La réponse du type en caleçon ne me plut pas du tout. Plus de nourriture ? S’il disait vrai, on allait vraiment être dans la merde. Je comptais particulièrement sur notre excursion dans le centre commercial, tous les autres petits commerces dans le voisinage avaient été entièrement pillés (la plupart par nous-mêmes) et cet endroit était notre dernière chance avant de devoir migrer ailleurs en quête de nourriture. J’avais misé beaucoup dessus, parce qu’il était assez grand et assez infesté par les morts pour potentiellement encore avoir quelques ressources. Néanmoins, je ne me fierais pas non plus aux paroles d’un parfait inconnu. Il pourrait très bien vouloir nous faire partir pour garder toute la nourriture pour lui. Qui ne l’aurait pas fait pour survivre ? Sa proposition de partage pourrait n’être qu’un geste pour nous convaincre. Dans tous les cas, nous ne tiendrions pas longtemps avec une conserve et une barre de céréales.

Cependant, quand l’homme me supplia de l’emmener avec lui, ma théorie paranoïaque tomba un peu à l’eau. Il n’aurait pas d’intérêt à nous suivre s’il restait vraiment de quoi se nourrir ici. Et le reste du groupe, alors ? Quelque chose me disait que je m’étais trompée, là aussi. Il ne semblait pas plus connaître Carl et Russell que moi. En fait, il avait l’air d’être complètement seul, livré à lui-même. Peut-être avait-il été séparé de son groupe, peut-être n’en avait-il jamais eu. Quoi qu’il en soit, je ressentais un peu d’empathie pour lui. Si je n’avais pas trouvé Mally, je ne savais pas si j’en serais là aujourd’hui.

Je réfléchissais à la réponse à lui donner (c’était une décision importante à prendre, on ne pouvait pas non plus emmener n’importe qui avec nous) quand les plaintes de Bruni à côté m’interpelèrent. Je m’approchai du petit groupe pour leur demander ce qu’il se passait. J’avais un mauvais pressentiment en découvrant leurs visages inquiets, mais j’étais loin de m’attendre à la réponse que me donna Mally. Quand elle nous révéla que la blessure de Jayden était en réalité une morsure, je sentis presque mon cœur me lâcher. Non, non. Ça ne pouvait pas être vrai, ça ne pouvait pas être possible. Pas Jayden, pas lui. Mally continuait de parler mais je voulais qu’elle se taise. Qu’elle s’arrête, qu’elle revienne en arrière. J’avais envie de hurler, mais je restais interdite, sous le choc de la révélation. Sa suggestion d’une balle dans la tête me glaça le sang. Tuer Jayden ? Il n’en était pas question. Je ne pouvais pas faire ça, je ne pouvais pas accepter ça.

Une part de moi savait que mon amie avait raison. C’était ainsi que le monde était désormais. Une fois mordu, il n’y avait pas d’autres choix possibles : soit on se transformait, soit on mourrait avant. C’était injuste mais c’était la seule solution et jusque-là, j’avais plus ou moins accepté cette idée. Pourtant, cette fois, c’était différent. Car c’était Jayden. C’était comme tuer son propre frère et je refusais de laisser cela arriver. Non, il devait sûrement y avoir un autre moyen. Jay ne pouvait pas mourir, pas alors qu’on venait seulement de le retrouver. Il y avait forcément quelque chose à faire pour le sauver. Quelque chose qui n’impliquait pas de lui coller un pistolet sur le crâne et de tirer sur la gâchette.

Je pensais un moment que Jayden allait s’énerver, lui aussi. Qu’il allait se révolter, nous supplier de ne pas le tuer, nous dire au moins qu’il ne voulait pas partir. Au contraire, il resta parfaitement calme, du moins à l’extérieur, répétant que ça irait. Dans un sens, c’était presque pire. J’aurais préféré le voir s’alarmer un peu plus. On venait de lui annoncer qu’il allait crever, ça ne pouvait pas ne rien lui faire, si ? Ce n’était pas le genre de nouvelle que l’on pouvait prendre à la légère. Fidèle à lui-même, il s’excusa puis prit son sac et me le tendit. Je l’écoutais me parler de ses CDs comme si j’en avais quelque chose à foutre. Sa voix me paraissait lointaine, irréelle, tant la situation était absurde. Pourquoi était-il si calme ? Il plaisantait comme si rien n’avait d’importance. Comme si sa vie n’avait pas d’importance. Qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Que j’allais rentrer dans son jeu, rire avec lui ? Non, non. C’était hors de question. Quand il répéta encore que ça allait aller, je répliquai enfin :

« Arrête. Arrête avec ça, putain. Ça va aller ? Tu réalises qu’on vient de proposer de te tirer une balle dans la tête ? Merde, on dirait presque que ça te fait rien de mourir ! Ça va pas aller Jay, ça ira pas, je veux pas que tu partes, putain. »

Mally venait de nous dire de partir devant, pour qu’elle s’en occupe elle-même, mais je n’arrivai pas à m’y résoudre. Je ne voulais pas tourner le dos pendant qu’elle lui tirait dessus. En fait, je ne voulais pas qu’elle lui tire dessus, tout court.

« On ne peut pas… Et s’il ne se transformait pas, finalement ? À quel point on est certain que c’est une morsure de zombie ? Ça pourrait pas être, je sais pas moi, un chien, par exemple ? Et s’il était pas vraiment infecté, alors quoi, on va juste le condamner pour rien ? On ne peut pas le tuer comme ça, Mally. »

Je savais dans le fond que mon discours n’était pas rationnel. Tous ceux qui étaient mordus devenaient zombie à leur tour, c’était la règle. Mais merde, pourquoi est-ce qu’il fallait que ce soit Jayden ?

Au fond de moi, je savais bien que c’était la fin pour lui. Je connaissais la chanson, je savais depuis longtemps qu’il n’y avait pas d’alternative. C’était mourir ou se transformer, c’était ainsi depuis le début de l’apocalypse, même si je n’aurais pas su le situer dans le temps. Pourtant, c’était comme si mon cerveau ne pouvait pas comprendre. Ne voulait pas comprendre. Refusant toute logique, il persistait à croire que Jayden pourrait survivre à sa morsure, si seulement on lui en laissait le choix. Je ne voulais pas qu’on le tue, pas comme ça, pas maintenant. Je l’avais à peine retrouvé. C’était mon ami le plus proche, mon frère de cœur, je ne pouvais pas le perdre de cette façon. Mais c’était trop tard. Et malgré tout, il fallait que je m’efforce de respecter sa décision. Que je le laisse partir de la manière dont il voulait partir, pour qu’il trouve la paix même dans sa mort. Je ne croyais pas vraiment aux âmes - cela dit, je n’avais pas non plus cru que les zombies puissent exister avant qu’ils ne détruisent notre monde tel qu’on l’avait connu, alors qui sait - mais c’était mon devoir de respecter sa volonté, même si cela ne me plaisait pas plus que cela.

C’était Mally qui aurait la charge de s’assurer qu’il ne devienne pas un monstre. Si la situation était déjà assez difficile à accepter pour moi, je n’imaginais même pas comment elle devait la vivre de son côté. Sans avoir de vraies preuves formelles, il me semblait que les deux s’étaient bien rapprochés et qu’ils étaient possiblement un peu plus que des simples amis. Or, elle allait devoir l’abattre. Je n’arrivais pas à me faire à cette idée. Il supplia Bruni de ne pas les suivre et le garçon hocha la tête. Je compris qu’il valait mieux que je reste avec lui, et que je laisse Mally et Jayden seuls jusqu’à ce que tout soit fini. Mais pas avant de lui dire au revoir. Il me promit qu’on se reverra là-haut. Moi, j’en étais beaucoup moins certaine, mais peu importe. Je le serrai dans mes bras une dernière fois et lui murmurai à travers mes larmes :

« Tu vas me manquer. Je t’aime, petit frère. »

Je les regardais s’éloigner, impuissante. Tout ce que je pouvais faire, c’était me retourner et rejoindre les autres avec Bruni. Je détestais l’idée de laisser Jayden et Mally derrière, mais je n’avais pas le choix. Je calai le sac de Jayden sur mon dos puis, d’une façon un peu maladroite, posai ma main sur l’épaule du jeune homme, espérant qu’il puisse marcher dans ma direction, mais il semblait ne pas vouloir bouger. Je ne pouvais pas le blâmer. Je ne le connaissais pas et je ne savais rien de la relation qui le liait à Jayden, mais j’avais pu déduire de leurs dernières discussions qu’ils étaient proches, eux aussi. Le fait de le perdre l’affectait tout autant. Je voulais parler, tenter de l’apaiser, de l’aider à avancer, mais je ne trouvais pas les mots. Quoi que je puisse dire, je n’y croirais pas moi-même, car j’étais dévastée moi aussi. Je ne pouvais pas lui dire que tout irait bien alors que j’étais convaincue du contraire. Malgré tout, nous ne pouvions pas rester là.

Un coup de feu retentit et je crus que mon cœur allait partir avec. Ce n’était qu’une impression : j’étais toujours bien là. Mais je savais que cela signifiait que Jayden ne l’était plus. Qu’il était mort. Tout était fini. J’avais envie d’exploser, mais Bruni ne m’en laissa pas le temps. Criant son nom, il se retourna et courut dans la direction du coup de feu. Non. Non. Jayden lui avait dit de ne pas revenir, de ne pas le voir ainsi, c’était sa dernière volonté. Il fallait que je le rattrape, avant que ce ne soit trop tard ; mais mes jambes étaient sur le point de lâcher. Mon corps tout entier ne me répondait plus, et pendant quelques secondes - trop de secondes - je restais là, paralysée par le choc et le désespoir, incapable de bouger. Il me fallut user d’un nouvel effort mental pour me sortir de là et, lâchant ma batte cloutée qui pesait dans mes mains, courut enfin sur les traces de Bruni.

Quand j’arrivai dans la pièce, il était déjà blotti contre le corps inerte de Jayden. La vision de mon ami au front ensanglanté me terrifia, mais ce n’était rien en comparaison de l’horreur que j’éprouvai en le voyant s’animer de nouveau. Il n’était pas mort - mais c’était pire que ça. Car ce n’était plus lui, contre qui Bruni avait posé sa tête ; c’était un monstre prêt à le dévorer. Le garçon s’en rendit compte et tenta de se libérer mais ce fut trop tard : avant que quiconque ne puisse réagir, le zombie qui avait pris possession du corps de mon petit frère le mordit au cou. Si personne n’intervenait, il finirait par tous nous bouffer, c’était certain. Alors, tandis que Bruni sombrait peu à peu dans l’agonie, je portai ma main au pistolet que j’avais rangé au dos de mon pantalon, le dégainai et tirai une première balle dans le front de Jayden. La seconde alla se loger dans celui de Bruni et les deux têtes retombèrent, inertes. C’était fini, pour de bon, cette fois. Je rangeai mon arme et me tournai finalement vers Mally puis, après m’être assurée qu’elle allait bien (physiquement, en tout cas), tendis une main vers elle.

« Viens. On ne peut pas rester là. On devrait rejoindre les autres. »

J’étais à deux doigts du malaise, mais serrer sa main dans la mienne m’aidait à tenir. J’avais besoin d’elle plus que jamais, besoin de quelqu’un sur qui compter ; tant qu’elle était là, je ne serais pas complètement seule. À deux, on pouvait encore se soutenir et ne pas sombrer. Je l’entraînai tant bien que mal dans les couloirs du centre commercial, dans la direction prise par Auguste un peu plus tôt. Nous le rejoignîmes finalement, dans ce qu’il avait appelé son repaire. Il nous avait dit que l’on pourrait manger là, mais honnêtement, après toutes ces émotions, je n’avais vraiment pas faim, et la nourriture était bien le dernier de mes soucis. Je me souvins de la question qu’il m’avait posée un peu plus tôt, à laquelle je n’avais jamais répondu, interrompue par la tragédie qui avait suivi. Il m’avait demandé de l’emmener avec nous. Peu importe où. Notre groupe était tant réduit désormais que nous aurions bien besoin de quelqu’un en plus. J’essuyai mes dernières larmes d’un revers de manches et, tentant de prendre une voix à peu près composée, lui annonçai finalement :

« Tu peux nous suivre. Rejoindre notre… groupe, enfin plutôt ce qu’il en reste. On ne peut pas rester longtemps ici de toute façon, avec tout le boucan qu’on a fait, on a dû attirer l’attention. Vaut mieux se barrer. » Je jetai un œil à ses bras et ses jambes découvertes. « Mais trouve-toi de quoi mieux te couvrir. Les zombies sont assez dangereux comme ça pour qu’on leur facilite la tâche. » Ma voix se brisa tandis que j’ajoutai : « On a eu assez de cas de morsures pour aujourd’hui. »

Mally s’inquiéta pour Kevin et j’approuvai d’un hochement de tête, la brune avait l’air un peu simple d’esprit mais il était hors de question de laisser quelqu’un d’autre mourir ici. Il fallait qu’on la retrouve et qu’on s’assure qu’elle soit saine et sauve. Je me demandais également s’il ne fallait pas tenter de trouver le reste du groupe dont elle avait parlé un peu plus tôt, Carl et… Russell ? La mort de Jayden m’avait affectée au plus haut point et j’avais besoin de me concentrer sur autre chose si je ne voulais pas sombrer dans la folie. Alors, il fallait aider cette Kevin.

Mais d’abord, je préférais m’assurer qu’Auguste ne se fasse pas mordre, lui aussi. C’était idiot de se balader avec autant de chaire découverte quand on savait que n’importe quel croc pouvait être fatal, et je n’avais pas envie que l’on se retrouve dans une situation similaire à celle que nous avions vécue tout à l’heure. L’homme expliqua que tout avait été pillé mais fut soudainement pris d’une idée et nous entraîna près d’une porte qu’il défonça d’un coup d’épaule. La première chose que j’y vis étaient des panneaux électriques et un Marshmallow monstre de câbles en tout genre ; difficile de comprendre ce qu’Auguste était venu chercher ici. Mais j’aperçus soudain des cartons sur le sol et réalisai que ceux-ci étaient remplis d’articles de magasins de toute sorte. Notre nouvel acolyte en tira quelques vêtements pour lui-même et nous incita à fouiller également. Il y avait tellement de choses là-dedans qu’il était difficile de savoir exactement quoi prendre - beaucoup de choses inutiles qui avaient perdu toute leur valeur après l’apocalypse - mais je finis par y dénicher quelque chose d’intéressant. Deux grenades en bon état se cachaient sous une pile de vêtements. Qui dans son bon sens gardait des grenades dans un carton de fringues, je ne le saurais jamais, mais ça pouvait toujours servir. Je les attrapai et les déposai délicatement dans la poche avant du sac de Jayden. En cas de nécessité, je ne devrais pas avoir trop de mal à les atteindre et les utiliser.

Notre petit groupe enfin prêt, nous repartons prudemment à la recherche de Kevin. Nous n’avions que de maigres indices sur l’endroit où elle pouvait se trouver mais c’était toujours un bon début. Nous marchâmes donc pendant quelques minutes. Je restai sur mes gardes, essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas attirer de visiteurs indésirables sur nous et aussi pour porter une oreille attentive sur ce qu’il se passait autour. J’entendais des râles au loin et quelques bruits d’objets qui tombaient. Les zombies n’étaient pas loin. Encore une raison de plus pour ne pas traîner, où nous serions bientôt coincés ici, encerclés par une horde de monstres qui n’attendaient que de nous bouffer. Je priai pour que l’on trouve la jeune femme rapidement.

Je sursautai malgré moi quand elle sortit brusquement de derrière un aquarium. Elle nous accueillit avec enthousiasme et quand elle nous présenta « Carl et Russell », je mis quelques secondes à comprendre qu’elle désignait les deux poissons qui nageaient dans l’aquarium à côté d’elle. Je fus prise d’un rire nerveux que je ne parvenais pas à contrôler. Je n’avais absolument pas envie de rire, je ne trouvais même pas la situation un peu comique, j’étais triste, en colère, fatiguée, tendue, à deux doigts de tout envoyer en l’air et de tout massacrer ; mais apparemment la seule chose que mon cerveau avait trouvé à faire pour réagir à tout cela était le rire. Cela ne s’arrangea pas quand Kevin nous indiqua de la suivre et se mit à crier « Balai » dans tout le centre. Je jetai un oeil en direction de Mally.

« Elle est en train de chercher un balai ? Elle est complètement timbrée, en fait. On la laisse et on se casse d’ici ? »

Mais elle allait attirer tous les monstres du coin en continuant de crier ainsi et je n’étais pas sûre de vouloir cela sur ma conscience. Je me demandais depuis combien de temps elle était restée seule dans ce centre commercial désert pour tourner folle au point de s’inventer des amis imaginaires comme des poissons et un balai. Elle me faisait penser un peu à Tom Hanks dans Seul au monde, avec Wilson le ballon. À ma grande surprise cependant, ce ne fut pas un balai qu’elle trouva mais une vraie personne affalée sur le sol, l’air malade mais vivante. Je courus pour m’approcher d’elle à mon tour tandis que Kevin lui demandait comment elle allait. Celle-ci parvint à la relever et la fille se présenta sous le nom de Balais. J’eus encore beaucoup de mal à retenir un nouveau rire nerveux.

Carl et Russell étaient des poissons mais Balais était une vraie personne. C’était à n’y rien comprendre. Je ne voyais pas non plus le rapport avec les méchantes souris mais je n’étais plus à cela près, alors je ne relevai pas. La discussion revint sur le sujet de la nourriture et, même si je n’avais pas mangé depuis un bon moment, après tout ce que j’avais vu aujourd’hui, la simple idée d’avaler quelque chose actuellement me donnait des envies de vomir. Balais nous dit ensuite qu’elle avait entendu des feux d’artifices. Je n’avais pas envie de jouer à faire semblant alors je répondis très brusquement :

« Ce n’était pas des feux d’artifices, c’était des coups de feu. Mais t’inquiète, à l’allure où vont les choses, on devrait pouvoir en refaire bientôt. Avec tout le boucan qu’on vient de foutre c’est sûr qu’on est grillés maintenant, donc on sera reparti pour un tour. Youpi. »

Ce n’était pas que j’avais envie d’être méchante avec elles mais les voir aussi innocentes et heureuses alors que c’était l’enfer tout autour d’elles me mettait sur les nerfs. Et puis, je n’avais pas dit ça pour rien, ce n’était qu’une question de temps pour qu’on ne se fasse attaquer de nouveau. Il fallait que tout le monde se tienne prêt pour quand cela arriverait ; car au loin, les râles se rapprochaient déjà dangereusement.

Je ne sais pas où j’en serais s’il n’y avait pas eu Mally avec moi. Voir mon ami le plus proche devenir l’une de ces créatures et devoir lui planter une balle entre les deux yeux m’avait complètement bouleversée et j’avais envie d’exploser de rage et de tristesse. Mais la main de Mally sur la mienne me rappela que je n’étais pas seule et cela me calma un peu. Je savais bien que ma colère ne visait pas les bonnes personnes et que tout ça n’était en rien de la faute de deux jeunes femmes peu importe à quel point elles étaient déconnectées de la réalité. Je me tus donc et n’ajoutai rien de plus, me contentant de parcourir les rayons en silence comme l’avait demandé mon amie.

J’étais en train de ranger deux bouteilles d’eau dans mon sac quand je les entendis. Les bruits de pas se faisaient de plus en plus proche, les râles aussi. Les zombies n’étaient plus loin et si nous ne nous dépêchions pas un peu, nous étions bons pour finir encerclés dans ce magasin sans issue possible. Je n’étais pas la seule à m’en rendre compte : Auguste s’approcha pour nous dire de nous cacher. Dans l’idée, j’étais d’accord, mais où ? Il n’y avait pas de cachette ici assez bonne pour nous mettre à l’abri des morts éternellement. La meilleure solution était de partir d’ici avant qu’ils ne nous retrouvent.

Sans un bruit, je me déplaçais parmi les rayons, gardant toujours un œil sur les entrées du magasin et m’assurant de pouvoir me dissimuler derrière quelque chose si jamais un ennemi venait à passer les portes. Je ne faisais donc pas bien attention où je mettais les pieds et lâchai malgré moi un “Merde” étouffé lorsque je butais sur quelque chose. Ou plutôt quelqu’un, comme je le compris en baissant le regard pour apercevoir une paire de jambes immobiles. Je remontai les yeux sur le reste du corps pour reconnaître Kevin, inerte avec un paquet de Doritos. Sous le choc, je dus porter une main à ma bouche pour ne pas crier, puis m’abaissai vers elle pour la secouer, dans l’espoir qu’elle se soit simplement évanouie. Je compris en prenant son pouls que ce n’était pas le cas. Je supposai avec le paquet de chips qu’elle avait dû s’étouffer toute seule. Les larmes aux yeux, je me redressai et partis en quête de Mally pour lui annoncer la nouvelle et savoir quoi en faire. Balais et elle avaient semblé si proches, je n’osais pas imaginer comment cette dernière réagirait en apprenant, alors je préférais mettre mon amie au courant en premier lieu.

Je fus à peine arrivée jusqu’à elle qu’un gros bruit de craquement de l’autre côté du magasin me fit sursauter. Sur mes gardes, je me rapprochais de la source et vis Balais avec une planche dans les mains. Elle tentait de libérer l’accès aux fenêtres, ce qui n’était pas une mauvaise idée, mais c’était assez bruyant pour alerter tous les zombies environnants. D’ailleurs, en suivant le signe de main de la jeune femme, je réalisai que c’était déjà le cas. Je cherchais ma batte mais me souvins que je l’avais laissée en suivant Bruni tout à l’heure et que je ne l’avais pas récupérée. Merde. Improvisant, j’attrapai la planche arrachée par Balais et, la soulevant du mieux que je pouvais malgré son poids, la balançai le plus fort possible contre le zombie qui s’éclata contre le mur. Il n’était pas mort, mais cela nous donnerait un peu plus de temps pour l’achever et s’enfuir de là - du moins c’était ce que je pensais avant de tourner la tête et m’apercevoir qu’il n’était pas seul. Un groupe de zombies l’avait suivi et envahissait déjà le magasin. Quelle conne, avec la découverte du corps de Kevin, je n’avais plus pensé à surveiller.

Je portais une main sur le pistolet à ma ceinture - au point où on en était, on était plus à un bruit près désormais - mais les zombies commençaient à se faire trop nombreux et je n’avais pas assez de munitions ni assez de temps pour les éliminer un à un. Je changeai donc de plan et, me retournant pour aviser la fenêtre à moitié libérer de ses planches par Balais, criait à l’attention des autres :

« Écartez-vous !! »

Je saisis une des grenades trouvées dans le carton d’Auguste un peu plus tôt, la dégoupillai et, après m’être assurée qu’il n’y avait pas de vivants sur ma ligne de tir, la lançai contre la fenêtre. Elle explosa dans un fracas de verre et de bois, ouvrant le passage pour nous permettre de fuir de là. Le seul problème qui restait, était les zombies sur nos pas. Utilisant les dernières poignées de secondes avant qu’ils ne nous rattrapent, j’expliquai rapidement à Mally :

« Je vais faire diversion. Sors le groupe d’ici, mettez-vous dans un endroit sûr. Je vous rejoins tout à l’heure. Oh, et…  » j’hésitai une micro-seconde avant d’ajouter en baissant la voix : « N’attends pas Kevin. »

Je lui adresse un regard entendu, plein de tristesse, espérant qu’elle comprenne. Je ne voulais pas être explicite devant Balais, j’avais besoin qu’elle coopère au moins jusqu’à ce qu’elle soit en sécurité. Je sortis ma deuxième grenade et m’éloignai du groupe en criant :

« Eh, les zombies ! Ça vous dit de la viande fraîche ? Venez me chercher ! »

Je courus de l’autre côté, me frayant un passage hors du magasin, faisant le plus de bruit possible pour attirer les morts vers moi et les éloigner des autres. Au fond, je crois que je savais déjà que je n’allais pas m’en sortir. Quand j’avais annoncé à Mally que je les rejoindrais plus tard, mes mots avaient sonné faux. Je ne voulais juste pas qu’elle me retienne, car nous n’avions pas eu assez de temps pour débattre. Il fallait qu’ils partent et qu’ils soient en sécurité, tous les trois. Garder en vie le plus de monde possible pour ne pas laisser la mort triompher.

Je guidai la foule de zombies à travers les couloirs du magasin, m’assurant de toujours faire du bruit pour qu’ils ne détournent pas leur attention de moi et qu’ils ne tentent pas de retourner voir les autres. D’autres se rajoutèrent à la troupe au fur et à mesure et je me retrouvai bientôt encerclée. Alors je sus que le moment était arrivé. J’arrêtai ma course, les yeux rouges, le cœur battant, immobile tandis que les corps puants se rapprochaient de moi pour me dévorer toute entière. Mais bien sûr, je ne comptais pas les laisser faire. La grenade toujours dans les mains, je tirai sur la goupille et attendis.

« See you all in hell. »

Et alors que leurs mâchoires décharnées se refermaient partout sur ma peau…

BOOM.