Wendy n’eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que déjà la créature détalait, l’emportant avec elle parmi les arbres enneigés. La vitesse et l’effroi lui coupèrent le souffle, si bien qu’elle en fut incapable de crier - sa peur resta coincée au fond de sa gorge tandis que le paysage défilait malgré elle devant ses yeux terrifiés. Où l’emmenait-elle ? À Halloween Town, comme l’avaient prédit Jack et Sally ? Bizarrement, la jeune femme en doutait. Son instinct lui disait qu’elle n’allait pas visiter la ville chérie du jeune couple de sitôt - en fait, il lui hurlait même qu’elle risquait bien de ne plus jamais pouvoir visiter de ville du tout si elle ne se libérait pas de l’étreinte de la créature assez vite. Mais pour cela, encore fallait-il qu’elle commence par se libérer de sa propre paralysie.

Ce fut un caillou qui la sortit de sa stupeur. Pendant un instant, Wendy crut qu’on l’attaquait, que le monstre l’avait amené parmi les siens et qu’ils s’en donnaient tous à cœur joie pour la viser avec tout ce qu’ils pourraient trouver par terre. D’ailleurs, la première chose qu’elle vit fut une seconde créature de la même espèce, ce qui commençait à rendre sa théorie plausible… jusqu’à ce qu’elle remarque Peter à côté, le bras tendu vers elle après avoir lancé son projectile. C’était donc lui qui l’attaquait à coup de cailloux ? Les accusations de Sally vinrent confirmer ses pensées. Très contrariée à l’idée d’être prise pour cible, Wendy réalisa cependant deux choses : la première était qu’elle était toujours vivante et qu’elle avait même retrouvé l’ensemble de ses amis, ce qui était bien, et la seconde était qu’elle était enfin sortie de sa paralysie et qu’elle était désormais capable de se défendre, ce qui était encore mieux. Sally fit diversion avec le bras de Jack à côté et elle en profita pour crier à son ravisseur :

« Hé ho, monsieur le renne ! Pourriez-vous me déposer au sol, s’il vous plaît ? Ce ne sont pas des manières, d’enlever une jeune femme de cette façon ! »

Mais le renne - ce n’était définitivement pas un renne - ne l’écoutait même pas, absorbé par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Et quel spectacle ! La seconde créature s’était jetée sur Sally pour lui arracher l’un de ses bras, laissant la pauvre poupée s’effondrer dans son propre sang. Voyant cela, Wendy voulut hurler une nouvelle fois, horrifiée, mais tout ce qu’elle parvint à échapper fut un simple son muet, comme si ses cordes vocales lui avaient été dérobées. Heureusement, Jack était là pour venir aux soins de sa compagne et, après avoir stoppé son hémorragie, partit disputer le monstre comme l’on disputait un enfant qui venait de faire une bêtise. Quoique, un chien aurait été une meilleure analogie, puisque aussitôt le squelette s’arracha l’une de ses propres côtes pour attirer les monstres ailleurs. Dans sa hâte, celui qui tenait Wendy lâcha cette dernière qui s’écrasa comme une pierre au sol, la tête dans la neige. Outch. Enfin, au moins, elle était libérée. Elle se releva douloureusement en s’époussetant, pas mécontente d’être de nouveau libre de ses mouvements. Autre bonne nouvelle, les bras de Jack et Sally étaient désormais à leur portée. Malheureusement, Gram, qui venaient de les récupérer, glissa sur la neige et dévala une pente en roulant, ce qui le transforma bien vite en boule de neige géante. Wendy soupira : ils n’auraient donc jamais de répit.

Elle courut donc à la suite de la boule de neige, espérant pouvoir délivrer Gram avant que celui-ci n’étouffe entièrement. Mais la pente était raide et elle sentit qu’elle perdait rapidement le contrôle de sa course, alors avant de se laisser avoir par les lois de la gravité, elle tenta le tout pour le tout : d’un bond, elle se jeta sur la boule de neige et s’y accrocha autant qu’elle put, roulant avec elle depuis l’extérieur. C’était une expérience très désagréable, encore pire que de se faire enlever par un renne monstrueux et squelettique, car elle sentait tout le poids de la neige et de Gram combinés chaque fois qu’elle passait sur le sol et qu’elle devait chaque fois secouer la tête lorsqu’elle en sortait pour ne pas étouffer dans la neige. Bien sûr, elle ne vit pas Am près d’eux se jeter littéralement dans la gueule du loup, trop occupée à survivre à sa propre torture. Elle soupira de soulagement quand cette descente interminable s’arrêta enfin et qu’ils furent de nouveau stable sur le sol. Elle se sentait sonnée et complètement écrabouillée mais, par miracle, elle parvint à se relever sans trop sentir d’os brisés dans son corps, ce qui devait certainement signifier que tout allait bien. Mais elle n’avait pas de temps à perdre à s’auto-ausculter, elle devait à tout prix sortir Gram de là. Sans attendre plus longtemps, elle enfonça son bras dans la neige pour la casser et la retirer, répétant cette opération plusieurs fois, aussi vite que possible.

« Gram, tu m’entends ? Tout va bien, là dedans ? Ne t’inquiète pas, ça va aller, je vais te sortir de là ! »

Pourvu que son corps meurtri par toutes ces épreuves ne la lâche pas avant. Et qu’aucun monstre ne revienne la capturer entre-temps.

Malgré le froid, malgré la fatigue, Wendy refusait de faiblir. Au contraire, elle accéléra la cadence pour tenter de sortir Gram de la boule de neige avant que tout ne soit trop tard. S’il mourrait parce qu’elle n’avait pas été assez rapide, elle ne se le pardonnerait jamais. Elle ne pourrait pas supporter une telle défaite. Alors quand elle finit par apercevoir les mains du garçon qui s’activaient elles aussi pour se dégager de la neige, elle se sentit soulagée. Il était en vie. Il allait s’en sortir. Elle usa de ses dernières forces pour le libérer et il s’agrippa à elle en tremblant. Ses mains étaient glacées, ses lèvres violacées par le froid, et Wendy se rendit compte qu’il n’était pas encore sorti d’affaire. Il prononça une phrase qui n’avait pas beaucoup de sens à propos de son masque, que la jeune femme ne releva pas. À la place, elle retira son propre manteau pour le lui donner dans une tentative de le réchauffer un peu plus. Pourvu que ce soit suffisant.

« Ça va aller, Gram. On va rentrer au chalet, tout ira bien. »

Mais il était toujours froid. Il tomba sur elle et elle le rattrapa dans ses bras, il ne bougeait même plus. Il était encore vivant, mais pour combien de temps ? Non, non. Elle ne pouvait pas accepter de le voir mourir dans ses bras, elle devait faire quelque chose, elle devait le sauver. Elle cherchait un moyen de le ramener au chaud à l’intérieur quand, d’une voix tremblante, coupée par l’air glacial, il expira ses dernières paroles. Il avait choisi d’utiliser son dernier souffle pour lui demander d’arrêter de voler des bonbons. C’était sa dernière volonté, mais il avait sûrement dû la confondre avec quelqu’un d’autre, car elle n’avait jamais volé de bonbons à personne. Mais ça n’était pas important. L’important, c’était qu’il ne respirait plus.

« Non ! Non, Gram, je t’en prie ! Je t’en prie, résiste ! Réveille-toi ! »

Mais il n’y avait plus rien à faire. Il était mort. Wendy sentit des larmes rouler sur sa joue qui se cristallisèrent par le froid avant même d’atteindre le bas de son visage. Elle ne pouvait pas rester là ou bien elle subirait le même sort que Gram. À contre-coeur, elle reprit son manteau puis porta le garçon dans ses bras pour l’amener au chalet. Elle ne pouvait décemment pas laisser son cadavre dans la neige au milieu de nulle part. Quand la tempête aurait cessé et que l’électricité serait revenue, elle appellerait les secours et ceux-ci pourraient prendre le corps pour qu’ils lui offrent un enterrement respectable. Mais d’abord, elle devait revenir au chalet. Elle n’avait pas vu le reste du groupe mais espérait qu’ils soient tous rentrés sains et saufs. Une victime était déjà de trop.

Elle avança aussi vite qu’elle le put dans la neige, malgré le poids du corps qu’elle traînait dans ses bras. Elle aurait pensé qu’il deviendrait plus lourd au fur et à mesure qu’il durcirait, mais étonnamment, elle le trouva rapidement plus léger qu’au départ. Elle s’arrêta net en poussant un cri d’horreur quand elle comprit pourquoi. Le corps avait disparu pour ne laisser place qu’au squelette du garçon ; elle ne portait désormais plus qu’un grand tas d’ossements. La surprise les lui fit lâcher au sol, mais elle le regretta immédiatement. Jack était un squelette lui aussi et ce n’était pas pour autant qu’elle l’aurait abandonné si ça avait été lui à la place de Gram. Avec une nouvelle détermination, elle saisit donc l’un des deux os du bras du garçon pour le reprendre avec elle. Mais un grondement bestial derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna d’un bond pour apercevoir le monstre qui la regardait - ou plutôt qui regardait l’os de Gram - avec beaucoup d’intérêt. Elle se souvint de la méthode de Jack de lancer un os au loin pour lui donner une distraction, mais elle ne pouvait tout de même pas faire ça avec les bras de Gram, ce ne serait pas respectueux. Alors, quand la grande créature se lança vers elle, Wendy fit ce qu’il y avait de mieux à faire : elle reprit les ossements de Gram dans ses bras et courut à toute vitesse vers l’entrée du chalet.

À l’intérieur, elle serait saine et sauve. Du moins, c’était ce qu’elle voulait croire. Par la fenêtre, elle vit Peter tranquillement en train de jouer, comme à son habitude, ce qui la rassura. Au moins, son compagnon d’aventure préféré allait bien ; avec un peu de chance, il n’était pas le seul. Elle fila vers la porte d’entrée, déposa le squelette devant - elle pouvait le laisser là, au moins, quand les secours arriveraient, elle saurait où il était - et tenta d’ouvrir, mais bien évidemment c’était verrouillé. Elle entendit le monstre se rapprocher dangereusement, trop dangereusement. Alors, puisant dans toute la force qu’elle n’avait plus, elle frappa contre la porte aussi fort qu’elle le put.

« Au secours ! Ouvrez-moi ! Peter, à l’aide ! PETER ! »

Mais elle sentit la créature dans son dos.
C’était trop tard.