Wendy avait toujours aimé les animaux. Qu’ils soient gros, petits, à poils ou à plumes, qu’ils rampent, qu’ils volent, qu’ils nagent, qu’ils soient doux ou féroces, affectueux ou menaçants, intelligents ou simplets, brave ou craintifs. Elle voyait en chacun d’eux une beauté qui leur était propre et qu’elle aimait découvrir et redécouvrir. Ils avaient une sincérité naturelle qui contrastait avec l’hypocrisie habituelle de l’humanité, mais gardaient en eux une part de mystère qui les rendait encore plus intéressants à ses yeux.

Pour leur rendre hommage, elle avait décidé de faire un tour au zoo de Londres, à quelques minutes en transports de l’endroit où elle logeait, pour le simple plaisir de voir des bêtes sauvages de toute race. À l’époque, ce genre d’endroits étaient moins courants et surtout moins accessibles. Désormais, pour quelques pièces on avait la possibilité d’observer un catalogue entier et très varié d’animaux venus des confins du monde. Et Wendy avait bien l’intention d’en profiter. Munie d’un plan du zoo, elle décida de commencer la visite par la zone des singes qui se trouvait près de l’entrée.

Il y avait beaucoup de monde dans le parc, principalement des touristes venus en famille. Cela ne dérangeait pas Wendy, qui au contraire trouvait que cette joyeuse cacophonie avait quelque chose d’exaltant. Les cris des enfants, les rires des adolescents, les discussions des adultes, tout le monde semblait heureux d’être là, de partager ce moment avec leurs proches, de simplement apprécier une journée haute en couleurs. Tant de bonne humeur réchauffait le cœur de l’étudiante.

Du moins, c’était avant de remarquer, perdu au milieu du chemin, un homme qui ne semblait pas partager la joie ambiante. Triste, en colère ou tout simplement frustré de ne pas savoir s’y faire avec le plan qu’il tenait à la main, il paraissait dans tous les cas ne pas oser (par timidité ou par fierté ?) aller demander de l’aide aux passants autour. Et eux n’avaient pas non plus l’air de vouloir s’arrêter pour lui en donner. Wendy aurait bien pu le dépasser de même sans rien faire, mais son altruisme était plus fort qu’elle. Quel que soit le problème de cet étrange personnage, elle refusait de le laisser si dépité sans même faire l’effort de lui demander en quoi elle pouvait lui être utile.

Elle se rapprocha donc de lui, un peu timide mais pleine de bonne volonté, et posa doucement une main sur son épaule pour lui signifier qu’elle était là. Elle sourit puis lui demanda :

« Excusez-moi, je vous ai vu un peu déboussolé, peut-être que je peux me rendre utile ? Si vous êtes perdu, peut-être qu’on peut faire la visite ensemble ? »

Alors qu’elle relevait les yeux vers le chemin pour proposer un début de visite, elle vit un couple de personnes relativement jeunes, postées devant l’enclos des singes, en train de narguer un chimpanzé avec une banane. D’abord confus, ce dernier finit par s’énerver, s’attirant les foudres d’un membre du personnel qui le bouscula sans ménagement avec un bâton pour l’éloigner du grillage, sous les rires cruels des adolescents. Même à plusieurs pas de l’action, Wendy se sentit soudain révoltée. Au loin, l’animal paraissait souffrir d’un mal qui, sans savoir pourquoi, glaçait son sang. Par un abus d’irritation, sa main força soudain sur son plan du zoo qui fut d'un coup brutal rompu au pli. Quand elle s’en rendit compte, elle détacha son regard de la scène pour le porter sur sa carte déchirée en deux, puis, sa colère un peu apaisée, se retourna vers l’homme pour s’excuser de son comportement imprévu :

« Oups, euh, pardonnez-moi. J’ai été un peu surprise, je pensais que les animaux étaient mieux traités que ça. Enfin, les hommes peuvent être durs parfois, j’imagine. »