parviennent à se frayer un chemin jusqu’à sa raison (qui sait, peut-être que lui aussi aurait préféré rester s’il avait été arraché à l’univers dans lequel il était né), mais un bruit assourdissant coupe court à sa réflexion.

BOUM.

Collision aux allures d’explosion. Choc qui résonne jusque sous son front dans une onde de douleur. Le monde hurle et brille bien trop fort. Ça lui tape derrière les yeux et dans les tempes, si seulement il pouvait ne plus rien voir, ne rien entendre.

Et puis, il découvre les dégâts, les carcasses de portes éclatées, l’accident fatal tout juste évité. C’est la mort qui vient encore de le frôler, sa caresse sinistre dépose des frissons violents sur son corps crispé. Putain, je vais vraiment caner ici, en fait. De nouvelles secousses viennent nourrir ses tremblements. Seulement, ces spasmes-là sont d’une autre nature. Bruni cri et Jayden, lui, rit. D’un rire nerveux, d’un rire impossible à contrôler ou à arrêter.

Et il plonge son visage entre ses mains tremblantes dans l’espoir de se calmer, assis au milieu des décombres de ses nerfs en vracs. Eh allez, ça y est, je deviens barge. « J’ai le dernier morceau du portail. Jayden, tu vas retourner chez toi d’ici quelques minutes. » La voix de Bruni lui fait relever la tête. « MAIS NON, C’EST VRAI ? On rentre ? » Oh, s’il le pouvait, il bondirait, accourrait vers Bruni pour le prendre dans les bras, transporté par un élan de joie. Ça y est, on rentre ! Son rire se mue en un petit sourire. « Putain, j’y crois pas, on rentre ! » Le bonheur lui crève la gorge, il pourrait en pleurer, Jayden, s’il n’y avait pas autant de témoins, s’il ne voyait pas ses larmes comme un affreux secret ne devant jamais être révélé. « OK, faut qu’on retourne à l’endroit où… la poubelle, là où on s’est réveillé, j’ai planqué mon bout de portail là-bas. » Du mouvement à ses côtés. « On rentre ? » Et un soupir de soulagement face à la mine blême, mais réveillé, de son double. « Ça va ? Oui, on va rentrer, c’est bon, c’est fini ! » « C’est vrai ? » Sa voix qui meure dans un soupir. « Mais oui, c’est vrai ! Je te jure que c’est bientôt fini, ça va aller ! Ça va ? Tu te sens de soutenir ta tête un peu, si j’essaie de me lever ? » « Ouais, ouais, vas-y… » « Si on s’en sort vivant, quand je rentre, je fais une dinguerie et j’irai me prendre un cheese au Five Guys. » Avec beaucoup de frites. Et un aspirine.

Il inspire. Contemple un instant l’immensité de la tâche qui l’attend. Se relever, avancer, descendre les escaliers, et ce, malgré ses jambes de coton qui, à tout instant, menace de se dérober. La volonté finit par l’emporter sur la douleur et l’épuisement. Et Jayden se relève.

Il expire. Ses mains s’accrochent aux barrières, aux murs puis à la rambarde, trouvent une sécurité en la solidité de ces objets. Et Jayden avance, un pied à la fois, agrippé à la rampe comme il s’agripperait à sa vie. Parce que s’il venait à trébucher, à tomber, alors s'en serait fini de lui. Dieu l’a déjà sauvé deux fois, mais l’épargnera-t-il une troisième fois ? (Faudra bien que je pense à le remercier comme jamais dimanche.)

Sa démarche est lente, assez pour se faire semer par les autres parti devant lui. Obligé de hausser la voix pour se faire entendre : « Mais… Vous êtes sûrs de vouloir rester ici ? Genre, y a pas des gens à New York qui vont s’inquiéter pour vous deux ? » Des proches qui les regretteraient. Des gens comme M. Alexander et Persephone, ceux qui se rapprochent le plus d’une famille pour Bruni.

« Attends, QUOI ? »
« Ouais, ils veulent rester là. »
« Mais pourquoi ? »
« Je sais, c’est ce que j’ai dit. »

Il s’arrête une seconde, pris d’un vertige. « Ça va aller ? » « Ouais, ouais, je gère… » Et ça repart. « Mais Bruni, attends ! Juste pour être sûr, ton tuteur, là, il est bien au courant de tout ce… » Geste vague pour désigner l’immensité de tout ce qu’il n’arrive pas à expliquer. « … B*rdel ? » Vite, sa main retrouve la rampe. « Genre… si je débarque et que je lui dis qu’on était coincés et que t’as préféré rester un dragon plutôt que euh… que de revenir à New York, ça va, il va comprendre tranquille, ou je vais passer pour un gros taré ? » Et me faire défoncer ou pire, virer ?

En bref:

ENVENT Ch.5 : Monstropolis

Je peux emménager plz?

Toucher aux leviers, c’était une mauvaise idée. Enfin ce fut la première pensée de Gram lorsque les portes se décrochèrent et s’écrasèrent au sol, tout près d’eux. Par contre, Bruni, il en mettait un peu quand même… certes, ils auraient pu être blessé, mais mourir? Ils n’étaient pas des petites chocottes non plus! Et puis s’il n’avait pas touché le levier, ils chercheraient toujours le bout de portail, alors que maintenant, il était là, à leurs pieds. Donc au final, il venait de leur faire gagner beaucoup de temps! Par contre, pas de merci, il faisait tout le boulot et rien? Bon dans les faits, Gram s’en foutait un peu de la reconnaissance, il était juste heureux de ne pas avoir à parcourir l’entrepôt au complet!

Il présenta le sac à dos à Bruni afin qu’il y dépose le morceau. Ce serait plus simple et plus discret pour retourner au compacteur à déchets. Pendant ce temps, la deuxième tête de Jayden émergea et ce fut le retour des conversations avec lui-même. Ce à quoi Gram ne porta pas trop attention, pas par politesse, mais parce qu’il n’en avait pas grand-chose à faire. Il pensait plutôt aux déchets et à sa nouvelle vie qui l’attendait une fois qu’ils auraient renvoyé le lutin dans le monde des humains. Peut-être qu’il pourrait devenir éboueur ou un truc du genre s’il n’était pas pris pour faire peur aux gamins? Tant de possibilités!

Il commença à descendre les marches, comme les autres ne semblaient pas emballés par un autre tour de porte. De toute façon, elles étaient trop imprévisibles, alors autant trouver la vraie sortie de l’entrepôt, ce serait sans doute plus simple. Par contre, les marches avec toutes ses pattes, c’était un peu compliqué à coordonner. Malgré cela, il réalisa qu’il avait pris de l’avance sur Jayden lorsque ce dernier commença à les questionner sur leur décision de rester.

-J’pense qu’mon pote Oliver va comprendre? Stram s’ra contente pour moi? L’est naze le monde des humains.

Le monstre à deux têtes reparti dans une conversation avec lui-même, entrecoupé d’un malaise. Était-ce du au choc à la tête ou à une espèce de contrariété parce qu’eux voulaient rester dans ce monde? Gram n’en avait pas la moindre idée. Cependant il voyait bien que l’autre n’arriverait pas à descendre seul dans son état. Surtout qu’au lieu de garder son énergie pour se déplacer, il recommençait à questionner! Dans son impolitesse habituelle, le garnement répondit à la place de Bruni. Pour une fois qu’il connaissait les réponses, il n’allait pas se privé de le montrer! Il n'est pas le plus imbécile!

-Hadès il est comme nous, il était pas humain. Tu te souviens? Il t’as bien sonné ce coup. En plus, il sait plein de choses. Faudra juste lui dire que moi ‘si j’suis resté et qu’il le dise à Oliver. Ça va? Tu vas t’en rappeler?

Peut-être qu’il faudrait l’écrire sur un bout de papier? Ils verraient ça plus tard, là, il fallait réussir à sortir de l’entrepôt. Gram remonta les marches pour rejoindre Jayden.

-Monte sur mon dos. S’non on va jamais s’en sortir. Accroche-toi au sac.

Le garnement fit monter de force l’autre jeune homme sur le dos de sa partie scorpion. Ce n’était pas confortable pour se déplacer, mais ça irait plus vite que d’attendre. C’est ainsi que la descente repris. Ce n’était pas simple, mais Gram trouvait qu’il se débrouillait plutôt bien. Juste de ne pas trébucher était satisfaisant. Ça lui sembla bien long, mais ils atteignirent enfin le sol. Il chercha la porte du regard un instant avant de finalement la repérer. Il ne semblait pas y avoir d’employés, c’était le bon moment!

-Vite avant qu’quelqu’un nous voit.

D’un pas décidé, il se dirigea vers la sortie. Il avait bien envie de courir, mais ce serait louche et avec le poids qu’il trainait, se serait compliqué. Une fois dans le corridor, Gram soupira de soulagement. Ils y étaient presque!

-Jay? T’peux marcher un peu? J’commence à avoir mal et à fatiguer là.

Peut-être que le dragon voudrait le porter un peu? Au moins, même s’ils n’avançaient pas vite, ce serait toujours moins louche là que de se trouver dans l’entrepôt.

En résumé:

Y a comme un flou dans sa tête, épais brouillard qui enveloppe ses idées et s’étale jusque dans ses yeux hagards.

Tu te souviens ?

Non que son visage répond, tandis qu’il remonte en vain le fils de leur conversation. Hadès a bien été mentionné, mais ont-ils confirmé que lui aussi était un disney ? Oui ? Non ?

À moins qu’il l'ait oublié ?
À quel point a-t-il été sonné ?

Les battements de son cœur s’emmêlent, alarmés par tout un tas de pensées pêle-mêle. Peur que les douleurs qu’il s’imagine passagères dissimulent des maux plus graves, crainte de se retrouver à l’hôpital, angoisse de se faire le messager d’une potentielle mauvaise nouvelle. Car qui sait comment leurs proches vont réagir ? Qu’est-ce qu’il pourra bien leur dire ? Questions qui lui pèsent sur la conscience et la poitrine. Mais Jayden acquiesce, incapable de refuser. Qui d’autre, si ce n’est lui, pourrait s’en charger ? « OK, OK… » Dire que Gram est resté, faire passer le message à Oliver. « Oui, ça va le faire. » Parce que tout va bien. Qu’il a les idées claires.

Qu’importe ce qu’en dit son corps au bord du malaise ou la lenteur de ses pas tremblants de faiblesses. Sa poigne se raffermit sur le métal froid de la barrière. Il s’arrête, le temps de laisser un nouveau vertige passer. D’assimiler ce que Bruni est venu ajouter. Drôle d’intervention où sa présence s’estompe, effacée par un il qui le rend de plus en plus invisible.

Il n’est pas important.
Il ne fait que nettoyer l’appartement.

Des mots qui lui semblent d’abord irréels, tant ils sont déconcertant, comme sorti d’une réalité parallèle. Mais ils l’attrapent au gosier, serrent jusqu’à réveiller une douleur amère. Ça l’aurait sûrement sonné, si le monde n’était pas déjà en train de tourner et sa tête en train d’imploser.

The fuck ?

Et il est là, Bruni le voit et il l’entend, Bruni est au courant. Ce n’est pas tant la nature dénigrante de ces paroles qui le surprend (c’est qu'il en a entendu d’autres), mais bien de les trouver dans la bouche de l'adolescent, de voir avec quelle aisance il les a prononcées devant lui. De lui découvrir une méchanceté insoupçonnée. Car pourquoi l’aurait-il fait, si ce n’est pour le toucher ? Se rend-il seulement compte qu’il est blessant ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui a pris ?

Et lui ? Qu’a-t-il fait pour mériter cette condescendance ? Qu’a-t-il dit ? Parce que c’est lui, c’est forcément lui. Jayden suffoque soudain sous le poids des fautes qu’il aurait pu commettre, le cœur asphyxié par la peur d’avoir mal fait, d’avoir agacé, d’être détesté. Jayden qui se demande toujours ce qu’il ne va pas chez lui, sans jamais remettre en question les autres.

Mais il ravale ses interrogations, sa consternation, les idioties qu’il pourrait sortir pour prétendre en rire, les souvenirs de toutes les choses méprisantes qu’on a pu lui dire. Et il fait semblant. De ne rien entendre, de ne rien comprendre. Parce que feindre l’ignorance a souvent été un de ses meilleurs moyen de défense. Le regard glisse ailleurs tandis qu’il prend cet air un peu absent et faussement insouciant qui ne manquait jamais d’inspirer tout un tas de moqueries à son père. Plutôt se faire traiter de con et d’abruti que de trahir la moindre fêlure.

Les insultes aussi, il a appris à les ignorer.

Alors il se contente d’avancer, comme si de rien n’était, enchaîne avec Gram sans trahir toutes les choses qui sont pourtant en train de le traverser. « Monte sur mon dos. Sinon on va jamais s’en sortir. Accroche-toi au sac. » Hein ? « Non, ça va, c’est gentil, je vais bien, je gère… » Mais l’autre se fait insistant et lui, peine à repousser ce geste qu’il s’imagine bienveillant. Jayden aimerait s’obstiner, d’abord pour ne pas lever la moindre inquiétude, mais aussi par habitude. C’est qu’il y a quelque chose d’étrange, de peu naturel, dans l’idée qu’on lui vienne en aide. Il finit pourtant par abdiquer, le corps incapable de suivre les élans têtus de sa volonté.

La route se déroule dans un drôle de silence du côté des Jayden, trop occupé à ressasser, à se convaincre qu’il n’est pas en train de crever tant le monde continue de tourbillonner. Trop concentré à avancer une fois la descente terminée. « Ça va aller, merci. » qu’il a murmuré en reprenant la marche.

Mensonge.
À peine arrivé, Jayden se rue maladroitement vers la poubelle, pas pour récupérer le fragment qu'il avait caché à côté, mais par peur de régurgiter son petit-déjeuner, vague de vomis qu’il a senti monter tout le long de la fin du trajet. Les mains agrippées sur le rebord de la poubelle, il attend que les haut-le-cœur passent, tandis que son jumeau indique l’emplacement du fragment à Bruni : « Euh… je l’ai posé là… »

Inspirer, expirer… Une fois la catastrophe évitée, Jayden se retourne, le visage blême, essayant de se donner une contenance face aux excuses de Bruni. Peut-être aurait-il été plus bavard dans d’autres circonstances, peut-être aurait-il eu la force de mieux communiquer, mais il n’arrive qu’à sourire et mentir faiblement : « C’est pas grave.  » Rien ne l’est jamais vraiment, lorsqu’il est question de lui et de ses sentiments les moins plaisants. Tristesse, colère, rancœur, tout est étouffé derrière un sourire léger qu’il pose comme un masque sur ses traits. Hors de question de montrer que de simples mots puissent le toucher. Plutôt crever que de donner une autre image que celle du Jayden enjoué. Surtout après avoir été rabaissé.

Son sourire ne tarde pas à s’effacer sous une nouvelle vague de confusion. Non, vraiment, il a dû mal à comprendre ses explications. Elles lui semblent venir de si loin, depuis l’autre côté du voile de brouillard qui s’est posé sur son regard. « Quoi ?  » Il lui reproche d’avoir voulu rentrer ? À quel moment l’a-t-il ignoré ? Jayden n’arrive pas à s’en rappeler, les voix sont trop fortes, la lumière trop douloureuse. Il se laisse embarquer dans une étreinte qu’il rend sans vraiment comprendre avant de reculer, complètement déboussolé, le portail entre les mains. « Non mais, attends, euh… faut que je te dise, avant qu’on se sépare… je suis pas vraiment un… un elfe ou… lutin. » Une œillade vers son double pour l’inviter à prendre le relais, lui que le choc a épargné. Ses pensées sont un peu moins éparpillées : « J’ai juste paniqué quand j’ai réalisé que j’étais le seul humain, alors que la lettre mentionnait que les disney. Je me suis dit que j’étais vraiment pas censé être là et que ça serait peut-être mieux de faire genre que j’étais un disney aussi, le temps de rentrer, car imagine si le taré derrière tout ça m’était tombé dessus parce que j’en sais beaucoup trop pour un simple humain ? » Un hochement de tête. « Non, mais voilà, tout ça pour dire, New York, c’est chez moi. » qu’il enchaîne pour conclure le chapitre, par crainte que l’autre Jayden ne tente de désamorcer leur mensonge en tentant un trait d’humour sur son deuxième emploi. Non, il ne veut pas en parler ni mentionner le costume qu’il lui arrive d’enfiler pour les fêtes de fin d’année. Pas quand cette information pourrait donner naissance à de nouvelles remarques condescendantes.

En bref:

ENVENT Ch.5 : Monstropolis

Je peux emménager plz?

Gram avait bien fait d’insister afin de porter Jayden un moment, sinon ils seraient toujours dans l’escalier… enfin peut-être seraient-ils au pied de ce fameux escalier après un chute du comateux, car il n’était vraiment pas stable sur ses pieds. Le garnement n’avait pas relevé l’espèce de tension qu’il y avait dans l’air entre les deux autres jeunes hommes. Il se contenta juste de retrouver la déchèterie. Il n’écouta même pas ce que les deux autres se racontèrent. De la politesse parce que ça ne le concernait pas? Non, Gram s’en battait juste royalement les couilles. Il ne comprenait pas trop le problème, pourquoi ils se prenaient la tête? Jayden rentrait chez lui et Bruni restait ici, tout le monde avait ce qu’il voulait, non? Surtout que l’elfe n’en était pas un au final, ce qui le rendait bien moins intéressant.

Le monstre scorpion attrapa le morceau de portail à côté de la poubelle, après avoir attendu un instant pour voir si le bicéphale allait vomir. Fausse alerte, dommage. Il n’écouta le reste que d’une oreille distraite, ne sachant pas trop c’était quoi ce miroir noir. Gram enleva donc le papier toilette en se disant que c’était drôle un cristal-momie. Plus il le déballait et plus le morceau semblait vibrer. Il le déposa par terre et attrapa les deux autres morceaux des mains de Jayden, comme ce dernier semblait occupé. Il s’amusa à essayer d’empêcher la troisième pièce du puzzle de se joindre aux autres, mais il y avait une force invisible, comme un aimant qui attire le métal. Les trois morceaux fusionnèrent sans qu’il ne puisse expérimenter plus et il fut aspirer alors qu’il tentait de s’accrocher au plancher avec ses ventouses, sans succès.

L’atterrissage dans la chambre 2013 fut rude. Gram dévisagea la pièce d’un air horrifié, réalisant qu’il avait quitté Monstropolis. Ses rêves s’écroulaient. Comme il était seul, il eu peur que les autres soient restés là-bas sans lui. Il essaya de passer le portail en pensant très fort à l’endroit qu’il venait de quitter. Malheureusement, ça ne marcha pas et il se retrouva dans la bibliothèque à Londres. Il traversa à nouveau le passage magique en essayant d’aller à New-York. Ça rata et il débarqua à nouveau à Paris.

-P*tin de b*rdel de merde! Tu vas marcher sale connard?! J’veux les r’trouver!

Cette fois, il réussit à se rendre dans le sous sol du bar. Il y avait deux jeunes hommes. Ce devaient être eux, non?

-Bruni? Jayden? Quelle galère les mecs! J’me suis r’trouvé à Paris… Franchement déçu de pas avoir pu rester là-bas… Comme on est tous là, j’peux avoir vos numéros?

Il demandait, mais il savait qu’il aurait surement réussis à les avoir autrement en le voulant, sauf que c’était tout de même plus simple de demander. Ça pouvait toujours servir d’avoir de nouveaux potes, même si un d’eux était humain. Ils avaient vécut toute une aventure ensemble, ça tissait des liens. D’ailleurs, il avait bien hâte de raconter tout ça à Oliver et Stram.

En résumé:

(tw : mention parent alcoolique, parent toxique)

Jayden n’a pas vu la tempête arriver, n’a pas soupçonné l’orage que sa confession allait provoquer. Un éclair déchire le brun des iris de Bruni. Et le voilà qui se prend l’averse de plein fouet. Pluie d’informations qui le plonge dans l’incompréhension. Parce qu’il y a comme un problème de communication, il ne se reconnaît pas dans la manière dont Bruni décrit ses intentions. Jamais il n’a voulu se moquer, prétendre être plus en danger que les principaux concernés ou encore minimiser le cauchemar qu’ils doivent traverser. Et si mentir était loin d’être la solution, ses craintes ne lui semblaient tout de même pas injustifiées. Après tout, les organisations qui brassent d’importantes sommes d’argents et ordonnent des enlèvements représentent un danger pour quiconque s’y retrouve mêlé. Et Dieu sait qu’il est en train d’y mettre s’en nez.

Mais tout ça, Jayden ne le dit pas. Parce que Jayden ne parle pas. Jamais, lorsqu’il se retrouve prisonnier entre les gouttes violentes d’une giboulée de colère. Il reste là, à laisser les mots le fouetter au visage, à attendre que le pire soit passé pour ramper et s’excuser, à essuyer les accusations sans broncher. Parce que si on les lui lance à la figure, c’est forcément qu’il doit les mériter. Si t’avais rien fait, tu crois que je serai en train de gueuler ? que son ex répétait. Et comme face à lui, face à sa mère ou face à son père, Jayden n’a plus que des « Pardon » pleins la bouche. Rien d’autre ne sort, sa parole, paralysée par la peur que la moindre phrase ne fasse son malheur et n’aggrave son sort. Et sa tête vrille sous les éclats de voix, pitié, si seulement on pouvait arrêter de crier. Bruni n’a pas besoin de ça pour être écouté, il sait qu’il a merdé. Y a les battements de son cœur qui sont là pour le lui rappeler, lourds de culpabilité, terrifiés par l’idée de ne pas être pardonné. D’être détesté.

Et il essaie d’inspirer, dans la ferme idée de parler, parce qu’il ne sait pas pourquoi, Jayden, mais il ne supporte pas qu’on pense n’importe quoi à son sujet. Seulement, à peine a-t-il rassemblé quelques pensées que déjà, son souffle lui est arraché, aspiré avec le reste du monde entier.

Aïe.

Douleur qui pulse derrière ses orbites, court sur ses tempes et ses membres dans des ondes pénibles. C’est donc ça que ressentent les araignées quand il les aspire sans faire exprès. Et Jayden grimace en essayant de s’asseoir, un goût de fer sur la langue. Oh non. Sûrement sa lèvre qui a dû prendre cher à l’arrivée. Il n’a pas le temps d’y penser, car tout s’agite et remonte en lui. Oh non. Sa main s’écrase sur la poubelle à ses côtés, corbeilles qu’il vient coller contre sa poitrine dans une étreinte malade. Non, non, non ! Comme un ordre qu’il donnerait à son corps. L’urgence finit par passer après quelques respirations contrôlées.

Ça va aller.
Dieu soi loué, il est lui même, il est rentré.

Ils sont rentrés. Parce que Bruni et là et bientôt, Gram aussi. Le portail ne leur a visiblement pas laissé le choix. Posé à côté de leur déception, son soulagement lui apparaît étrangement déplacé.

Retour à la réalité.
Retour à la vie connectée.

C’est là qu’il sent son téléphone vibrer. Une fois, deux fois, trois fois… Wow, c’est sur Twitter que ça s’excite comme ça ? Dans la poche de son blouson, son téléphone n’a pas bougé. Mais son soupir soulagé se fige sitôt l’appareil déverrouillé. Et ses yeux écarquillés louchent sur les notifications en train de se succéder. Avalanche de messages et d’appels manqués, petits rectangles blancs au haut de l’écran que ses prunelles ont à peine le temps d’accrocher avant qu’ils ne soient remplacés. (Please text me back) Alice. (Hello Jayden. Ms Smith called, she said you didn’t show up today. Are you unwell? Call me back, please.) Sa manager. (Dude, I’m covering for you tomorrow but are you okay?) Sa collègue, Sharon.

Un battement de cils. Les lettres se brouillent et Jayden perd le fil. Il fixe son écran, les sourcils légèrement froncés, sans comprendre vraiment. C’est qu’il n’était pas censé travailler aujourd’hui. Et dans cette mer d’information, un détail retient son attention. La date.

8 février.
Jayden, il croit d’abord rêver. C’est rien, il est juste un peu sonné. Un 3 a vite fait d’être transformé en 8 lorsqu’il est survolé par un regard fatigué. Mais ses paupières ont beau papillonner pour percer les nuages voilant sa vision, rien n’y fait. Non, non, c’est sûrement son téléphone qui déconne. Merde, c’est con de se demander quel jour on est, quand même. Question improbable qui lui donne des airs de voyageur temporel, seulement, ce n’est pas entre les pages d’un journal que Jayden court chercher sa réponse pour en avoir le cœur net. What day is it today? Demande-t-il à google du bout de ses doigts fébriles.

8 février.
C’est comme rater une marche dans le noir. Le pied s’écrase dans le vide et tout balance et tout vacille, le corps comme en apesanteur et de la panique plein le cœur. Et après avoir passé un quart de seconde à chanceler, Jayden atterrit, incrédule, égaré tandis qu’il tente de se réajuster à la réalité. Cinq jours. Il s’est absenté cinq jours et non quelques heures, comme il aurait pu le penser. Ça palpite dans sa poitrine et dans ses membres tandis qu’il relève vers Gram et Bruni un regard ahuri. « La date… » Le reste de sa phrase se meurt sur ses lèvres. Parce que les autres sont déjà en train de parler, qu’il craint de les déranger, qu’importe son besoin de partager sa découverte. Et parce qu’en ouvrant sa messagerie, le nombre 46 lui saute aux yeux. 46 messages non lus. Son cœur rate un battement. C’est maman. C’est peut-être une chance, pour une fois, qu’il soit ignoré. Personne pour surprendre sa mine décomposée au fur et à mesure qu’il déroule le fils de ses sms :

…
WHERE ARE YOU?
WHY ARE YOU IGNORING ME
DID YOU FUCKING LEAVE?
ANSWER ME
…

Majuscule qui résonne en lui comme les cris de Bruni. Des sms par dizaine où insultes et excuses se succèdent dans une drôle de farandole certainement menée par l’alcool… (Where are you? Are you okay? Please answer me, I’m worried.) … (You better not bring your stupid ass back to my house after this !) … (Please come back home, I’m sorry, I didn’t mean it. Please, I need you here I don’t know who I should call.) … (WHY ARE YOU DOING THIS? I always knew you were a piece of shit just like your dad.) …entrecoupé par des messages vocaux que Jayden n’ose pas écouter. Entre ses mains, son téléphone s’est mis à frissonner. C’est drôle, comme la température a chuté. Jayden qui ne sait pas s’il tremble de froid ou d’effroi, tellement la situation le dépasse.

Il doit l’appeler.
Mais son idée reste en suspens. Tout se fige dans ces moments où l’adulte qu’il est redevient un enfant effrayé par la fureur de ses parents. Par les mots et les humeurs de maman. Car s’il appelait, si elle décrochait, qui sait dans quel état il la trouverait ? Et son ventre se tord sous la perspective des cris de colère et du vacarme des éclats de verre. T’es trop con, reprends-toi, putain, t’as plus 10 ans. Et pourtant. La crainte finit par l’emporter. Non, il ne va pas l’appeler, c’est derrière le bouclier d’un message vocal que Jayden court se réfugier. Les mots peine à sortir de sa gorge crevée : « Maman, c’est moi… Désolé, je vais bien, je rentre tout de suite… Je t’expliquerai… » De quoi ? Comment ça ? Qu’est-ce qu’il lui dira ? Déjà, ça se met en branle sous son front, à la recherche des mots qui pourrait l’apaiser si elle commence à hurler, la calmer si elle se met à pleurer. Des gestes qui pourront l’aider à se faire pardonner. Du mensonge qu’il va devoir inventer. Difficile à dire, tant il peine à anticiper ce qu’elle pourrait bien lui dire. Et une même interrogation vient polluer sa réflexion :

Dans quel état je vais la retrouver ? Et si son absence l’avait plongé dans des extrêmes dont on ressort difficilement indemne ? Et si, par sa faute, elle avait bu bien plus encore que d’habitude ? Combien de fois avait-il dû appeler le SAMU sitôt rentré du lycée ou du travail ? Et si un malheur lui était arrivé, mais que personne n’avait été là pour l’aider ?

Il n’en faut pas plus pour piquer ses membres tétanisés, lui donner l’impulsion nécessaire pour se relever. Y a sa tête qui menace d’exploser et le plancher qui tangue dangereusement sous ses pieds, mais toute douleur s’éclipse face au mélange de peur logé entre ses entrailles ; si bien que Jayden en oublie où il est, ce qu’il vient de se passer, le malaise et la nausée, la faiblesse dans ses jambes qui le fait un peu tituber. « Vraiment désolé, je dois y aller. Merci de m’avoir aidé, désolé…» souffle-t-il en doublant Bruni et Gram dans les escaliers. Excuses qui se lisent jusque dans l’œillade qu’il jette à la volée et qui manque de le faire trébucher, à pas regarder devant lui.

Il essaie de ne pas trop se formaliser face à son propre départ précipité. Sûrement que les jours suivant lui offriront de nouvelles occasions de leur demander pardon. À eux, comme à tous les autres.

FIN