Je grommelle en rejoignant le bout de la file d’attente mais capitule néanmoins. Ça ne servirait à rien de me plaindre encore plus longtemps, je n’ai pas l’impression que l’éléphant soit prêt à nous écouter tant que nous n’aurons pas respecté son règlement. C’est très offensant, pour le Prince que je suis, mais soit, faisons ainsi. Je patiente donc, les pattes croisées devant moi, tapant du sabot impatiemment contre le sol, lorsque Peter lève sa patte de crocodile pour pointer du doigt quelque chose à l’autre bout du magasin. Je suis son regard et remarque, derrière l’éléphant, quelque chose de brillant et d’aspect familier. C’est le morceau de portail que l’on cherche, à n’en pas douter ! Mon visage s’illumine enfin et je chuchote en direction de mon compagnon d’aventure :

« C’est parfait, mais il nous faut encore le récupérer. Je n’ai pas l’impression que notre ami l’éléphant soit très coopératif, il n’a pas l’air de vouloir croire à ce que l’on raconte. Mais j’ai un plan. Je peux aller chercher Nino. Il est petit, il pourra passer discrètement sans se faire voir et attraper le fragment. Tu n’auras qu’à distraire l’éléphant en attendant. T’es prêt ? »

C’est un plan génial, je ne vois pas ce qui pourrait mal tourner. Fier de moi et certain de mon affaire, je quitte la queue et pars de la boutique en parlant exagérément pour être sûr que tout le monde m’entende :

« Oui ça alors, vous avez raison, pas de morceau de portail ici, je m’en vais donc, au revoir ! »

Je referme la porte derrière moi et me dirige rapidement vers le banc où se trouve Nino, pour m’apercevoir que… Nino a disparu ! Dans ma poitrine de cheval, c’est la panique. J’ai envie de crier, de me mettre dans tous mes états. Nino a disparu ! On l’a enlevé ! Je savais que je n’aurais jamais dû avoir confiance en une ville remplie d’animaux, c’était louche dès le début, cette histoire ! Après une poignée de secondes à tourner en rond sans savoir quoi faire, je finis par revenir en courant à l’intérieur du marchand de glace et utilise le reste de mon souffle pour crier :

« Au secours, Nino a disparu ! C’est un écureuil, un enfant, on l’a enlevé, il n’est plus là, il était sur le banc devant et il n’est plus là ! On l’a enlevé ! »

Lancé de dé :
1-6 : C’est la PANIQUE générale dans la boutique, tout le monde se met à crier, à me poser trois mille questions à la suite, et à me suivre en courant lorsque je quitte de nouveau le Jumbeaux’s Café pour chercher Nino dans les environs. C’est une quinzaine de gros animaux qui hurlent désormais son nom à travers le quartier dans l’espoir de le retrouver.
2-5 : Quelques personnes dans la file d’attente se retournent vers moi et me proposent de m’aider à retrouver mon ami écureuil. J’acquiesce et nous sortons en petit groupe pour fouiller les environs à la recherche de Nino.
3-4 : Personne n’a vraiment l’air intéressé par mes cris, on me dit même de parler moins fort, car tout le monde est occupé à se concentrer sur leur choix de parfums de glace. Je ressors donc tout seul et me mets à la recherche de Nino, avec ou sans Peter. Il doit bien être quelque part !

J’essaie fortement de ne pas entièrement céder à la panique tandis que je hurle le nom de Nino dans tout le quartier. Est-ce qu’il aurait vraiment pu se faire enlever ? Ou pire, dévoré par un animal plus gros ? Il doit bien y avoir quelques prédateurs dans la ville qui ne résisteraient pas à l’appel d’un bon repas à base d’écureuil. Je me maudis de l’avoir laissé tout seul, j’aurais dû mieux le protéger, ce n’est qu’un enfant ! Mais tel le héros que je suis, je me jure de le retrouver, ou dans le cas où on ne pourrait plus rien pour lui, de le venger. Ce n’est pas un gros mammifère qui me ferait peur, n’oublions pas que j’ai déjà combattu un dragon, rien ne pourra rivaliser avec moi. Je m’imagine déjà planter mon arme dans le cœur d’un tigre, ou d’un lion, lorsqu’une petite voix familière me sors de mes pensées. Je tourne immédiatement la tête vers l’animal qui vient de parler et remarque, à quelques pas d’ici, un petit écureuil entouré d’autres petits animaux qui jouaient au ballon. Je suppose que c’est Nino, puisqu’il semble réagir aux appels de son nom, alors j’accours vers lui tandis qu’il s’éloigne de ses nouveaux amis.

« Nino ! C’est bien toi ? Bon sang, j’ai cru qu’on t’avait perdu ! Il faut qu’on reste ensemble, d’accord ? On pourrait vite se perdre, sinon. Bon, dis voir, Peter et moi avons localisé le deuxième fragment, qui se trouve chez Jumbeaux’s, mais on ne peut pas l’atteindre. Je me disais, est-ce que tu pourrais… »

Je ne finis pas ma phrase, car je viens de voir un crocodile arriver vers nous avec un morceau scintillant au creux des pattes. Je crois bien qu’il s’agit de Peter, et mieux encore, il a le fragment de portail avec lui ! Cela signifie aussi que mon plan si intelligemment planifié est devenu parfaitement inutile, ce qui me frustre un peu. Mais au moins, on en a fini avec ses histoires d’éléphants, et on peut passer à la suite. Masquant ma légère jalousie derrière un grand sourire princier, je félicite Peter :

« Bravo mon pote, mais comment est-ce que t’as réussi à le récupérer ? L’éléphant au comptoir ne t’a pas vu ? »

Bien sûr, nous ne sommes pas encore sortis de là, car il nous reste encore un dernier morceau à trouver. Notre ami crocodile nous rappelle que la lettre disait qu’il se trouvait dans un musée, je hoche la tête en guise d’approbation.

« Oui, un musée d’histoire naturelle, si ma mémoire est bonne. Il était aussi précisé qu’il était en travaux, j’imagine que cela signifie qu’il n’est pas exactement ouvert au public actuellement. Il faudra trouver un moyen d’entrer discrètement, ou on risque d’avoir de nouveau à faire avec les gros lourdeaux de la police. Mais chaque chose en son temps. Déjà, il s’agirait de savoir où le trouver. »

Je regarde autour de moi, scrutant les environs, mais pas de musée en vue. Ce serait trop simple. En revanche, j’ai peut-être trouvé de quoi nous aider. Il y a un panneau avec une petite carte de la ville juste à l’entrée du parc où se trouvait Nino tout à l’heure. Je le pointe du sabot pour le désigner à mes camarades avec un petit sourire victorieux. Cela nous dira sûrement où trouver le musée d’ici !

Les yeux rivés sur la carte, occupé à parcourir la légende pour essayer de comprendre où pouvait bien se trouver le musée, je mets un peu de temps à réaliser ce que Nino vient de dire. Ce n’est que quand Peter lui répond que l’on pourra manger avant de rentrer que je percute. Mais qu’est-ce qu’il lui prend, ce n’est pas le moment d’aller se remplir la panse ! Nous avons une mission à mener à bien. Il ne veut tout de même pas rester ici, dans cette ville pleine d’animaux ? Non pas que ceux-ci n’aient pas l’air très sympathiques, mais je ne compte pas rester avec des sabots toute ma vie, non merci ! Il faut que je retourne à New York, ça m’a déjà suffi une fois d’abandonner mon ancienne vie, je n’ai pas l’intention de remettre ça à nouveau. Et comment Aurore pourrait-elle me retrouver, si je suis coincé ici ? J’ai plus de chance de la trouver sur Terre que dans ce monde étrange, peu importe de quelle planète il s’agit. Je secoue la tête et réponds sur le ton d’un papa qui explique quelque chose à un enfant :

« Pas maintenant, Nino, on doit trouver le dernier morceau du portail d’abord. Sinon, on ne pourra pas rentrer, ce n’est pas ce que tu veux quand même ? On mangera une fois notre quête terminée. De toute façon, je ne sais même pas s’ils acceptent les dollars, ici. Ça risque d’être compliqué pour acheter quelque chose. Quoique, on pourra peut-être te trouver quelques noisettes dans un arbre, si tu veux. Mais d’abord, on doit trouver le musée. Tu m’aides, Peter ? »

J’invite le crocodile à s’avancer devant la carte, à deux paires d’yeux, on pourra trouver plus vite. Celui-ci commence à parcourir le panneau avant de me demander ce que l’on y cherche. Il ne doit pas être très concentré, car la lettre indiquait clairement que le dernier fragment se trouvait dans le musée d’histoire naturelle, c’est donc ce bâtiment que l’on cherche. Je ne sais pas encore à quoi il ressemble sur la carte, mais je suppose qu’un musée de la sorte ne doit pas être trop compliqué à trouver. Je réponds machinalement :

« Le musée d’histoire naturelle. Je ne pense pas qu’il soit trop loin, enfin, j’espère. Bon, alors on est ici. » j’ajoute en pointant le petit cercle rouge sur la carte. « Voyons voir, le parc est là… non, par là c’est le commissariat, alors peut-être de l’autre côté… »

Je suis du bout du sabot quelques chemins. Il y a beaucoup de symboles et d’écritures ce qui rend la recherche compliquée, mais je ne perds pas patience et continue mon entreprise avec attention, jusqu’à ce que je trouve enfin ce que nous cherchons.

« Musée d’Histoire Naturelle de Zootopie, c’est là ! Ça a l’air d’être à un petit bout de marche, mais ça devrait le faire. C’est tout droit, puis droite, première à gauche, tout droit, encore à gauche, et droite. Vous retenez ? »

Si j’avais mon téléphone, j’aurais bien pris la carte en photo, mais je n’ai même pas de main pour atteindre l’intérieur de ma poche. Comment font les animaux pour vivre en société, ici ? Les chevaux ne sont pas faits pour agir comme des humains, quelle folle idée ! Enfin, ce n’est pas un problème, j’ai déjà tout dans la tête, c’est l’avantage d’être quelqu’un de fort et d’intelligent comme moi. Bon, alors en route ! Avec un sourire, je me tourne vers le petit écureuil et ajoute :

« On trouvera peut-être de quoi manger sur le chemin, d’accord ? Et puis, si tu veux, tu n’auras qu’à venir me voir à New York quand on sera rentrés chez nous, on se prendra un bon déjeuner. C’est valable pour toi aussi, Peter, bien entendu ! »

Mes compagnons d’aventures profitent de notre marche vers le musée d’histoire naturelle pour se présenter un peu plus et expliquer d’où ils viennent. Nino nous demande si nous venons nous aussi d’un autre monde, comme lui, ce à quoi Peter répond qu’il vivait autrefois à Neverland. Je ne sais pas ce qu’est Neverland, mais je sais à quoi il fait référence : tout comme moi, ces deux-là sont issues d’un film d’animation. Je l’ai su au moment où ils m’ont donné leurs noms, même si je n’ai jamais pris la peine de m’intéresser à leur conte d’origine. Une chance pour moi, Pinocchio et Peter Pan avaient pour titre le nom de leur personnage principal, ce qui m’avait permis de connaître leur véritable identité. Pour ma part, le nom de Phil ne doit pas leur dire grand chose. À l’époque où j’étais encore Prince, on me nommait Phillip, j’ai simplement raccourci mon prénom pour quelque chose d’un peu plus moderne. C’est pourquoi, je décide de me présenter sur un ton très fier :

« Pour ma part, j’ai toujours été humain également, mais j’habitais dans un royaume fort lointain, dont j’étais le Prince. À l’époque, mon nom était acclamé dans tous les coins de rue, vous savez, il faut dire que j’étais un véritable héros, je le suis toujours d’ailleurs. J’ai même combattu et vaincu un dragon immense et sauvé tout un château entier d’une malédiction. J’ai délivré une princesse en danger, et je l’ai mariée. Malheureusement, je ne l’ai pas revue depuis mon arrivée à New York, mais je ne perds pas espoir que nos chemins se recroisent un jour. Elle me manque beaucoup. »

C’est la raison pour laquelle je veux m’empresser de trouver ce dernier fragment de portail, pour retourner d’où je viens. Je veux croire qu’un jour, Aurore viendra elle aussi dans ce monde ; pas celui-ci, avec tous ces animaux qui marchent sur leurs deux pattes, mais celui dans lequel j’ai atterri il y a quelques années déjà. Si je veux continuer à la chercher, il faut à tout prix que je sorte de cette ville de fous. Suivant les instructions de la carte que j’ai soigneusement mémorisées, je marque un tournant à gauche et, en regardant derrière moi, m’aperçois que Peter n’est plus là. Depuis quand s’est-il perdu ? J’étais trop occupé à conter mes aventures héroïques que je n’ai même pas réalisé son absence !

« Peter ?... »

Finalement, j’aperçois le crocodile qui sort d’une allée et qui nous rejoint. Ouf, il n’est pas perdu, mais il faut qu’il fasse plus attention, car je n’ai pas le temps de recommencer à crier son nom dans tout le quartier, la disparition de Nino tout à l’heure m’a bien suffit. Je me remets en marche, le pas pressant, espérant que les deux autres suivaient. Avec tout ça, j’en ai presque perdu le fil. Où en sommes-nous ? Nous venons de tourner à gauche, alors ensuite c’est tout droit, et puis… à droite, et ensuite à gauche ! Non ? Ou l’inverse ? Je n’ai pas vraiment envie d’admettre à mes deux compagnons que j’ai oublié le chemin, alors je décide en arrivant au prochain carrefour que je prendrais l’une ou l’autre des deux routes, avec un peu de chance, ce sera la bonne. Pas besoin de passer pour un incapable pour si peu !

Lancé de dé :
Nombre pair : Bonne pioche ! Phil décide de prendre à gauche puis à droite, et bingo, le musée se dresse bientôt devant eux. Plus qu’à trouver comment rentrer dedans et chercher le fragment.
Nombre impair : Mauvaise pioche, Phil tourne à droite, puis à gauche, et se retrouve carrément à l’opposé de l’endroit où ils devaient se rendre. Il n’aurait peut-être pas dû faire le malin. Il va falloir chercher de nouveau leur chemin.

Nino a l’air très impressionné par mes aventures, ce que je ne peux que comprendre. Ce ne doit pas être tous les jours qu’il fait face à un grand héros tel que moi. Si l’on se revoit un jour et que je retrouve mes mains, je me rappellerais de lui signer un autographe, pour qu’il puisse l’accrocher dans sa chambre et impressionner lui-même ses amis. Quelle chance il a eu, de tomber sur moi pendant cet event ! Je voudrais poursuivre mon monologue, mais le petit écureuil mentionne un certain Henri, ce qui je dois l’admettre me fait un peu froncer les sourcils. C’est un peu impoli de parler de quelqu’un d’autre alors que je suis occupé à parler de moi. Qui est donc ce roi qui essaie de me voler la vedette depuis la bouche de Nino ? En réalité, le nom d’Henri me dit vaguement quelque chose, il me semble avoir déjà croisé quelqu’un de sang noble portant ce nom. Mais pas dans mon royaume, dans tous les cas. S’il venait de mon monde, je pense que je m’en serais souvenu, tout de même.

Peter nous retrouve, et grâce à mon sens de l’orientation exceptionnel, nous trouvons rapidement le musée que nous cherchions. Il est effectivement en travaux, je grimace devant la pancarte “Fermé au public” devant la porte d’entrée verrouillée. C’était à prévoir, bien sûr, mais j’avais espéré que notre quête soit plus facile. Nino pose à voix haute la question que je me pose tout bas, et je suis en train de me demander si la meilleure solution ne serait pas d’essayer simplement de défoncer la porte en toute discrétion quand je l’entends s’exclamer à côté de moi. Je suis du regarde la direction qu’il pointe et aperçoit une échelle positionnée en-dessous d’une fenêtre ouverte. Comme dit Peter, c’est une sacrée aubaine ! Le crocodile s’empresse de poser Nino sur son dos et d’escalader les échelons. Je vais pour les suivre quand je réalise que grimper avec mes sabots risque d’être plutôt handicapant. Je n’ai pas de prise stable, je pourrais tomber à tout moment. J’entends la voix de Peter, au-dessus, qui me demande si je viens les rejoindre. Bien sûr, que je vais les rejoindre, ce n’est pas une petite échelle qui va me faire reculer !

« J’arrive, j’arrive. Je m’assurais juste que vous soyez bien sains et saufs avant. »

Je n’allais pas risquer de faire tomber l’échelle avec mes gros sabots alors qu’ils sont toujours dessus ! J’attends donc qu’ils parviennent de l’autre côté de la fenêtre avant de m’atteler à la tâche. Je pose un sabot sur l’échelon au-dessus de moi, puis le deuxième, je vérifie que l’échelle est bien stable et, après une bonne inspiration, commence mon ascension. Ce n’est qu’après avoir grimpé deux échelons que je réalise pourquoi une échelle se trouve justement sous la fenêtre ouverte d’un musée en plein travaux. Je n’ai pas croisé d’ouvriers à l’extérieur, alors à moins que l’on ait une sacrée chance et qu’on soit arrivés juste à l’heure de leur pause déjeuner, il y a de fortes chances pour qu’on les trouve à l’intérieur. Merde. J’escalade encore d’un échelon et demande en essayant de ne pas trop crier :

« Euh, Nino, Peter ? Tout va bien, là-haut ? »

Avec un peu de chance, ils n’ont encore vu personne et nous pourrons traverser le musée sans nous faire repérer. Quoi qu’il en soit, il faut que je me dépêche de terminer mon ascension. Quelqu’un pourrait me voir, là où je suis, et je préfère encore éviter ça. Je ne relâche donc pas mes efforts et reprends mon escalade tant bien que mal.

Lancé de dé :
6 : Réussite critique. Phil arrive à la fenêtre en un rien de temps, sans se faire repérer et rejoint ses compagnons sans aucun problème.
2 à 5 : Phil parvient finalement en haut de l’échelle, mais alors qu’il se hisse au bord de la fenêtre, il perd pied et se sent sur le point de tomber. Il réussit à passer par la fenêtre in extremis mais l’échelle s’écrase sur le sol dans un vacarme fracassant. On repassera, pour la discrétion ; il y a fort à parier que le bruit ait pu attirer des passants et des ouvriers proches de là.
1 : Échec critique. Phil n’arrive même pas à la fenêtre que déjà il perd l’équilibre. L’échelle tangue sous ses sabots et malgré ses efforts pour tenter de se rattraper, elle se décroche et s’écrase au sol, emmenant notre cheval avec elle. Non seulement ça a bien dû alerter tout le quartier, mais Phil est revenu au point de départ, sans compter les blessures que sa chute a causées.

Je m’attendais à trouver Peter et Nino dans la salle du musée, mais certainement pas ce gros lion dans l’encadrement de la porte qui fronce les sourcils d’un air sévère. Moi qui avais été rassuré d’entendre la réponse de notre ami le crocodile lorsque j’avais demandé si tout allait bien, me voilà décontenancé. Je n’avais pas prévu que quelqu’un puisse venir nous rendre visite entre-temps. J’avance de quelques pas à l’intérieur pour m’éloigner de la fenêtre sans quitter le félin des yeux. Il parle en premier, d’un ton qui se voulait très affirmé mais que les légers tremblements dans la voix trahissent :

« Vous allez me dire immédiatement ce que vous fichez ici, ou j’appelle la police. »

Je n’aime pas vraiment ces deux options, je n’ai pas encore envie d’avoir affaire aux gros lourdeaux de la police, notre dernière entrevue ne s’est pas si bien passée. Peter ne répond rien, je crois qu’il attend que je parle moi-même. Il faut dire que je me suis imposé comme un leader dans notre petit groupe, alors c’est bien compréhensible. Je réfléchis deux secondes à la meilleure tactique. Inventer un mensonge ou bien jouer la carte de l’honnêteté ? Même si la première solution est plus tentante, je ne vois rien qui puisse expliquer notre présence ici sans nous faire passer pour une bande de cambrioleurs. Mais comment admettre la vérité sans passer pour des fous ?

Ce n’est qu’en balayant la salle du regard que je trouve une troisième option. Ce n’est clairement pas ma préférée, car mon statut de héros devrait m’encourager à aider les innocents plutôt que de les fâcher, mais c’est un cas d’extrême urgence et je n’ai malheureusement pas d’autre choix. Alors, sans rien dire, je me rue sur un pot de peinture laissé ouvert près d’un des murs, le saisit à deux mains et l’envoie de toutes mes forces à la tête du lion, dont la crinière prend une jolie teinte turquoise par les éclaboussures. J’ai été si rapide, il n’a pas dû le voir venir. Mais il n’y a pas de temps à perdre. Tandis qu’il se débat avec le pot de peinture pour le retirer de son museau, je crie à mes compagnons d’aventure :

« MAINTENANT ! »

Je pousse le type de la porte et fuit à travers les salles du musée, les yeux grands ouverts, à la recherche de quelque chose qui pourrait nous aider. Trouver le fragment immédiatement serait l’idéal, mais un endroit pour se cacher serait tout aussi bien.