Je ne me souviens pas des cris ou de l’agitation qui nous entoure soudainement, la vieille femme et moi. Je me souviens juste du soulagement amer que j’espérais ressentir en mordant la pomme, suivi presque aussitot du sentiment de trahison lorsqu’il s’avère que la vieille femme m’a dupée. Une fois encore. Au lieu de doux rêves, d’oubli et de fins heureuses, il n’y a que l'anxiété de l’abandon et la crainte d’un danger imminent, noyé dans un voile de ténèbres impénétrables.

J’ai envie de hurler, mais mon corps ne répond déjà plus et je chute. Mon cœur se lève à la différence de gravité, et je sais qu’en un instant je suis à terre. Les sons qui étaient si clairs il y a un instant se font plus distants, moins distincts.

Tout ça n'a même pas pris une minute.

Il y a un moment, j'étais torturée par l'idée d’abandonner Robert, laisser tomber la moindre chance de le revoir un jour simplement parce que le voir était suffisant, et en même temps ne le serait jamais assez. Je souffrais à l'idée de ne plus revoir Morgan, harcelée par mes sentiments mais persuadée que c'était ce que je devais faire. Parce qu’Edward m’attendait. Parce que Robert appartenait à Nancy. Parce que pour la première fois de ma vie, je n'étais plus sûre de ce que mon coeur désirait vraiment, ou de si je possédais le courage de le poursuivre. Mais la vieille femme m’avait séduite, elle avait dit tout ce qu’il fallait pour me convaincre et l’espace d’un instant, je me suis laissée emporter par la promesse d’un renouveau que j’espérais tant.  Mais la vieille femme avait menti. J’aurais dû me douter de quelque chose, elle m’a déjà trompée par le passé après tout mais son offre était si tentante. Et la douleur en posant les yeux sur Robert et Nancy, si foudroyante. Même si l'idée d’oublier Morgan me brisait le cœur un peu plus que l'idée de ne plus jamais songer à son père, je voulais juste oublier la peine, oublier la confusion. Je n’avais jamais eu à ressentir quoi que ce soit de tel en Andalasia et mon coeur avait hâte de retrouver la simplicité de mes origines. Loin d’un New Yorkais et sa vie ô combien compliquée. Je voulais espérer plonger mon regard dans celui d’Edward et ressentir le bonheur que j'étais supposée éprouver, sans voir par-dessus ses traits l’ombre de l'homme qu’il ne serait jamais.

Please. Don’t leave me.

Mon corps se fait lourd, mais l'écho des mots me raccroche un peu plus à la réalité. Les ténèbres se font moins pesantes, la fatigue moins entraînante. Et puis vint la lumière. Un sentiment de liberté effaçant la lourdeur du mal qui s'était emparé de moi, le bref contact de ses lèvres contre les miennes ravivant une magie que beaucoup pensaient superflue, mais dans laquelle je croyais de tout mon cœur. Minuit sonne, mes sens reviennent et lorsque mes yeux s’ouvrent et se perdent dans ceux de Robert, je sais.  

La vieille femme, Narissa dévoilée, hurle de rage et Robert ne perds pas de temps a se tenir entre elle et moi, L’ancienne reine ricane et se moque, récite une incantation avant de planter l’épée d’Edward au sol et un chaos d’un tout autre genre s’ensuit...

ever after

Giselle? Il essaie d'attirer mon attention pendant quelques instants, doucement, avant que je ne réalise qu'il s'adresse à moi. Robert est doux, attentionné, et je regrette presque que mon rêve ne l'ait réveillé également. Je suis assise sur le côté de notre lit, mes pieds nu frolant le parquet juste assez pour l'ancrer à la réalité, même si mon regard est perdu sur l’horizon que je vois à travers notre fenêtre. Mon cœur bat toujours la chamade, mon front porte toujours la sueur qu’a amené le mauvais rêve, et Robert est à demi allongé derrière moi, ses lèvres sur mon omoplate et sa main caressant doucement mon bras pour m’aider à revenir à lui. Un autre cauchemar?

Il est infiniment patient avec moi et je m'émerveille à nouveau de la chance que j’ai de l’avoir dans ma vie lorsque je hoche doucement la tête en réponse. Les cauchemars sont plus fréquents, dernièrement, surtout depuis l’exode progressif de créatures fantastiques il y a quelques années. Je sais qu’il est inquiet de ce que cela pouvait bien signifier, surtout lorsque je lui ai annoncé avoir la très nette impression que la Reine avait quelque chose avoir avec tout ça; il ne l’a pas cru immédiatement, bien sur, mais au fil des années, et au fil des événements étranges frappant notre unique communauté, il ne peut que se poser la question ainsi. Et ça lui fait peur.

Aussi reconnaissante qu’une part de moi puisse être vis à vis de Narissa de m’avoir envoyée dans ce monde, me permettant ainsi de faire la rencontre de l’homme qui est désormais mon époux, ou de son enfant qui est désormais ma fille, il m'était physiquement impossible d’oublier les événements du Bal de 2007. Narissa était une femme hargneuse, et n’avait certainement pas le moindre souci à tuer qui que ce soit. Je savais qu’elle devait songer à moi au moins aussi souvent que je pouvais penser à elle. Est=ce que tu veux en parler? Robert Philip, toujours prêt à aider comme il le peut, même quand il n’y est pas obligé. Je me tourne vers lui et un éclat lumineux capte mon attention, baissant mon regard sur l’anneau qui reflète la lumière de chevet, anneau trouvant son sosie lorsque je noue ma main a la sienne et observe songeuse les sceaux de notre union. Au cœur de la nuit, je lui avoue mon pressentiment, en plus de quelques événements s'étant déroulés dernièrement avec un dernier flot d’arrivants. Je ne comprenais que trop bien le sentiment qu’on pouvait avoir à débarquer dans un monde étrange et si différent du sien, et je faisais tout mon possible pour aider même s’il n'était pas nécessairement d’accord avec mon implication. Robert n’avait pas oublié non plus…

J’ai juste l’impression que quelque chose de massif se prépare et je ne vais rien pouvoir y faire. J’avais toujours fait confiance à mes pressentiments oniriques (n’avais-je pas rêvé de Robert avant même de le connaître, après tout?), et entre les souvenirs de 2007 et mon esprit accumulant une montagne d’informations moins rassurantes les unes que les autres, je n'étais pas surprise de ne pas avoir le sommeil tranquille. Robert, lui, s'inquiétait de l'intensité de mes épisodes, anxieux de comprendre ce qui pourrait bien affecter à ce point une personne d’ordinaire si enjouée. J’aimerais lui répondre, le rassurer, lui chanter une ballade pleine d’espoir comme le numéro musical que j’avais concocté en plein Central Park, mais les mots me manquent. Nous étions deux à nous inquiéter pour l’autre, pour diverses raisons et pour une fois nous ne trouvons du réconfort que dans le silence de l’autre. Lui, probablement parce qu’il craint d’y penser, moi parce que je sais que je n’ai pas envie de lui mentir en disant que j’allais arrêter de poser des questions.

Le silence nous convient bien.

Il se place confortablement contre le dossier du lit, et ouvre ses bras dans une invitation que je n’ai encore jamais pu refuser, après toutes ces années. Un léger rire s'échappa de mes lèvres, et je posa ma tête contre son cœur, la main sur son abdomen, savourant la sécurité qu’il m’offrait sans faire quoi que ce soit. Doucement, mais sûrement, l'anxiété lâche son emprise sur ma personne et je ferme les yeux au son du rire de Robert lorsqu’il réalise que je me suis mise à chantonner à nouveau.

Peu importe l’avenir, certaines choses ne changeront probablement jamais…