C’était une magnifique journée comme Londres n’en avait pas eu depuis plusieurs mois. Le ciel était d’un bleu épatant et la température atteignait presque les vingt degrés Celsius. Ce n’était pourtant pas encore le printemps, mais celui-ci semblait avoir décidé de se montrer plus tôt que prévu. Dans tous les cas, c’était une journée idéale pour ceux qui aimaient s’installer dehors et profiter des rayons du soleil à l’air libre. C’est pourquoi Wendy ne fut pas étonnée lorsque, alors qu’elle prenait sa première pause de la journée – elle effectuait un stage comme assistante d’un professeur en école primaire – son téléphone portable indiqua qu’elle avait reçu plusieurs messages dans une conversation groupée, de quelques amis d’université qui proposaient d’aller prendre une glace ensemble au déjeuner. Une glace en plein hiver, c’était assez étonnant, mais après tout pourquoi pas ? Le temps s’y prêtait certainement, et c’était l’occasion pour Wendy de retrouver quelques camarades qu’elle n’avait pas revu depuis un moment. Elle assura donc dans la conversation qu’elle serait là, puis termina sa pause tranquillement et revint dans la salle de classe pour le reste de la matinée.

Elle déjeuna comme d’habitude à la cantine de l’école, dans la salle des professeurs, puis quitta les lieux et suivit son application GPS pour se rendre dans la glacerie proposée par ses anciens amis. Celle-ci avait un joli nom – La Reine des Glaces – et semblait plutôt accueillante. Certains de ses camarades avait précisé que la gérante était tout aussi jolie et accueillante, ce qui avait en avait convaincu plus d’un. Wendy, qui passait à présent la porte de la glacerie, trouva en effet que la gérante était jolie, mais surtout qu’elle semblait carrément débordée et qu’elle avait du mal à répondre à toutes les commandes. Il fallait dire que l’endroit était bondé. Toutes les tables étaient prises – heureusement, Wendy put trouver une place auprès de ses camarades – et la vente à emporter connaissait aussi un certain succès. Fichtre, si c’était aussi peuplé en hiver, Wendy était curieuse de ce que ce serait en plein été. La reine des glaces devrait peut-être songer à engager un peu de personnel. De loin, Wendy sourit à la jeune blonde qui croulait sous les commandes, en guise de soutien, puis se sentit un peu gênée de lui rajouter du travail en lui demandant une glace deux boules, vanille et chocolat.

Quelques minutes plus tard, alors qu’elle prenait part à une grande discussion avec ses camarades, Wendy fut surprise en sentant soudainement quelque chose de froid sur la jambe, et réalisa en tournant la tête que la pauvre serveuse venait de faire tomber sa commande et que ses deux boules de glace tant attendues étaient désormais tristement aplaties contre le sol. La gérante se confondit en excuses devant elle et lui promit de lui offrir sa prochaine visite, ce à quoi Wendy répondit immédiatement, compatissante :

« Oh non, vraiment ne vous en faites pas, ça n’est rien ! Vous avez l’air complétement sous l’eau aujourd’hui, je vous vois courir depuis que je suis arrivée, c’est déjà épatant que vous ayez réussi à tenir le rythme jusque-là ! »

Elle attrapa sa serviette et nettoya brièvement son collant qui avait reçu un peu de glace dans leur chute, puis se baissa et entreprit de ramasser le gros de ce qui était au sol. Elle vit la serveuse se détourner et commencer à repartir vers le comptoir pour refaire sa glace et décida de la suivre pour l’interpeler :

« Excusez-moi ! Désolée, je ne veux pas vous offenser, mais j’ai l’impression que vous auriez bien besoin d’un peu d’aide. Ecoutez, j’ai été serveuse dans un café, et j’ai encore une bonne demi-heure devant moi. Vous pouvez faire les glaces, et j’apporte les commandes, qu’en dites-vous ? En échange, eh bien, je ne dirais pas non à quelques boules de glace en bonus… »

Wendy en connaissait quelques-uns dans sa classe de petits qui seraient ravis de la voir arriver avec des glaces pour chacun d’eux. C’était l’occasion de faire des heureux, et la jeune femme adorait ce genre de situations dans lesquelles tout le monde avait à y gagner. Avec le sourire, elle se présenta :

« Je m’appelle Wendy, au fait. Et vous ? »

L’amabilité de la gérante fit sourire Wendy. La pauvre était débordée mais restait malgré tout serviable et insistait même pour refaire une glace quand elle avait déjà sûrement plusieurs dizaines d’autres commandes en cours. L’étudiante comprenait mieux maintenant pourquoi cette glacerie attirait autant de clients, non seulement les produits avaient l’air délicieux, mais en plus le service était excellent. Cela dit, elle aurait sans doute à y gagner à embaucher un peu de personnel, la charge de travail semblait impossible à tenir pour une seule personne. C’est pourquoi Wendy fut ravie que la jeune femme accepte sa proposition. À deux, ce serait déjà plus vivable, et surtout c’était l’occasion de faire connaissance avec quelqu’un de sympathique ! Elle laissa la gérante lui apporter un tablier et se présenta en l’enfilant. La jeune femme lui répondit en disant s’appeler Elsa, puis lui demanda son âge. C’était un peu brutal comme question, peut-être qu’elle voulait vérifier qu’elle était bien en âge de travailler ? Dans ce cas, Wendy décida de la rassurer tout de suite :

« Oh, j’ai vingt-cinq ans, je suis étudiante à l’université. J’ai commencé à travailler dans un café dès que j’y suis entrée, d’où ma petite expérience. Et vous… toi ? »

Elle avait hésité à rester sur le vouvoiement, mais Elsa avait commencé à la tutoyer et elle ne semblait pas bien plus vieille qu’elle, alors elle avait décidé de faire de même. Et puis, si elles étaient collègues pour quelques minutes, autant briser la glace dès le début (sans mauvais jeu de mots) ! Parée à se mettre au travail, Wendy parcourut la salle du regard, tentant de voir par-dessus les nombreuses têtes l’état des tables, pour noter mentalement lesquelles attendaient leurs commandes et lesquelles étaient déjà servies. Elle demanda :

« Bien, comment est-ce qu’on se répartit le travail ? On prend une zone chacune ? Ou bien tu confectionne les glaces et je fais le service, ou l’inverse ? »

Si elle avait l’habitude de passer les commandes, apporter les plats et débarrasser les tables, Wendy n’avait encore jamais fait elle-même les pots de glace – cela dit, ça n’avait pas l’air bien sorcier, et si besoin elle ne rechignerait pas à le faire. Au contraire, cela lui apporterait une nouvelle expérience. Au vu du nombre de clients dans la salle, ça n’allait certainement pas être de tout repos, mais l’idée de travailler avec Elsa lui plaisait bien. Elle avait presque hâte de commencer !

Elsa lui dit avoir le même âge qu’elle, ce qui était plutôt une heureuse coïncidence. En tout cas, elle était la gérante de la glacerie, ce qui était plutôt impressionnant pour quelqu’un d’aussi jeune. Peut-être l’avait-elle eu en héritage ou quelque chose comme ça, ou bien était-ce simplement qu’elle avait saisi sa chance lorsqu’elle en avait eu l’opportunité. Quoi qu’il en soit, Wendy trouvait qu’elle se débrouillait très bien, malgré le monde qu’il y avait, et elle était contente de pouvoir lui proposer un peu d’aide. Elsa lui demanda si elle travaillait pour payer ses études et Wendy, qui n’avait aucune difficulté à parler de sa vie personnelle, répondit aussitôt :

« Oui, enfin, pour mes études, pour mon loyer, pour pouvoir manger et puis tout le reste, en fait. Il faut dire que j’ai été un peu projetée dans la vie active très soudainement, et je n’avais pas grand-chose, alors j’ai dû m’en sortir par mes propres moyens. Mais je te passe les détails ennuyants ! Bref, aujourd’hui je ne travaille plus au café, comme j’ai pu décrocher un stage en école. Ça m’a donné une bonne expérience, néanmoins ! »

Elle sourit, songeant avec nostalgie au Shonash Café où elle avait travaillé pendant quelques années, depuis son arrivée dans ce nouveau siècle. Ça n’avait pas été toujours facile, il fallait l’admettre, mais elle avait toujours gardé le sourire, et elle avait encore quelques bons souvenirs de son temps passé là-bas. C’est pourquoi, l’idée d’aider Elsa avec la glacerie ne lui déplaisait pas, ce serait comme un rappel du bon vieux temps. Motivée, elle écouta sa nouvelle collègue lui proposer de prendre chacune une zone, ce que Wendy approuva. Ce serait plus simple de s’occuper et de noter les commandes de quelques tables seulement, plutôt que d’avoir à gérer toute la salle en même temps. Munie d’un petit calepin, elle se dirigea vers un groupe de clients et commença le travail avec beaucoup d’enthousiasme. Quand elle revint vers le comptoir à glace où elle trouva Elsa, elle composa les quelques boules qu’elle avait pris en note tout en discutant avec la jeune femme :

« Eh bien, ça fait bizarre de se remettre dedans, ça faisait longtemps que je n’avais pas pris de commandes ! Au fait, je ne t’ai pas demandé, comment en es-tu venue à vendre des glaces ici ? »

Puisqu’elles allaient travailler ensemble un petit bout de temps, autant commencer à faire un peu plus connaissances, et Wendy était curieuse d’en savoir plus sur elle et sur la glacerie qu’elle tenait. Elle trouvait Elsa bien sympathique et pensa qu’elles pourraient vite devenir de bonnes amies.

Wendy fut tant surprise par la première réponse d’Elsa qu’elle ne trouva même pas de quoi réagir. Elle ne venait pas de ce monde-ci ? Avait-elle bien entendu ? Ou est-ce qu’elle surinterprétait un peu trop ? Ce n’était peut-être qu’une simple tournure de phrase, ça ne voulait sans doute pas dire ce qu’elle imaginait. Ou alors, elle venait de croiser quelqu’un comme elle. Une Disney. Là, dans une glacerie, débordée par l’affluence improbable d’une belle journée d’hiver. Oserait-elle y croire ? Mais Elsa était déjà partie, quelques coupes de glace à la main, pour aller les déposer sur une table, et Wendy utilisa ce temps-là pour se dire que ce n’était rien d’autre qu’une coïncidence. La phrase était venue avec un naturel si évident qu’elle avait du mal à penser que cela puisse cacher une vérité si imposante. En général, les personnages Disneys se confiaient sur leur situation qu’à des personnes fiables, qu’ils connaissaient, certainement pas à une serveuse rencontrée quelques minutes plus tôt. En tout cas, c’était ainsi que Wendy procédait elle-même, en particulier depuis qu’elle avait appris l’existence de chasseurs.

Décidant donc qu’il n’y avait pas là de quoi tergiverser pendant des dizaines de minutes et que les commandes n’allaient pas se faire toutes seules, Wendy chassa son débat mental pour passer derrière le comptoir et remplir quelques pots de glace avant d’aller les servir. Lorsqu’elle revint vers Elsa, elle relança simplement la conversation de manière banale, souriante, curieuse de connaitre le parcours de la gérante. Mais une fois encore, la réponse d’Elsa la fit tiquer. Elle ne pouvait pas avoir juste mal entendu, ni mal interprété. Elle parlait d’être arrivée soudainement ici ; comme si elle était arrivée d’un autre monde du jour ou lendemain ? Avait-elle réellement traversé la même chose que Wendy, cinq ans et demi plus tôt ? La jeune femme l’observa soudainement comme si c’était la première fois qu’elle la voyait. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son visage parfait, son air de… princesse Disney ? Son prénom, Elsa, et le nom de la glacerie, maintenant qu’elle y pensait. Wendy avait regardé quelques films d’animation de la franchise depuis qu’elle avait su pour les personnages Disneys et même si elle était loin d’avoir tout rattrapé, la Reine des Neiges avait été l’un d’eux. Se pourrait-il qu’il s’agisse de la même Elsa ?

Consciente qu’elle devait paraitre pour une idiote à la regarder ainsi sans rien dire, Wendy décida de casser l’embarras en souriant simplement et en répondant doucement :

« Oh, je vois, bien sûr. Et bien, c’est une très bonne glacerie en tout cas, il n’y a qu’à voir le monde qu’elle attire. »

Les mots sonnaient faux, trahissaient la cacophonie assourdissante qui résonnait dans ses pensées. Il fallait qu’elle lui parle, qu’elle aborde le sujet avec elle, qu’elle lui explique tout, leur situation, leur malédiction, les chasseurs, les portails, qu’elle la mette au goût du jour et qu’elle l’implore de ne pas révéler trop de choses sur elle à n’importe qui, au cas où elle tomberait sur des personnes mal intentionnées. Mais pas ici, pas au beau milieu d’une foule de jeunes gens et de leurs oreilles possiblement indiscrètes. Il y avait encore beaucoup de tables à servir, mais leur discussion était devenue plus urgente. Les clients pouvaient attendre un peu, ce ne serait l’histoire que de quelques minutes. Tout en tentant de son mieux pour ne pas paraitre trop alarmée, Wendy demanda à toute vitesse :

« Est-ce que l’on pourrait prendre une petite pause, toi et moi, toutes les deux ? J’aimerais bien discuter avec toi plus amplement mais il y a tellement de monde ici, on ne s’entend plus. On peut aller dans un endroit plus tranquille ? »

Avec un peu de chance, elle comprendrait, et elles pourraient se parler sans risquer d’être écoutées.

Wendy attendit que la glacerie se vide, débarrassant les dernières tables. Elle jeta un rapide coup d’œil à l’horloge murale et vit qu’elle n’avait plus beaucoup de temps avant de devoir reprendre le travail à l’école primaire où elle faisait son stage. Mais elle n’avait pas le choix, il fallait qu’elle discute avec Elsa, maintenant qu’elle avait des doutes sur son identité, elle ne pouvait pas la laisser tomber ainsi. Ce n’était peut-être qu’une fausse alerte, mais elle ne voulait pas prendre de risque. Si elle aussi était un personnage Disney, quelqu’un devait tout lui expliquer, comme on l’avait fait pour elle. C’était plus important que tout ce qu’elle avait à faire cet après-midi. Alors, elle prit son téléphone et, par message, s’excusa auprès de son tuteur pour l’éventuel retard qu’elle aurait, prétextant une affaire urgente à régler. C’était très évasif, certes, mais c’était tout ce qu’elle pouvait dire. Quand elle rangea son portable dans son sac, Elsa revint vers elle pour lui proposer d’aller dans son appartement au-dessus. Wendy acquiesça et la suivit jusque chez elle. Lorsqu’elles furent toutes deux installées dans l’appartement, la jeune femme prit le temps de chercher ses mots avant de dire :

« Désolée si je t’ai fait peur, tout à l’heure, j’ai juste pensé qu’il fallait que l’on discute, seule à seule. Ce n’est rien de grave, ne t’en fais pas. Seulement, quand tu as parlé de venir d’un autre monde, tout à l’heure, et ça m’a mis la puce à l’oreille. »

Elle marqua une pause, guettant la réaction d’Elsa. Si elle se trompait et qu’elle était une personne simplement ordinaire, la jeune femme blonde risquait de la trouver un peu bizarre de parler de ça, voire carrément timbrée. Mais elle devait le lui dire, elle n’avait pas le choix. Alors elle se lança à l’eau et lui demanda :

« Est-ce que c’est vrai ? Tu viens vraiment d’un autre monde ? Tu t’es réveillée ici un matin sans comprendre où tu étais, n’est-ce pas ? Et maintenant, tu dois refaire ta vie ici, dans cette nouvelle réalité, sans savoir ce qui t’a mené là et sans pouvoir retourner d’où tu viens. Est-ce que c’est vrai ? »

Dans un sens, elle préfèrerait avoir raison, cela lui éviterait de passer pour une folle auprès d’une jeune fille avec qui elle avait pourtant bien sympathisé. Mais dans l’autre, cela lui faisait toujours un peu de peine. Car les gens qui venaient d’un film, comme elle, se retrouvaient alors dans un monde où ils ne reconnaissaient plus rien, plus personne, où ils avaient perdu tout de leur ancienne vie. Cette idée lui provoquait toujours un petit pincement au cœur, car cela lui rappelait la détresse et la tristesse qu’elle avait elle-même ressenti lorsqu’elle avait dû réaliser qu’elle ne reviendrait jamais plus chez elle et que, probablement, elle ne reverrait plus sa famille. Ses parents, mais surtout ses frères, lui manquaient comme jamais, et elle se rendait bien compte que c’était sans doute le cas pour la majorité des personnages Disneys qui avaient eux aussi débarqué soudainement dans cette nouvelle réalité. Plus particulièrement, et si elle avait raison, c’était aussi le cas pour Elsa. Alors, bien consciente de ce qu’elle avait dû traverser avant d’arriver jusque-là, elle lui sourit avec bienveillance, un sourire confiant, mais triste, un sourire plein de compassion, un sourire qui voulait dire Je te comprends, et quoi qu’il arrive, je suis là, avec toi. Et elle ne la laisserait pas seule dans sa détresse.

S’installant sur l’un des fauteuils du salon d’Elsa, Wendy secoua poliment la tête lorsque son hôte lui proposa à boire. Elle n’avait pas vraiment soif, et surtout elle devait lui parler en urgence de ce qu’il se passait, et elle ne voulait pas risquer qu’Elsa fasse tomber un verre sous le choc de ce qu’elle allait lui dire. Elle se rendit compte qu’elle avait bien fait, lorsqu’elle remarqua les muscles de la jeune femme se tendre en entendant son discours et ses questions. Elle avait l’air soudain nerveuse, voire même très anxieuse. Peut-être que Wendy aurait pu y aller plus doucement, mais au moins, c’était dit. C’était un sujet délicat mais important à aborder, et elle avait préféré ne pas tourner trop longtemps autour du pot. Pendant un instant, avant qu’Elsa ne lui réponde, la rouquine se demanda ce qu’elle pouvait être en train de penser. La prenait-elle pour une folle ? Se demandait-elle comment la chasser poliment de son appartement, ou s’il fallait qu’elle appelle la police ? Ou bien se disait-elle qu’elle avait raison, qu’elle avait tapé dans le mille, parce qu’effectivement, elle venait d’un monde Disney, comme elle ? Ses questions muettes eurent finalement leur réponse dans le bégaiement d’Elsa, un petit oui surpris suivi d’une nouvelle interrogation. Avec un sourire rassurant, Wendy hocha la tête et avoua :

« Oui. Il y a trois ans, maintenant, moi aussi je me suis retrouvée ici par hasard. Avant ça, je vivais à Londres aussi, dans un monde similaire à celui-ci, mais dans une époque bien différente. Je me suis longtemps demandé ce qui avait bien pu m’arriver, jusqu’à ce que je rencontre d’autres comme nous. Nous ne sommes pas seules, en vérité nous sommes plusieurs à avoir vécu ça. »

Elle espérait que son stress s’apaiserait avec cette phrase. Wendy comprenait parfaitement ce qu’avait pu vivre la jeune femme : se sentir seule, comme une étrangère dans un monde nouveau, elle était passée par là aussi. Heureusement, Elsa semblait avoir pris cette nouvelle vie en main, puisqu’elle avait au moins un toit au-dessus de sa tête, et elle était même propriétaire d’une glacerie. C’était rassurant de savoir qu’elle s’était remise sur pieds rapidement après son arrivée soudaine. C’était une battante, sans aucun doute. Malheureusement, Wendy n’avait pas terminé de tout lui raconter, et ce qui allait suivre serait sans doute moins plaisant à entendre. Prenant une longue inspiration, elle enchaîna :

« Le problème, c’est que nous ne pouvons pas révéler notre vraie identité à n’importe qui. Il faut généralement faire semblant d’appartenir à ce monde, d’être nés ici, tant que l’on n’est pas certain que la personne en face soit vraiment digne de confiance. Il existe des personnes mal intentionnées que l’on appelle des chasseurs et qui veulent nous faire du mal, alors on doit se cacher. C’est pour ça qu’il fallait que je te parle tout de suite lorsque tu m’as dit venir d’un autre monde. Je ne veux pas que tu tombes sur l’un d’eux sans le savoir. »

L’idée lui paraissait tellement injuste ; cacher son identité, se faire passer pour quelqu’un que l’on n’était pas, c’était vraiment réducteur. Mais c’était une chose que les personnages Disney étaient contraints de faire pour survivre. Comme si leur arrivée ici était de leur faute, comme si cela ne suffisait pas d’avoir été arraché à leur monde et à leur famille, il fallait aussi qu’on les traque, qu’on les punisse pour quelque chose sur laquelle ils n’avaient eu aucune influence. Quel était l’intérêt de ces chasseurs, pourquoi leur en voulaient-ils autant, Wendy ne le saurait sans doute jamais. Il fallait simplement vivre avec le risque d’en croiser un à chaque coin de rue. La gorge sèche d’avoir révélé autant d’informations, la jeune femme se tourna finalement vers Elsa et admit :

« Finalement, je te prendrais bien un verre d’eau, si cela ne te dérange pas. Tu devrais sans doute boire un peu aussi. »

Tout ce qu’elle avait dit n’était sans doute pas facile à entendre et elle pouvait concevoir qu’Elsa se sente un peu bouleversée après ça. Elle-même avait eu du mal à digérer, la première fois qu’on lui avait expliqué d’où elle venait. Ce n’était jamais une étape facile, mais c’était important d’en parler.

Alors qu’elle terminait ses explications sur leur arrivée dans ce monde, Wendy n’eut pas à attendre longtemps avant de connaître la réaction d’Elsa. Après tout ce qu’elle venait de lui dire, la jeune femme ne lui posa qu’une seule question, ce que la rouquine ne comprenait que trop bien. Anna, si elle se souvenait du film d’animation la Reine des Neiges, ce devait être sa sœur. Wendy avait perdu ses frères également, en atterrissant dans cette nouvelle époque, et ils ne cessaient de lui manquer, même après six ans. Elle gardait l’espoir de les revoir un jour malgré tout, peu importe comment, peut-être au détour d’une rue ou dans un café, elle les retrouverait. Alors elle comprenait parfaitement ce qu’Elsa devait ressentir en mentionnant sa sœur. Malheureusement, Wendy n’avait pas de réponse positive à lui apporter de ce côté-là. Désolée, elle secoua lentement la tête et lui répondit avec sincérité :

« Non, je suis désolée, je ne l’ai pas croisée. Mais je suis sûre que vous vous retrouverez, il n’y a qu’un nombre de lieux limité où elle peut apparaître dans ce monde. Si elle est parmi nous, elle ne doit pas être trop loin. Anna… c’est ta sœur, n’est-ce pas ? »

Wendy fut soulagée d’entendre qu’Elsa n’avait pas croisé de chasseurs depuis son arrivée ici, c’était effectivement une chance, que beaucoup d’autres n’ont pas eue. Elle espérait dans tous les cas que son discours lui permettrait d’être assez prudente à l’avenir pour continuer à leur échapper. Elle remercia la jeune femme d’un sourire quand celle-ci lui apporta un verre d’eau et prit le temps d’en boire quelques gorgées avant de reprendre :

« Nous sommes nombreux à avoir été tirés de notre monde pour apparaître dans celui-ci. Certains arrivent à Londres, comme nous, mais d’autres peuvent aussi être à Paris ou à New York. C’est toujours l’une de ces trois villes, même si je ne m’explique pas bien pourquoi. Nous avons des portails magiques qui permettent de rejoindre ces trois lieux quand on le souhaite et de manière instantanée, ce qui peut être bien pratique pour aller voir des proches ou même retrouver ceux que tu as perdus, comme ta soeur. Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé un moyen de rentrer chez nous, mais je ne perds pas espoir que nous y parviendrons un jour. »

Cela faisait beaucoup d’informations d’un coup, Wendy en était bien consciente, mais c’était nécessaire, et elle espérait réellement que sa dernière phrase lui permettrait de garder un peu d’optimisme quant à leur situation. C’était dans tous les cas ce qu’elle ressentait sincèrement, elle-même, de son côté. Elle reverrait sa famille, elle y croyait dur comme fer et ne comptait pas cesser d’y croire de sitôt.

En voyant la mine déçue affichée sur le visage d’Elsa, Wendy voulut tout faire pour la rassurer, lui dire qu’il ne fallait pas être triste, qu’elle retrouverait bientôt sa sœur et le reste de ses proches, mais comment lui dire tout cela sans mentir ? Elle ne savait pas de quoi le futur était fait, et qui savait combien de temps mettrait Anna à venir dans ce monde, si même elle devait y venir un jour ? Il n’y avait rien de scientifique à ce phénomène, pas de formule mathématiques pour comprendre comment ils pouvaient apparaître soudainement dans cette nouvelle réalité, ni anticiper qui serait le suivant à franchir la barrière entre les mondes. Elle voulait garder espoir, et espérait qu’Elsa le garde également, mais elle ne pouvait rien prévoir pour sûr. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était d’être là pour elle et lui dire de ne pas baisser les bras. Mais c’était généralement plus facile à dire qu’à faire. Elle hocha la tête lorsque la jeune reine lui demanda plus d’explications sur les endroits d’apparition des personnages et sur les portails. Il n’y avait plus de raisons d’être vague à présent, alors Wendy lui répondit :

« C’est cela, Londres, Paris ou New-York. Le portail de Londres se trouve dans une bibliothèque appelée La Plume Magique. Celui de Paris est situé dans un hôtel, celui de New-York dans le sous-sol d’un bar. Les portails sont toujours gardés par d’autres personnages Disneys, pour les protéger et s’assurer que des personnes mal intentionnées ne puissent pas tomber dessus par hasard. Si tu vas voir les gérants et que tu leur demandes pour Anna, ils auront peut-être de meilleures nouvelles à t’apporter que moi. Si elle est déjà passée par l’un ou l’autre des portails, ils le sauront sûrement. »

Ce n’était pas une certitude, car même si Anna était dans ce monde, rien ne prouvait qu’elle ait eu connaissance de ces portails et qu’elle y soit venue, mais ça restait une possibilité. Wendy ne demandait rien d’autre que de voir les deux sœurs se retrouver enfin, elle savait ce que c’était de manquer un proche pendant si longtemps. Elle-même donnerait beaucoup pour retrouver ses deux frères. Elle sourit doucement à la jeune femme et s’approcha d’elle avec sa bienveillance éternelle.

« En attendant, tu peux toujours compter sur moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Tu ne seras jamais seule, ici. Je pourrais te présenter des amis qui ont vécu les mêmes choses que nous. Un de mes plus proches amis tient une boutique de jouets à Londres, je suis sûre que vous vous entendrez bien. C’est important de pouvoir s’entraider, de se serrer les coudes. Et puis, un jour, on retrouvera ceux qui nous manquent. Je l’espère du fond du cœur. »

Elle était certaine qu’elles pourraient devenir bonnes amies, toutes les deux. Elsa avait l’air d’être une personne très sympathique et elle voulait qu’elle sache qu’elle serait toujours là pour l’aider, si jamais elle avait besoin de quelqu’un. Même si c’était pour lui prêter main forte à la glacerie, elle pourrait bien s’y faire.