« Cours dans ta chambre Kaly » Je regardai ma mère, totalement intriguée alors que mon feutre se trouvait suspendu au-dessus de la feuille sur laquelle j’étais en train de dessiner.
« Mais Maman … » Son regard apeuré me fit frissonner et une sueur froide se répandit de mes omoplates au bas de mon dos.
« Fais ce que je te dis Kalixte. Dépêche-toi ! » Malgré son ton autoritaire, je sentais le tremblement de sa voix. Du haut de mes cinq ans, je savais que quelque chose n’allait pas. Son visage était livide, ses mains se croisaient et se décroisaient … Une nervosité qu’elle ne montrait jamais, elle la grande mannequin de renommée internationale dont j’avais obtenu les traits. Docilement, je me levais et alla m’enfermer dans ma chambre, tournant la clé dans la serrure comme il était d’usage lorsque le danger menaçait. Une fois ce petit geste – que je pensais rassurant - fut fait, je me suis réfugiée sous la couette, serrant Simba contre ma poitrine. Plus aucune lumière ne perçait de sous ma tanière. J’étais dans le noir complet, coupée de la journée qui avançait. Mais même si les sons se trouvés amoindris, j’entendais néanmoins les voix étouffés de ma mère et d’un autre homme que je ne voulais pas reconnaître comme mon père tellement il me faisait peur.
« Arrête Jensen, tu ne sais plus ce que tu fais ! » Criai ma mère alors que des bruits de vaisselle brisée se répandaient dans la maison.
« Qui était cet homme avec qui tu as été prise en photo ? Qui était-il ?! » Hurlait-il, complètement déchaîné. J’entendis ma tendre génitrice se laisser aller à sa peur et son chagrin tandis que des coups sourds s’abattaient sur elle. Je me bouchais les oreilles pour essayer d’éradiquer toutes ces choses qui me faisaient trembler.
« Je vais t’offrir un monde aux mille et une splendeurs où les princesses au jardin du bonheur ouvrent leur cœur. Je vais ouvrir tes yeux aux délices et aux … » J’avais beau chantonner, voir les images d’Aladdin et de Jasmine dans la tête, les supplications d’Evelyn Emerson couvraient mes pensées. Tremblante, je suis sortie de ma cachette, Simba toujours contre moi et suis allée déverrouiller la porte. Je pouvais protéger ma mère. Après tout, j’étais grande non ?
La vue de cet homme me terrifia. Il avait la mâchoire serrée, un regard gris d’acier et, surtout, une main couverte de sang. Ma mère gisait sur le sol, inerte. Des larmes s’échappèrent de mes yeux et je commençai à courir vers elle malgré la présence du vilain. Ce dernier m’empêcha de la rejoindre et m’arrêta par les cheveux avant de me traîner sur le sol. Son relent de cigarette et d’alcool me souleva le cœur mais ma douleur fut plus grande encore lorsqu’il m’assena plusieurs claques d’affilés et que ma vue commençait déjà à se brouiller.
« T’as quoi toi à crier hein ?! Gamine de merde ! T’es venue pourrir notre vie ! T’étais pas désirée. » Il me tourna froidement le visage vers ma génitrice qui respirait avec difficulté.
« Elle te déteste autant que moi. Son corps n’est plus parfait pour les podiums. Pourquoi crois-tu qu’elle soit plus souvent à la maison en ce moment ? » Puis il me laissa longuement retomber au sol alors que des sirènes de police se faisaient entendre. Je ne luttais pas plus longtemps et me laissai entraîner vers la noirceur qui m’enveloppait. Sombre mais reposante. Bienvenue …
Un, deux, trois … Inspire. Un, deux, trois … Expire. Je courais dans Central Park, me mêlant aux New-Yorkais matinaux. Après mes folles nuits, je devais absolument nettoyer mon corps de ses impuretés. J’avais réussi à conserver un corps mince et élancé malgré l’adolescence qui avait pointé le bout de son nez. A 17 ans, j’étais sûrement l’une des filles les plus convoitée du lycée et pour tout avouer, je n’en étais pas peu fière. Cela m’aidait à préserver mon lourd secret et à montrer une façade de gentille petite fille sage. Je travaillais la nuit pour me faire de l’argent de poche et pouvoir, plus tard, ouvrir un refuge. Un sourire s’étira fugacement sur mes lèvres. Qu’est-ce que les gens pouvaient être naïfs. Oui, c’était vrai au début mais l’appât du gain – et surtout ce que l’on pouvait avoir avec – se trouvait être plus fort que tout.
FLASHBACK
« Bonsoir, que puis-je vous servir ? » Demandai-je avant que ses yeux d’un bleu électrisant ne me coupent le souffle. Il avait le visage carré, des os saillants mais je retenais surtout ses yeux qui pétillèrent dès qu’ils passèrent sur mon corps.
« Ton corps ma jolie. » Sa voix grave me fit vite oublier l’étrangeté de sa remarque et son rire rauque lorsque je me mis à rougir ne me fis que m’empourprer d’avantage. Il me détaillait sans gêne, qu’importe s’il était beaucoup plus vieux que moi. Dans ce pub de New-York, les serveuses devaient être affublées d’une jupe, d’un haut noué au-dessus du nombril et chaussées de rollers histoire d’aller plus vite dans les commandes. A ma prise de fonction, cette tenue m’avait plu. Je me sentais enfin adulte. Mais là, devant ce regard inquisiteur, je ne pouvais que me sentir exposée, mise à nue même si sa main sur mon bras m’arracha quelques frissons et me firent lâcher le plateau rempli de verres que je portais. Je me penchais déjà pour ramasser qu’une main se posa sur mon épaule et me fit me relever. C’était mon patron. Je me mordis la lèvre, gênée.
« Klaus, quelle surprise ! » Entonna mon employeur en tendant à l’homme qui m’avait tant dévisagée.
« Jaime, c’est un plaisir de te revoir. Je vois que tu as de nouvelles apprenties depuis que je suis venu. Et appétissantes de surcroît ! » Son regard émeraude se reposa sur moi mais je ne fis comme si de rien n’était et me tournait alors vers le gérant du pub.
« Je suis désolée pour les verres, vous pourrez les déduire de ma paie. » C’est alors que l’homme se leva et me prit par le coude, signe d’appartenance.
« Je paierai pour elle. » Annonça-t-il avec un clin d’œil par lequel Jaime répondit avec un sourire en coin.
« Très bien mon cher, elle est à vous. » Comment ça j’étais à lui ? Pourquoi y avait-il autant de mystère entre ces deux hommes ?
« Quoi ? » Et sans aucunes réponses, je fus entraînée dans une salle au fond du lieu où je travaillais. Klaus ferma la porte à clé et se jeta sur moi sans crier gare. Les patins me firent tomber sur n canapé et mes tentatives d’échappatoires furent vaines vu la musculature qui le composait.
« Arrêtez, lâchez-moi ! » Seul son rire brisa le silence et ses mains s’égarèrent sur mon corps. Les larmes se déversaient sur mon visage, mes cheveux coincés dans son poing et je ne pouvais pas bouger. Lorsque je lui mordis la langue pour me libérer, il se contenta de me donner une claque qui m’ouvrit la lèvre et de m’injecter un truc dans le bras. Cette nuit-là, à seulement 16 ans, je perdais ma virginité et me retrouvais droguée pour la première fois. Je ne savais pas que j’avais été embauchée dans un bar servant de maison close …
FIN FLASHBACK
Essoufflée, je m’arrêtai sur un banc pour me reposer lorsqu’un café de chez Starbuck se matérialisa devant moi accompagné d’une petite boîte.
« Et un petit-déjeuner pour ma beauté, un ! » Un rire m’échappa tandis que je mettais mes mains en coupole autour du gobelet en carton et que Klaus s’installait à mes côtés, glissant négligemment son bras sur mes épaules. Il aimait montrer que je lui appartenais.
« Merci Klaus ! » Je l’embrassai sur la joue et soulevai le couvercle du carton. Quelques sachets par-ci par-là. Bien. Cela me donnait de quoi tenir la journée de cours et le travail de ce soir. Son pouce caressa doucement mon épaule dénudée et un frisson de désir se répandit dans mon corps. Un soupir franchit mes lèvres et je me relevai prestement. Il arqua un sourcil mais ne dit rien.
« J’ai cours. A ce soir ? » Un sourire illumina son visage et j’y lus la réponse qu’il me fallait. Je partis d’un pas rapide vers l’appartement que je partageais avec ma tutrice, ma mère étant très peu là. Mon cœur était serré et ma gorge obstruée de larmes. J’étais à lui comme toutes les autres filles. J’étais tombée amoureuse de mon bourreau et je devais le partager.
« Vous n’avez pas le droit de venir sans perquisition ! » Furent les mots qui me tirèrent du sommeil. Ma tutrice criait à qui mieux mieux et je devinais, comme un sixième sens, que ç’en était fini de moi. Quatre ans que je travaillais dans ce bar. Je venais d’avoir mon diplôme et j’avais justement fêté ça la nuit précédente avec Jaime, Klaus et tous les clients privilégiés du pub. La porte de ma chambre alla heurter le mu et des bras me saisirent pour me faire sortir de mon lit et m’amener dans le salon où se trouvaient déjà deux hommes menottés. Je vous laisse deviner leur identité.
« Vous me faites mal, que me voulez-vous ? » Leur crachais-je au visage tout en me débattant furieusement, me fichant totalement d’être en fine lingerie. Certains policiers baissèrent les yeux lorsqu’ils croisaient mon regard et d’autres ne se privèrent pas pour me reluquer. Klaus ne disait rien mes ses prunelles en disaient long sur la haine qu’il avait envers les autorités.
« Qu’est-ce que vous regardez hein ? Vous n’avez jamais vu de fille de votre vie ? » Continuais-je à vociférer jusqu’à ce qu’un métal froid entrave mes poignets. Oups …
« Kalixte January Emerson, vous êtes en état d’arrestation pour prostitution et consommation de produits illicites. Tout ce que vous pourrez dire sera retenu contre vous. » L’esprit encore embrumé, je me laissais alors traîner dehors, recouverte d’un vulgaire peignoir.
Nos procès furent vite expédiés. Jaime fut renvoyé en France – son pays natal – pour purger sa peine de sept ans de prison. Son crime, du proxénétisme. Il était donc mon maquereau. Klaus, lui, encourra trois ans de prison pour vente et consommation de drogues. Et moi … On me jugea victime de tout cela. Que je m’étais faite manipulée à 16 ans et je vous laisse deviner en mille où on m’envoya pour me refaire une santé … Bonjour Londres !