La période des fêtes approchait à grands pas, comme on pouvait le voir dans chacune des rues de Londres. Malgré le froid qui s’abattait contre son visage, Wendy ne pouvait que s’en émerveiller. Il y avait des décorations, des guirlandes et des lumières partout sur le chemin jusqu’à la bibliothèque où elle travaillait et même si elle l’empruntait quasiment tous les jours, elle adorait les regarder briller. Il lui semblait que les passants étaient aussi plus heureux en cette période. La perspective d’offrir, de recevoir, de passer du bon temps en famille, sans doute. Elle serait plus heureuse aussi, certainement, si elle-même avait une famille à revoir. Malheureusement, c’était une nouvelle année de plus à célébrer sans ses frères. Elle ressentait toujours un peu plus de nostalgie en cette période que le reste de l’année, mais elle parvenait tout de même à rester optimiste. Même si elle n’était pas avec eux, il y avait fort à penser qu’eux soient tous ensemble. Puisqu’elle ne les avait pas encore croisés dans ce monde, c’était sûrement qu’ils étaient encore tous dans celui qu’elle avait quitté. Dans tous les cas, elle fêterait Noël en priant pour eux, comme chaque fois. Où qu’ils soient, désormais, elle voulait croire qu’ils allaient bien. Qu’ils étaient heureux.

Elle entra dans la Plume Magique et, enfin au chaud, déposa son gros manteau et son écharpe dans le vestiaire avant d’aller saluer Poppy. Les deux amies échangèrent joyeusement puis la plus jeune partit pour que Wendy puisse prendre le relais à la charge de la bibliothèque. Comme à son habitude, elle étudia les nouveaux arrivages, souriant chaque fois qu’elle lisait un résumé de livre captivant, notant mentalement le titre pour revenir le lire plus tard. Elle accueillit deux ou trois personnes, leur conseilla quelques ouvrages selon ce qu’elles cherchaient, inscrivit leur nom dans son registre quand elles se décidaient à emprunter un livre. Si le mois de décembre était généralement très chargé pour les commerces, c’était bien plus tranquille pour les bibliothèques. Puisque les livres empruntés ici devaient être rendus avant une certaine date, peu de monde venait ici pendant leurs emplettes de Noël. Quant aux voyageurs des portails, ils n’étaient pas beaucoup plus nombreux en cette période que durant le reste de l’année. Si bien que Wendy eut plusieurs moments de répit où elle se retrouvait parfaitement seule dans la Plume Magique.

C’était durant l’un de ces moments qu’elle entendit un bruit étrange provenant de la salle du portail. Comme un meuble que l’on déplaçait. Étrange. En général, quand quelqu’un venait du portail, ce n’était pas pour refaire la déco. Elle décida donc d’aller voir et poussa la porte qui menait à la salle secrète. Elle ne savait pas vraiment à quoi elle s’attendait, mais ce n’était certainement pas à voir la tête d’un jeune homme allongé sur un lit en plein milieu du portail magique. C’était extrêmement perturbant de ne pas voir le reste de son corps, qui était probablement resté à Paris ou à New York. Comment pouvait-on avoir sa tête et ses jambes dans deux endroits du monde séparés par des centaines de kilomètres, c’était une question à laquelle Wendy préférait ne pas trop penser. Il y avait de quoi se donner la migraine. Elle fut d’autant plus surprise de reconnaître cette tête, même si les yeux étaient fermés. Quelqu’un qui mourait dans vos bras, même si ce n’était que dans un rêve, ce n’était pas quelque chose qu’on oubliait facilement.

L’étonnement l’avait laissée pantoise sur le pas de la porte quelques instants, mais la jeune femme reprit finalement ses esprits et s’avança en refermant derrière elle. Le bruit dut alerter le visiteur, puisqu’il ouvrit finalement les yeux et regarda dans sa direction. Wendy déduit de son expression qu’il l’avait reconnue, lui aussi. C’était étrange, mais pas tant que cela : elle avait su en discutant avec Poppy que le rêve qu’ils avaient vécu à Halloween n’avait pas été seulement un rêve. Ou plutôt, c’était un rêve, mais connecté : aussi improbable que cela puisse être, ils avaient été plusieurs à se retrouver dans le même cauchemar. Suivant cela, c’était donc finalement logique que Gram existe lui aussi. Mieux encore : qu’il soit vivant.

« Oui, j’y étais. C’est bizarre à dire, mais de ce que j’ai compris par la suite, tous ceux qui étaient là existent réellement. Nous avons tous fait le même rêve. » Elle sourit et s’approcha un peu plus. « Ça fait plaisir de te revoir vivant et pas entièrement gelé. »

Mais tout cela n’expliquait pas pourquoi il était actuellement allongé entre deux villes. En regardant le lit un peu mieux, elle réalisa qu’il s’agissait d’un de ceux de l’hôtel Le Nouveau Monde, à Paris. Il devait avoir voulu passer celui de la chambre 2013 dans le portail, la question était pourquoi, et surtout ce qu’il comptait faire avec. À part s’endormir en chemin.

« Mais ça aurait été encore mieux de te voir en entier et pas seulement la tête. Qu’est-ce que tu es venu faire avec ce lit ? Il était bien mieux à l’hôtel. Veux-tu bien le remettre à sa place avant que quelqu’un de New York n’essaie de prendre le portail et ne se retrouve coincé dans le meuble ? »

Honnêtement, elle n’avait aucune idée de ce qui se passerait si cela arrivait, mais elle n’avait pas tant envie d’en faire la découverte. Avec un peu de chance, ils arriveraient sur le lit ou à côté, plutôt que dedans, mais elle préférait encore ne pas prendre le risque.