Beau collier

Alors, c'est bien le BDSM?

C’était avec une idée bien précise que Gram s’était rendu au parc de Choisy. Il y avait des tunnels sous ce parc et l’idée d’essayer de trouver une entrée lui trottait en tête depuis un certain moment déjà. Il avait lu des théories comme quoi un des accès n’avait pas été comblé et que donc on pouvait descendre et visiter. Comme personne n’avait pu fournir d’indication précise, le garnement se doutait bien qu’il devrait chercher. Le manque de preuves n’était pour lui que de la paresse et non pas le signe que les tunnels étaient surement inaccessibles. Il était trop excité par l’idée que lui trouverait et deviendrait le héro sur le forum de complotistes! Certains racontaient qu’une fois sous terre, il y avait un passage menant au peuple vivant au centre de la Terre. Par contre ça, le jeune homme en doutait fortement, lui il pensait plus à un trésor caché.

Ça faisait bien deux heures que Gram arpentait le parc, retournant des pierres à la recherche de la fameuse entré secrète lorsqu’il entendit quelque chose d’étrange. C’était une voix humaine qui aboyait? Il savait bien qu’il y avait toute sorte de tarés dans ce monde, mais au lieu de fuir comme une très grande majorité de gens ferait, lui s’approcha, intrigué. Silencieusement, il se dirigea vers la provenance du bruit pour découvrir un jeune homme de son âge, complètement nu à l’exception d’un collier bleu. C’était bizarre, même pour Gram. Il avait plusieurs questions qui lui venaient en tête : Pourquoi un collier de chien? Pourquoi ce type était-il nu? Était-ce une soirée trop arrosé qui avait mal finie? Le garnement avait vu des histoires d’initiation qui se terminait un peu comme ça, était-ce ce qui s’était passé? Le fait que ce mec se prenne pour un chien lui fit penser à autre chose.

-Woah mec! T’fais du DBSM? Ça a l’air trop cool. Mais j’suis pas sur que t’as l’droit de faire ça ici, en publique.

L’autre jeune homme semblait confus et perdu. Soit le lendemain de veille était vraiment difficile, soit il y avait autre chose que Gram avait lui-même expérimenté quelques années auparavant. Il fixa le jeune homme avec intensité. Ce pouvait-il qu’il vienne de trouver quelqu’un venu d’ailleurs? Putain, pourquoi lui? Il ne savait pas comment expliquer tout ce merdier! Il n’avait pas eu la chance d’avoir de l’aide quand il s’était réveillé dans cette nouvelle ville, pourquoi cet inconnu y aurait droit? Cette pensé égoïste laissa sa place à une autre : Et si c’était une connaissance de quelqu’un de son entourage? Genre un ancien pote d’Oli? Ou peut-être même que c’était quelqu’un d’Halloween Town?

-Zero? C’toi? C’est moi, Gram! J’me suis réveillé dans c’monde sans rien comprendre! Mais t’inquiètes, on est pas seuls.

Il ne savait pas trop comment agir. Déjà, il avait présumé qu’il pouvait s’agir de Zero, mais d’un autre côté, le collier du chien de Jack n’était pas bleu? Sauf que ça se change ce type d’accessoire…  Ce genre d’incertitude ennuyait bien le garnement, car après réflexion, il se souvenait qu’Oliver lui avait dit de ne pas parler de ce genre de chose avec n’importe qui. Et le garçon nu pouvait bien être n’importe qui justement. Venait-il de faire une grave erreur en l’abordant? Une chose était certaine, Gram n’allait pas fuir et si c’était un piège de Louis, il allait en prendre avantage pour le dégommer si on le conduisait à lui. Il attendit donc de voir à qui il avait affaire avant de parler plus.

Beau collier

Alors, c'est bien le BDSM?

Le nudiste au collier semblait complètement perdu. Comme il avoua ne pas savoir où il se trouvait, Gram en compris qu'il venait aussi d'un autre monde. Dommage, il ne pourra pas se renseigner sur le BDSM. Le jeune homme se présenta. Rouky, ça ne sonnait pas du tout comme un prénom humain. Normal, puisse qu'il disait être un chien. Donc le garnement avait à moitié deviné. Il était tout de même légèrement déçu que ce ne soit pas Zero. Ça aurait été trop bien de trouver quelqu’un qu’il connaissait! Sauf que la vie avait décidé de lui mettre un pur inconnu sur sa route.

En plus, Rouky pensait être dans un rêve? Et si c’était vraiment le cas? Gram se pinça et constata qu’il se trouvait bien dans la réalité. Zut. Ça aurait été bien de se réveiller et d’être à nouveau à [Halloween Town[/i]. Il fallait donc faire comprendre ça au nouvel arrivant. N’étant pas du genre à argumenter trois heures, il s’approche de l’autre et lui pinça le bras.

-On est pas dans un rêve, s’non tu t’réveillerais avec ça.

Le garnement recula d’un pas, recommençant à fixer l’autre. Il y avait des gens qui cognaient quand on les pinçait, alors mieux valait reculer et attendre. Il eut enfin la réflexion qu’il devrait peut-être penser à lâcher quelques infos. Quoique, prouver que c’était réel, c’était un bon début, non? Sauf qu’ensuite, il devait faire quoi? Ça aurait été bien qu’il existe un guide d’accueil des nouveaux arrivant venus d’un autre monde.  Sauf que non, il fallait se démerder seul avec un mec nu en plein milieu d’un parc. Mais il n’avait pas à être seul, il n’avait qu’à demander de l’aide à quelqu’un d’autre. Comme appeler Oliver! Malheureusement son portable était mort, plus de batterie. Donc il était bien seul pour gérer cette situation. Bon, une chose à la fois et tout devrait bien aller? Au pire, si le jeune homme est trop chiant, il le laisse là et c’est tout?  

-On est à Paris, pour info. C’t’une des villes où les gens comme toi et moi s’réveillent. C’t’un truc de magie, j’ai pas tout capté. C’t’aussi à cause d’la magie que t’es devenu humain.

Gram savait bien qu’il aurait pu se renseigner s’il avait voulu, mais il avait eu la flemme. Et puis pourquoi se casser le cul à comprendre un truc qu’il ne pouvait pas changer? Il n’était pas le plus brillant et il le savait, alors il ne voyait pas ce qu’il y pouvait pour faire bouger cette situation. Même son aventure de février ne lui donnait pas l’impression de pouvoir faire quelque chose. La preuve, il n’avait même pas pu rester à Monstropolis! Donc, s’il ne pouvait même pas faire ce genre de choix, comment pourrait-il changer quoi que ce soit à tout ce merdier? Il préférait vivre avec cette situation et trouver de quoi s’amuser.

-Fais-toi pas d’illusion. C’pas réversible. Y’a des gens ici d’puis plus de dix ans. Parfois il arrive des trucs chelous qui font penser que ç’pourrait changer, mais non. T’penses pouvoir te lever? Faut pas rester ici. Y’a sur’ment  un coincé du cul qui va appeler les keufs. Et tu finiras dans une cage comme un méchant chien.

Gram était prêt à aider l’ancien chien de chasse à se lever s’il le fallait. Il se demandait ce qu’on pouvait ressentir lorsqu’après avoir passé toute sa vie à quatre pattes, il fallait apprendre à marcher et vivre sur deux.

Beau collier

Alors, c'est bien le BDSM?

Gram ne réagit pas particulièrement au fait que le jeune homme lui montra les dents. Déjà, il n’était pas du genre à flancher sous les menaces, et ensuite, il se doutait que l’autre n’arriverait pas à l’attraper. L’envie de mordre passa bien vite avec des explications et Rouky se pinça même afin d’être bien certain que ce n’était pas un rêve. Pourtant, le garnement était sure de l’avoir pincé assez fort. Peut-être qu’au fond, l’ancien chien aimait un peu avoir mal? Peut-être qu’éventuellement, il pourrait l’inviter pour une session de main chaude? À voir.

Comme le nudiste réussit à se mettre debout seul, Gram ne bougea pas pour l’aider. C’était bien, avec un peu de chance, il pourrait marcher seul aussi. Ça semblait un mec débrouillard, le garnement aimait bien ce trait. Par contre, il fallait lui trouver quelque chose à se mettre, sinon ils allaient avoir des problèmes... en fait non, seulement Rouky aurait des problèmes, car c’était lui qui se baladait à poil dans un lieu publique. Gram ne savait pas trop où trouver des vêtements, il devrait vraisemblablement se montrer créatif afin de cacher le cul du nouvel arrivant.

-J’vais trouver et tu resteras libre. J’ai pas une tonne de blé, alors faut faire avec c’que j’trouverai dans mon sac.

Dans le dis sac à dos, il y avait surtout des bonbons, une lampe-torche et un sac poubelle. Quoi? Il avait oublié son hoodie alors qu’il allait explorer des souterrains où il faisait sans doute frais? Bon, il n’avait pas trouvé d’entré pour l’instant, alors ça lui avait juste fait un poids de moins à trainer… Sauf que ça aurait été utile pour habiller Rouky. Il mangea un bonbon, car c’est bien connu, le sucre aide à réfléchir, puis décida d’utiliser le sac noir. Il ne se rappelait plus trop pourquoi il avait mis ça là, mais qu’importe. Il perça un trou  au fond et un de chaque côté pour en faire un genre de poncho. C’était moche, mais au moins ça cacherait ce que ça avait à cacher. Contemplant son œuvre, il répondit aux questionnements de l’autre garçon :

-Non, j’ai pas d’maison à moi. J’loue une chambre dans la piaule d’mon ancienne famille d’accueil. C’pas là qu’on va aller. J’ai un pote, Oliver. Lui et son coloc sont comme nous. Ils savent plus quoi faire qu’moi. Ils auront de quoi t’saper ou tu pourras rester là l’temps que j’aille chercher d’mes vieilles fringues.

Bon, Oliver était plus qu’un pote, mais flemme d’expliquer ce que lui-même ne savait pas trop comment désigner. Il n’arrivait pas à mettre des mots sur leur relation. Il appréciait le rouquin. Il le trouvait fascinant. Le garnement aimait bien le fixer jusqu’à ce qu’il soit mal à l’aise, c’était plutôt marrant. Il aimait passer du temps avec lui, mais il ne ressentait sans doute pas les mêmes sentiments que son copain.

-On va t’mettre ça en attendant. Les gens normaux vont trouver ça moche, mais moi j’trouve ça stylé un sac. C’toujours mieux que r.

Gram entreprit de passer le sac poubelle par-dessus la tête de Rouky. Ensuite il lui fit sortir un bras après l’autre par les ouvertures prévues à cet effet. Il recula pour admirer le résultat. Parfait, personne ne pourrait l’accuser de nudité. Certes, il se ferait dévisager, mais bon, ce n’était pas illégal de porter un sac noir. Maintenant, il fallait se rendre à destination. Gram ne se voyait pas faire marcher l’ancien chien aussi longtemps, donc il opta pour le métro. Il ne se souciait pas que ce pouvait être perturbant pour l’autre, il ne pensait seulement qu’aux gens bizarres qu’il pouvait parfois y observer. Et puis, ce serait plus vite et moins fatiguant. Mais bon, avant cela, il fallait que le nouvel arrivant arrive à faire quelques pas…

-Bon, essaie d’marcher. Avance un pied à la fois. J’vais t’aider s’il faut.

Est-ce que Gram proposait son aide par bonté? Non, il ne voulait qu’accélérer le mouvement afin de ne pas rater le prochain train.

Beau collier

Alors, c'est bien le BDSM?

Rouky semblait vraiment trop heureux de porter un sac poubelle, mais Gram ne dit rien. D’un côté, il était content que l’autre apprécie ses efforts. Peut-être qu’à l’avenir, il essaierait plus souvent d’aider les autres? Bon, ce serait à voir s’il avait le temps et l’envie. Il n’allait pas négliger sa petite personne non plus! C’était à voir si ça rapportait ou pas, au final.

-Normal. C’pas des fringues. C’juste un sac. Non t’iras pas en cage mec, t’inquiètes.

L’ancien animal réussi rapidement à marcher. Parfait, Gram n’aurait pas à l’aider. Même que le jeune homme prenait un peu trop la confiance et tenta de sauter? Ce fut évidement un échec, il s’attendait à quoi? Ça prenait plus que cinq minute pour apprendre aux gamins le parfait contrôle de leurs membres! Cette chute qui ne se termina pas trop mal sembla calmer un peu le chien. Tant mieux, parce que s’il commençait à gambader partout, Gram allait le planter là pour aller faire autre chose. Hors de question qu’il ne coure après Rouky!

Ce dernier demanda à avoir des bonbons. La première idée du garnement fut de répondre par la négative, car il n’aimait pas partager ses sucreries. Cependant, une autre pensé lui traversa le crane : Si Rouky était un chien avant, peut-être qu’il pourrait lui faire faire des trucs en lui donnant des bonbons en récompense? À creuser plus tard. Il plongea la main dans son sac et donna une friandise à l’autre. De toute façon, ce n’était pas une très grande perte, le gout était légèrement douteux. Il s’en reprit aussi un, malgré cela. Un gout bizarre n’allait pas le priver de sucre!

-Bon, on y va. Suis-moi. Fais attention à où t’mets les pieds.

Gram n’avait rien à offrir pour couvrir les pieds de l’ancien animal. Il aurait pu penser à prêter ses chaussettes… s’il en avait eu. Car non, le garnement n’en portait pas dans ses baskets. Celles qui trainaient dans sa chambre puaient un peu trop alors il avait juste décidé de ne pas en mettre. Parfois, il n’en portait pas parce qu’il n’en avait pas envie, tout simplement. Et puis, ça allait, il ne faisait pas froid. Bon, ça allait pour lui, mais ça risquait d’être désagréable pour le nouvel arrivant, surtout lorsqu’ils quitteraient le parc pour marcher sur le trottoir. Une fois sur le béton, Gram donna quelques instructions :

-Marches pas sur c’qui semble chelou. Les gens jettent n’importe quoi par terre.

Et ensuite ça le jugeait, lui. Il ne jetait pas de mégot ou de chewing gum  au sol. Non, il préférait coller ces derniers dans les cheveux des petites pimbêches qui le jugeaient. Pour une fois, il regardait où il mettait les pieds en indiquant à l’autre de le suivre et d’éviter certaines zones.

-Si ça a l’air trempe, évites, c’probablement de la pisse.

Ça lui sembla une éternité, mais ils arrivèrent enfin dans la station. Alors qu’en fait, ça allait. Gram alla à la borne et prit un ticket pour Rouky. Lui, il avait son pass. Il tendit le billet à l’autre jeune homme :

-Ne l’perd pas, s’non t’auras des ennuis si tu t’fais prendre sans.

Le garnement montra ensuite à l’ancien animal comment passer les portiques. Il aurait pu lui montrer comment passer sans payer, mais il avait déjà eu des ennuis une fois, alors il préférait éviter de recommencer. Il traina ensuite l’autre jusqu’au quai où il vit les portes ouvertes.

-Cours vite! On va le manquer!

Y a un gars dans la rame avec un sourire grand comme ça, les yeux brillants de cette lueur émerveillée qu’on aime voir chez les enfants et qui, parfois, fleurit aussi dans les regards des adultes encore capable de se laisser surprendre par la vie. Et à le voir se balancer sur ses pieds et se tordre le cou pour mieux voir les publicités sur les quais, y a chez ce type un air qui peut amuser autant qu’il peut agacer.

Un air de gros touriste.

C’est Jayden.
Jayden qui n’a pas fini de s’extasier depuis qu’il est arrivé, c’est que Paris est si joli dans ses habits de mai et que c’est l’un de ces jours ensoleillés qui lui donne l’illusion que le printemps durera toute l’année. Spectacle qui, pour lui, se poursuit jusque dans les entrailles de la capitale française.

Manège familier et pourtant, les sons, les noms des stations, les gens, tous ses éléments le font baigner dans la nouveauté.

Il prend le métro à Paris.
C’est une dinguerie.
Ça mérite un selfie.

« Alice. Alice. Alice!​​ » qu’il souffle, monte d’un ton à chaque fois qu’il lance le prénom, jusqu’à ce que son amie relève les yeux vers lui. Click. Sur l’écran, Jayden se voit sourire à pleine dent, la Victoire au bout des doigts et derrière lui, Alice rayonne aussi. « Look, look! I love it! » Il se rapproche de son amie pour lui montrer la photo, zoom sur son visage, parce qu'elle est quand même super jolie. « Girl, you’re slaying! Too bad I can’t post this anywhere… » Cliché confiné à sa galerie sous peine de trahir les secrets de sa nouvelle double vie. « You think we could stop by a shop or something before I leave? I really need to find those snacks I saw in the vending machine, the one that looked like a tiny boat with chocolate… » C’est drôle ça, du coin de l’œil, il aurait juré qu’un des nouveaux arrivants de la rame ne portait qu’un sac-poubelle. Wait, what?

Ah, mais c’est le cas.
Ah bon.
Ah ouais.

S'ensuit alors un défilé de mimique à l’intention d’Alice ; et le voilà les sourcils levés, à jeter des regards en biais, des regards qui lui hurlent de se retourner. Le frérot est limite le cul à l’air dans le métro, let’s go. Ce genre d’étrangeté, Jayden a appris à les ignorer, à ne leur accorder qu’une œillade discrète faussement désintéressée, quand bien même tout en lui est piqué de curiosité. Alors, oui, il zieute malgré lui, les lèvres légèrement pincées pour s’empêcher de rigoler à ses propres conneries. « Wow, you didn’t tell me it was Fashion Week. » Parce que Jayden a toujours été son meilleur public. D’un coup de tête net, il fait tomber ses lunettes de soleil sur ses yeux pour que personne ne surprenne son petit jeu. « Dude’s living his best life. » Good for him. C’est presque s’il ne voudrait pas l’imiter, à tourner en rond autour de la barre comme il le fait.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et déjà, Alice lui fait signe qu’ils vont descendre. « Oh my god, that reminds me, you know, one time I was in the 3 train and some dude got in and he just took his shirt off and started to rub paint all over him, it was weird but also pretty cool to be honest and then we started to chat and… » et il emporte son histoire avec lui dans les couloirs du métro de Paris.

Beau collier

Alors, c'est bien le BDSM?

Lorsque Rouky demanda son prénom  au garnement, ce dernier dévisagea l’ancien chien, certain d’avoir déjà donné cette information. Est-ce que l’autre jeune homme était débile? Ou un trouble de l’attention? Il ne pouvait le savoir, il n’avait pas encore étudié assez le nouvel arrivant. Pour l’instant, il semblait clair qu’il était peut-être hyperactif, comme n’importe quel chiot. Il semblait intelligent, juste méconnaissant de la vie d’humain. Après réflexion, ce n’était peut-être que la confusion du réveil. Il ne venait pas à l’esprit de Gram que son prénom était bizarre ou que ça façon de parler n’était pas toujours facilement compréhensible.

-Gram. J’m’appelle Gram.

À un moment, le plus jeune remarqua que Rouky boitait un peu. Il avait du marcher sur un truc qu’il ne fallait pas. Inutile de sortir un J’te l’avais dit, la douleur aiderait à apprendre la leçon. Gram se trouvait déjà gentil d’avoir donné des conseils, si l’autre ne faisait pas attention, ce n’était pas son problème. Hors de question de materner qui que ce soit! Il en faisait déjà bien assez comme ça. Non mais, il interrompait ses recherches pour l’aider!

Ils réussirent à entrer dans le wagon avant la fermeture des portes. Bien. Gram n’avait pas trop envie d’attendre sur le quai où un agent de sécurité aurait pu venir jeter Rouky dehors à cause de son habillement. Alors que le chiot s’accrocha à un poteau au centre, Gram pris place un peu plus sur le côté, posant sa main sur une barre.

-Ça s’ras pas trop long. Plus vite qu’en voiture j’crois. Le métro c’plus direct et y’a pas les bouchons.

Sauf que ça semblait trop long pour le nouvel arrivant qui tournait autour du poteau. À un moment, Gram le regardait sans le voir, un peu dans un autre monde. Il faisait chaud, il avait bien hâte d’être arrivé lui aussi. Il tendait l’oreille afin d’écouter le nom de la station. Pas encore la leur. Une voix attira son attention. Un mec qui n’arrêtait pas de parler alors qu’il sortait de la rame avec une blonde. C’était pas Jayden? Même avec une seule tête, il s’arrêtait jamais de papoter? Trop tard pour aller vérifier, les portes se refermèrent. Dommage, l’histoire qu’il racontait avait l’air intéressante.

Plusieurs stations plus loin, Gram s’approcha de la porte en faisant signe à Rouky :

-La next, on descend.  

C’est ce qu’ils firent, naviguant à contre courant du flot humain qui tentait d’entrer alors qu’eux ne voulaient que sortir. Ils traversèrent la station et bien vite ils se retrouvèrent à l’air libre. Ils y étaient presque! Ils marchèrent jusqu’à l’immeuble où habitait Oliver et Rox. La porte extérieur était encore déverrouillée, à croire que de propriétaire se foutait de la sécurité. Pour le coup, ça arrangeait bien Gram. Ils montèrent les escaliers et le garnement alla se poster devant la porte. Il plongea la main dans sa poche à la recherche de ses trombones avant de réaliser qu’il n’avait toujours pas trouvé comment déjouer les nouveaux verrous de façon délicate, sans tout défoncer. Un jour, il trouverait comment. Avec un soupir, il leva le poing et frappa à la porte, comme on lui avait tant de fois demandé.

Gram fut surpris de l’efficacité de cette technique, ce ne fut pas si long avant que Rox n’ouvre la porte. Moins long que s’il avait du forcer les verrous. Peut-être devrait-il tenter plus souvent?

-‘lut Rox. J’ai trouvé c’mec, Rouky. L’est comme nous et j’savais pas trop quoi faire avec. J’me disais qu’toi et Oli sauriez quoi faire.

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Alors, c'est bien le BDSM?

Rox ne semblait pas heureux de le voir, ce qui était la routine habituelle. Ça juge tout le temps, mais ça dormait en plein jour alors qu’il y a tant de choses à faire, tant de gens à espionner! Ah non, ce n’est que le garnement qui passait le temps ainsi. Gram ne pu juger l’attitude du roux bien longtemps puisque bien vite les cris et l’excitation emplirent l’espace sans qu’il ne comprenne ce qui se passait. Pourquoi les deux autres criaient-ils le prénom de l’autre? Devait-il hurler GRAM! afin d’avoir une illumination?

Il n’eut finalement qu’à écouter pour comprendre qu’en fait Rox et Rouky se connaissaient. Il les dévisagea en se disant qu’ils devraient se trouver une chambre. Pas que ça le dérangeait de regarder, mais il ne comprenait pas ce genre de marque d’affection. Allaient-ils finir au lit? Sujet à surveiller la nuit prochaine. Par contre, c’était pas un peu bizarre les câlins dans le couloir de l’immeuble? Il ne devait pas être le seul à le penser car Rox finit par trainer l’ancien chien à l’intérieur tout en critiquant le sac poubelle. Le garnement entra à leur suite tout en répondant agacé :

-J’ai l’air d’une boutique de fringue ptet? J’vais pas m’dessaper pour un mec que j’viens d’trouver.

Non mais! Il n’était pas une pute qui allait se mettre le cul à l’air pour le premier jeune homme qui passait! Il avait déjà fait un gros effort en habillant Rouky et le ramenant ici et le rouquin n’était toujours pas satisfait? Gram ne cherchait pas à se faire aimer, mais il ne comprenait pas le comportement de l’autre à son égard. Il ne lui semblait pas avoir fait quelque chose de mal depuis qu’ils se connaissaient? Gram avait fait l’effort de frapper à la porte et Rox trouvait encore à lui reprocher des détails. En plus il l’accusait de dire de la merde alors qu’il avait expliqué de son mieux les choses de la vie parisienne au nouvel arrivant.

-C’toi qui raconte d’la merde. T’sais même pas tout c’que j’lui ai dit pour l’aider à pas s’casser la gueule et pas s’r’trouver en taule.

Agacé qu’on le traite comme un débile alors qu’il savait avoir fait au mieux, il se dirigea vers la chambre d’Oliver. Il entra sans refermer la porte puis se dirigea vers le lit pour s’y laisser choir sans essayer d’éviter de le réveiller. Non mais quelle heure pour dormir!  Le garnement dévisagea l’autre jeune homme comme à son habitude, sans vraiment se préoccuper de la peur qu’il a pu encore une fois provoquer.

-Qu’est-ce tu fous au lit?.. Anyway. Semble que j’ai trouvé l’pote de Rox. Rouky qu’il s’appelle. Sympa pour un chien. Dommage que Rox soit en train d’lui bourrer la tête d’conneries sur moi.

Gram se foutait un peu de ce qu’on pouvait dire de lui, sauf si on racontait des mensonges à son sujet. Il avait déjà assez de défauts sans qu’on cherche à lui en ajouter! Et bien qu’il ne cherchait pas d’amis, il avait tout de même apprécié la présence de Rouky. Ce serait bien que l’autre jaloux ne gâche pas ça.

Les nuits se suivent et se ressemblent. Courtes, malgré la lenteur des minutes qui s'écoulent, accablantes. Marquées d'un calme propice aux tumultes des pensées angoissantes. Silencieuses et pourtant bruyantes.

Il était 3h38 quand un sursaut anxieux a tiré Oliver hors des limbes d’un sommeil précaire, une petite heure à peine après qu’il ait enfin fermé les paupières. Il a beau les braver depuis des années, ses insomnies le laissent toujours aussi désarmé. Le cœur battant, il attend, résiste d’abord à son envie de passer le temps avant de céder à l’appel des écrans. Parce qu’il préfère se perdre sur les réseaux et scroller plutôt que rester seul avec ses pensées. Et les heures s’étalent, jusqu’à ce que les ténèbres de sa nuit blanche laissent doucement place à l’aube. Paris s’éveille quand lui, espère encore que le sommeil vienne le trouver.

Et au moment où il ne s’y attendait plus, ses paupières se sont fermées, tandis qu’un tik tok continuait de tourner. Repos de courte durée.

Il n’a rien entendu, ni les conversations ni les cris enjoués. C’est un mouvement violent qui, d'abord, l'arrache lentement à son sommeil, juste assez pour que son esprit embrumé note une présence à ses côtés. C'est cette anomalie qui le fait brusquement sursauter dans son lit. Oliver se redresse, coincé entre le mur et une silhouette qui, une fois la première vague de panique passée, se révèle finalement familière.

C'est Gram.
Réalisation qui le soulage sans l'apaiser.

Oliver, il a parfois l'impression de dormir sous une pluie en suspens, gouttes chargées d'angoisses, d'appréhensions et de doutes qui flottent au-dessus de lui sitôt qu'il est endormi. Il suffit d'un battement de paupières au réveil pour que tout s'abatte sur lui en averse. Déluge aussi soudain que violent qui lui donne envie de pleurer, brusquement. Un soupir, tout abattu par le fait d'être à peine réveillé et de, déjà, se sentir épuisé, quand il lui reste encore toute une journée à affronter. « J’ai... J'ai pas réussi à d-dormir cette nuit. » Oliver aurait aimé que Gram le devine, que Gram le voie, lui à qui il a déjà parlé de ses insomnies de vive voix. Il aurait aimé qu’il l’invite dans ses bras et qu'ils restent un instant tous les deux, calmes et silencieux, le temps que son angoisse retombe, que son cœur cesse de battre à tout rompre. Mais Gram n’est pas de ce genre là, il n'a jamais l'air de remarquer quand les choses ne vont pas. Et si cette nonchalance avait su lui plaire par le passé en lui offrant un semblant de normalité, aujourd'hui, Oliver aimerait simplement que Gram fasse parfois un peu plus attention à ses émotions.

Mais Oliver réprime ces pensées et toutes les choses qu’il dont il aimerait lui parler pour mieux l’écouter. De toute évidence, il vient de se passer quelque chose. « OK… » Déluges d’informations qui lui font l’effet de micro-agressions. Oliver fronce les sourcils, un instant étourdi et puis, les connexions se font. Rouky. Combien de fois a-t-il entendu ce prénom dans la bouche de son ami ? Trop souvent pour l’oublier. Rouky, ça a toujours été un souvenir, de ceux qu’on entretient dans l’espoir de faire revivre. Comme Gram avait pu l’être pour Stram. « C’est vrai, il l’a retrouvé ? »  C’est un curieux mélange d’émotions qui vient lui secouer le cœur. Il fait l’ascenseur, à la fois porté et alourdi par la stupeur. Oliver n’a pas encore vu Rox que déjà, il s’imagine sa joie, bonne humeur contagieuse qui se heurte pourtant à d’autres pensées, plus anxieuses. Et maintenant, que va-t-il se passer ? Oliver a toujours craint les changements, évité la nouveauté. La perspective d’un grand bouleversement rend son souffle un peu tremblant. « Par contre, t'étais pas obligé de me réveiller c-comme ça. » Qu’il murmure en passant ses mains sur son visage, incapable de savoir quelle émotion il vient de donner à son ton. Agacement, lassitude et détresse, tout se confond dans ce soupir feutré par l’émotion qui lui tient la gorge serrée. Fatigué, voilà ce qu’il est. Et Oliver quitte la chaleur de ses draps, s’extirpe de son coin en passant par le pied du lit pour ne pas déranger Gram allongé à côté de lui. Et tout est lourd, son souffle, sa poitrine, sa tête, son mouvement lorsqu’il tire le rideau de son placard. « Je vais voir. »  À l'ombre des étagères, Biscuit l'observe, ses yeux grands ouverts. Oliver lui offre une caresse rassurante avant de rapidement quitter son bas de pyjama pour enfiler un jean et un t-shirt.

Mais une fois devant la chambre de Rox, le poing reste suspendu un instant -et s’il brisait l’euphorie du moment en frappant ?- avant de s’écraser contre la porte, tout doucement. « Rox ? Tout va bien ? »  

Beau collier

J'me taille

Oliver n’avait pas réussit à dormir cette nuit. Et Alors? Gram ne dormait pas tant que ça la nuit et il ne roupillait pas en plein jour! Le rouquin semblait plutôt amorphe, ça donnait l’impression au garnement que soit ça ne lui faisait rien, soit l’arrivée de Rouky le dérangeait. Il ne devrait pas genre sauter de joie que son colocataire ait retrouvé son ami d’enfance? Pourquoi semblait-il au contraire inquiet? L’anxiété et la peur du changement étaient des sentiments que Gram ne saisissait pas. Là où les gens normaux auraient éprouvé de la compassion, chez lui, ça avait tendance au contraire à l’agacer. Il y a des choses qu’on ne peut changer, pourquoi en faire toute une montagne?

-Ouais. JE l’ai trouvé. À oilpé à Choisy.

Son copain lui reprocha de l’avoir réveillé comme ça. Gram ne voyait pas trop où était le problème. Y avait-il vraiment une bonne et une mauvaise façon de réveiller quelqu’un? Il voulait quoi, de la petite musique et des chants d’oiseaux? Le garnement n’avait pas le temps pour ce genre de choses! Pourquoi attendre que quelqu’un à qui il vaulait parler se réveille quand il avait justement des choses à dire dans l’immédiat?

-T’avais qu’à pas dormir. Les siestes, ç’empêche de dormir la nuit.

Oliver se leva et alla rejoindre les deux autres. Enfin une attitude à peu près normale! Enfin presque. C’était quoi l’urgence de se changer? Rouky il devait s’en battre les steaks des vêtements que les gens portaient, après tout, il venait d’arriver et ne devait pas connaitre toutes les conventions sociales sur le sujet.

Gram resta à l’écart pendant que Rox n’arrêtait plus de parler. Au moins, il avait eu la décence de mentionner que c’était lui qui avait ramené Rouky. Sauf que maintenant, le garnement était en quelque sorte exclu de la suite des choses. D’un côté, ce n’était pas un mal qu’il n’ait pas toute la responsabilité pour aider l’ancien chien, mais d’un autre, c’était un peu comme si on lui disait qu’il n’avait pas bien fait les choses jusqu’à présent, alors qu’il n’avait pas merdé du tout pour une fois!

Quelque chose lui disait que mieux valait laisser l’excitation des retrouvailles retomber. Ensuite, il pourrait peut-être passer du temps avec son nouveau pote Rouky. Et peut-être qu’Oliver sera de meilleure humeur et qu’ils pourront retourner au cimetière? Il passa à un cheveu de partir sans rien dire, mais se raviva, le nouvel arrivant ne méritait pas ça! Il s’approcha du groupe.

-C’tait cool de t’rencontrer Rouky. J’dois y aller. À plus tout l’monde. Oli, j’te text later.

S’il se dépêchait, il pourrait peut être reprendre ses recherches. Avant de partir, il jeta un œil ai frigo et au garde-manger pour une petite collation, mais comme il n’y avait que les trucs dégueulasses de Rox, il laissa tomber et quitta. Il n’aurait qu’à acheter quelque chose de mangeable sur le chemin. Et puis ne rien prendre pour la route éviterait une crise. Rox ne semblait pas vraiment apprécier de partager avec lui de toute façon.

tw : Oliver pue le seum

À peine la porte s’est-elle ouverte qu’Oliver sent, qu’Oliver sait qu’il va faire tache au milieu des cœurs en fête. Une aura lumineuse se dégage de cette pièce où tout rayonne et Oliver ne sait pas ce qui l’éblouit le plus : le soleil de mai ou la joie de deux amis qui se retrouvent. Elle est chaude et accueillante, la main que Rox tend vers lui pour l’inviter à entrer, mais rien à faire, il se sent comme une drôle d’ombre solitaire perdue au milieu d’un carré de lumière. Le bonheur de Rox a beau être assez contagieux pour faire percer un sourire timide sur son visage, il y a comme un voile posé sur ses yeux, signe que son ciel bleu est en train de se couvrir de nuages.

Oui, Rouky est beau, l’humanité lui réussit, mais sa simple présence le renvoie aux fondations bancales, anormales, de leurs vies. Elle lui rappelle qu’ils sont, au fond, des étrangers dans ce monde qu’il a pourtant adopté, que malgré toute la normalité avec laquelle il s’efforce de cémenter son quotidien, ils ne sont jamais à l'abri d’un grand bouleversement.

Oui, il est content pour Rox, mais il mentirait s’il prétendait que ce bonheur ne cohabitait pas avec une sorte de peur étrange qui le prend au ventre dès que sa routine change. C’est qu’Oliver pense à une multitude de demain : comment vont-ils faire, à trois, dans cet appartement à peine assez grand pour deux ?  Et si Rouky ne se plaisait pas dans sa nouvelle vie, et s’ils ne s’entendaient pas ? Et si, et si…

Et c’est trop d’émotions, trop de contradictions, autant de choses qui l'empêchent d’apprécier ce moment à juste titre. Alors, Oliver se contente d’acquiescer, un sourire un brin forcé aux coins des lèvres, presque soulagé de ne pas avoir à parler. Et puis, il y a cette phrase : « C’est compliqué le monde des humains, ça me ferait plaisir de partager mon lit avec toi ! Ça serait comme avant. » Et ça le fait tiquer là où ça ne devrait pas, parce qu’il sait que ces paroles sont baignées d’innocences, qu’elles ne sont que l’expression d’une amitié. Et pourtant. Oliver doit détourner son regard, parce qu'il ne peut soudain plus les voir sans les imaginer allonger l'un à côté de l'autre dans le noir, leurs prunelles rivées vers les hauteurs étoilées projetées au plafond. Vision qui déclenche un truc en lui qu’Oliver reconnaît immédiatement comme étant de la jalousie. Et ça le gêne, il se gêne, à éprouver un sentiment aussi amer dans un moment pareil. C’est bon, il n’a plus 18 ans, à se rêver en train d’embrasser Rox sous un ciel artificiel. Pourquoi il se met encore dans cet état ?

Mais pendant qu’un drame muet se joue en lui, Oliver force un sourire. Parce que Rox vient de lui prendre le bras : «  On sera pour toi, pas vrai Oliver ? » Évidemment. Comme s’il pouvait lui refuser quoi que ce soit, quand Rox le regarde avec ces yeux-là. Il a beau avoir ses angoisses, jamais il ne les laissera se mettre entre lui et le bien être de quelqu’un. Il l’espère. Alors, oui, il aidera Rouky. Et si c’est important pour Rox, alors, ça l’est aussi pour lui. « Oui, oui, b-bien sûr, on t'aidera autant qu’on peut. T’es le b… » Bienvenue. Les syllabes butent à répétition contre ses lèvres. Ça lui arrive souvent, mais jamais au point de l’empêcher d’aller au bout de ses intentions. « Fais c-c-comme chez toi, Rouky. » qu’il se reprend, la gorge serrée par la honte, l’impression de passer pour un idiot, à être incapable d’aligner trois mots.

Les yeux encore rivés sur Rox, sur ce bras qu’il a touché, c’est à peine si Oliver remarque Gram arriver : « À plus tout l’monde. Oli, j’te text later. » Encore une fois, il ne fait qu’acquiescer, trop plongé dans ses pensées pour songer à guetter ou espérer un signe, une marque d’affection, n’importe quoi. Des gestes que, de toute façon, Gram n’a pas. Jamais. Parfois, Oliver en vient à se demander si Gram en a vraiment quelque chose à faire de lui, ou si au contraire, il se contente simplement de le traiter normalement, contrairement à Clawd, Mally, Rox et tous ces gens qui l’ont peut-être trop souvent ménagé. Et s’il avait été dorloté au point de ne plus arriver à supporter la normalité ?

Au fond, c’est sûrement lui, le problème.
Il aurait dû le retenir, ne serait-ce que pour s’excuser. Parce qu’il se peut qu’il l’ait mal regardé quand il lui a fait remarquer qu’il dormirait mieux la nuit s’il ne traînait pas au lit la journée.
Il aurait dû le retenir, pourquoi est-ce qu’il ne l’a pas fait ?

Qu’est-ce que j’ai ce matin ? C’est la fatigue, c’est les émotions, il sait pas, Oliver. Ce qu’il sait, c’est que son cœur est sur le point d’imploser et qu’il lui monte une soudaine envie de pleurer. « P-p-p-pardon, je viens de me réveiller, je suis dans les vapes là et je m’attendais c-c-clairement pas à ça. » Il force un petit rire en osant relever ses yeux lourds de cernes vers Rouky. «Je suis ccontent que vous ayez pu vous retrouver. » Malgré toutes les émotions que cet événement génère, il le pense vraiment. « Rox m’a tellement p-p-parlé de toi. » Des récits aux parfums de printemps et aux couleurs de l’été qui avaient fait sourire et rêver l’adolescent déprimé qu’il était. Oliver les avait aussi un peu enviés, ces beaux moments d'amitié, nourrissant l'espoir secret de pouvoir un jour tisser un tel lien avec quelqu'un. Et cet ami si particulier, sûrement l’a-t-il à son tour trouvé en la personne de Rox, mais… Non, décidément, ça lui semble différent. C’est que leurs souvenirs les plus marquants sont imbibés de tristesse, marqués par des séparations brutales et des sanglots violents. Oliver a parfois du mal à se remémorer leurs plus grands instants de bonheur sans invoquer leurs pires malheurs, comme s’il lui fallait traverser un long couloir noir avant d’enfin pouvoir accéder à leurs rires, à leurs sourires.

Il ne sait pas pourquoi il pense à tout ça, pourquoi son esprit s'acharne à le torturer en le comparant à au brun, comme s'ils ne pouvaient pas coexister, comme si Rox et Rouky étaient forcément voués à devenir plus que des amis.

N’importe quoi. Pourquoi il pense à ça maintenant ? Il y a plus important que ces états d’âme dignes d’un feuilleton adolescent. « Bon, euh, je vais faire chauffer de l’eau, si... si jamais vous voulez du thé ou du c-c-café. Hésitez pas à me demander si vous avez b-b-besoin d’un truc. » Et Oliver s’éclipse comme il est arrivé, sans un bruit, le souffle court. Merde, c’était quoi ça, qu’est-ce que Rouky va penser ? Et dans un élan anxieux, Oliver passe par sa chambre récupérer son téléphone :

TO GRAM:
Désolé, j'étais vraiment d'une humeur de merde en me réveillant, c’était beaucoup d’un coup mais c’était pas une raison pour mal te parler
Désolé

Il a tapé ses messages d’une traite en allant machinalement activer la bouilloire. C’est dans un concert de son strident, Oliver décide soudain de disparaître dans la salle de bain en oubliant ce qu’il voulait manger ou boire. Parce que s’il doit pleurer, autant que ce soit pendant qu’il est en train de se doucher.