Le grincement des machines à sous, le bruit des billes claquant contre les roulettes jusqu’à s’arrêter, le doux  froissement des cartes qui se mélangent les unes entre les autres mais aussi et surtout les cris, les soupirs, l’agacement ou encore l’énervement des joueurs étaient autant de bonnes raisons pour se rendre dans un casino. Voir l’être humain dans ce qu’il y a de plus malsain en lui, c’était une vision très amusante pour le regard de pitié de Tiger. Il n’y avait rien de plus amusant à ses yeux que de voir des Hommes devenir des moins que rien, des loques ni plus ni moins. Le casino, c’était le lieu de toutes les dépravations humaines et donc un lieu dans lequel il était aisé de trouver de l’amusant, du moins pour quelqu’un de la tempe de Shere Khan. Observer la déchéance, lente et agonisante de ces personnes, c’était un passe-temps qu’il avait adopté depuis peu. En ce lieu, il retrouvait ce qu’il avait perdu en quittant sa jungle natale : une certaine fatalité. Dans les casinos, la défaite était inéluctable, sinon ce genre d’endroit n’existerait pas. On ne jouait jamais le hasard lorsqu’il était question d’argent et clairement, pour tenir ce genre de lieu, il fallait être quelqu’un d’une sacré trempe. Quelqu’un avec de l’ambition, quelqu’un avec des envies mais surtout être quelqu’un qui souhaitait être à la tête d’un empire. Car c’est en ce lieu, nappé de ce rouge sanglant, que les âmes les plus pures devenaient elles aussi les plus abjectes et dépravées. Le casino mais surtout l’argent, avait le pouvoir d’asservir n’importe qui.

C’est avec un grand sourire, montrant tout le plaisir qu’il prenait à déambuler dans les grands espaces de ce casino, que Tiger pensait à cela. Il en venait même à se dire qu’il adorerait rencontrer la personne à la tête de ce lieu des plus idyllique. Un tremblement de tout son corps venait de faire sortir Tiger de ses pensées, un tremblement provoqué par le fait qu’il venait tout juste de se faire bousculer par l’une des esclaves de ce lieu. Oui, c’était ainsi qu’il appelait les clients, des esclaves. Des esclaves asservis, leurs maîtres étant Argent et Avarice. Il n’avait d’ailleurs même pas eu le temps de grommeler quoi que ce soit que la jeune fanfaronne était déjà bien loin de lui, courant dans les grandes allées du casino. Quelle genre d’idiote pouvait courir dans les allées d’un casino ? Cela allait forcément attiser les foudres et la colère de certains. D’ailleurs des cris se faisaient déjà entendre dans le brouhaha incessant, il était difficile de comprendre les mots et les insultes qui fusaient dans tous les sens à l’encontre de cet aliénée. Cette soirée allait devenir intéressante, le grabuge n’allait pas tarder à faire une apparition tonitruante. Et Tiger, le grabuge, c’était son affaire. Il adorait ça, au point de le provoquer par lui-même, simplement dans le but de provoquer son propre amusement. Amusement dont il avait d’ailleurs bien besoin ce soir, s’il était venu ici à New-York dans ce casino, c’était pour se changer les idées et penser à autre chose que sa chasse, qui d’ailleurs il fallait bien le dire, était au point mort.

Qui aurait crû à ce moment précis, qu’une déception allait se transformer une satisfaction inattendues ? La déception était elle, venue lorsque notre sprinteuse du dimanche était venue s’étaler au sol, de tout son long et dans un bruit assourdissant, à cause d’un simple croche-pattes. L’amusement était-il déjà terminé ? Un sentiment de déception grandissant était en train de prendre possession de Tiger mais ce n’était sans compter sur son regard qui se posait sur le pied de la personne qui venait de provoquer cette chute, un pied qui venait dans un geste des plus fluide, maîtrisé mais surtout empli de dédain, faire tomber la bille des mains de notre inconsciente du moment. C’est à cet instant précis que la déception c’était transformé en satisfaction intense. Le regard de Tiger était remonté le long de la jambe, terminant sa course sur le visage de cette femme. Une femme comme il n’en avait encore jamais vu. Une femme sublime, une femme avec de la poigne et une femme avec une force de caractère certaine. Un enchantement double, mis à part la beauté indéfinissable de cette femme, il semblait s’agir de la gérante des lieux. « Queen of Hearts », ce lieu n’avait sans doute jamais aussi bien porté son nom, car en une fraction de seconde, elle était devenue la reine du cœur de notre ancien tigre, qui de toute sa vie, n’avait encore jamais ressenti un tel sentiment au travers d’un simple regard. Le rouge de ses vêtement venait lui taper dans l’œil, son cœur battant la chamade à chacune des paroles prononcés par la reine des lieux. Des paroles claires, nettes, concises et dictées avec une autorité certaines.

Le sang de Tiger n’avait d’ailleurs fait qu’un lorsqu’elle vint sonner le glas de la mise à mort de cette trouble-fête. Même si les paroles n’avaient pas été jusque là, il était clair qu’elles avaient beaucoup plus de poids qu’elles ne laissaient transparaître. Sans même prendre le temps de réfléchir, il s’était alors dirigé vers l’altercation et sans dire le moindre mot avait attraper sous son bras la jeune insolente qui avait osé déranger une femme aussi occupé mais surtout aussi parfaite. Il l’avait alors traîné tout le long du long couloir qui menait à l’immense porte du casino, sous laquelle trônait fièrement le nom de celui-ci. Les cheveux de la jeune femme avaient alors frottés le sol tout du long, sa tête frottant également le sol par moment, agissant comme un balais et traînant les quelques poussières et miettes qu’elle attrapait au passage. Une fois face à la porte, Tiger n’y avait pas été par quatre chemins et avait lancé la fautrice de troubles à l’extérieur, la laissant terminer sa course au sol, sur le trottoir.

« Et que je ne t’y reprennes plus ! Sinon la prochaine fois je me sers de ta tête comme d’un balais sur toute la surface du casino! »

Il s’était alors retourné en direction du départ de l’altercation, toute l’attention était à présent portée vers lui. Il n’avait alors pas pris la moindre seconde pour réfléchir et sans même une once d’hésitation, totalement sûr de lui, il avait repris sa marche en direction de la maîtresse des lieux, son regard ne la lâchant pas un seul instant. C’est avec un large sourire aux lèvre et un brin provocateur, comme à son habitude, qu’il adressa la parole à ce qui semblait être le soleil de sa nuit.

« Il faut être fou pour ne pas réagir à la demande de sa reine, encore plus lorsqu’elle est aussi sublime ! Il faudrait voir à mieux choisir vos vigiles très chère Reine Rouge. La réactivité et la poigne ne semblent pas faire parti de leurs compétences. Peut-être devriez-vous leur enseigner leur métier ? Mais au vu de votre poigne, avez-vous vraiment besoin de ces incapables pour maintenir l’ordre dans ce royaume qui est le vôtre? » Sans gêne, Tiger avait déjà pris ses aises dans la discussion. Pour être honnête, il voulait se mettre en valeur aux yeux de la déesse toute de rouge vêtue qui se dressait devant lui. Il avait peut-être même pris un peu trop ses aises, en l’appelant « Reine Rouge ». Cela allait peut-être lui porter préjudice, ou lui apporter des points, car en réalité et comme à son habitude, chacun des mots qu’il avait utilisé avait été choisi à la perfection. « Dès l’instant où je suis rentré dans votre casino, j’ai tout de suite rêvé de discuter avec vous, j’ai rêvé de discuter avec la personne qui était à la tête de ce sublime empire. Que penseriez-vous d’une discussion un peu plus privée, juste tous les deux… Autour d’une table de poker, par exemple ? » La proposition était lancée, une proposition qui n’avait pas été faite sur le plus pur des hasards. Une femme de cette trempe n’allait probablement pas laisser passer cette possibilité, d’autant plus qu’il l’avait un peu bousculé verbalement quelques secondes auparavant, pour en arriver ici. « Je vous laisserai même fixer les tenants et les aboutissants de notre petite partie privée. » Avait-il fini par ajouter, avec un large sourire et toujours aussi sûr de lui, l’on aurait même pu entr’apercevoir un léger clin d’oeil.
   

       Les paroles de cette sublime inconnue étaient bien plus puissantes que n’importe quelle arme à laquelle Tiger avait déjà eu à faire face. Les mots étaient d’une puissance telle. Les mots étaient choisis à la perfection. La bouche pourtant si douce et fragile était devenu ici un canon surpuissant. Un canon qui, sans crier garder, venait tirer des mots qui telles des balles insaisissable transperçaient la peau – habituellement si dure – de Tiger, pour terminer leurs courses en plein dans cette cible habituellement inatteignable : son cœur.  Un cœur qui actuellement et bercé par cette douce mélodie de la séduction, battait la chamade. Chaque pulsion, chaque battement ressemblait à présent à un coup de massue contre l’intérieur de la poitrine de l’ancien tigre et la vision cartoonesque du cœur tentant de s’échapper de sa prison de chaire n’était à présent pratiquement plus qu’une illusion.

Le rythme effréné de son cœur lui procurait une drôle de sensation, comme une plénitude de tout son être. Un état qu’il n’avait pas connu depuis bien longtemps – si ce n’était même, jamais. Cet épanouissement avait cependant un effet indésirable. Un effet qui dans d’autres circonstances aurait alarmé notre chasseur hors pair : une sorte de vulnérabilité qu’il n’était pas à même de contrôler. Faible, c’était ça le mot exact. Face à cette femme, il se sentait faible et sans défense mais aussi surprenant que cela puisse paraître, il avait accepté cette faiblesse. Les actes, les paroles et la beauté quasi inimaginable de cette inconnue toute de rouge vêtue provoquait en lui une réaction quasi identique à celle de Superman face à la kryptonite. Elle était sa kryptonite, elle était sa faiblesse, elle était à l’heure actuelle celle qui aurait pu – sans l’ombre d’un doute – faire plier le roi de la jungle qu’il avait été. Les battements de son cœur, sans grande surprise, s’était calqués sur le rythme des paroles de la reine de ces lieux, comme si son cœur et elle ne faisait déjà plus qu’un. Vulnérable, il n’en restait cependant pas moins séducteur. Elle était une adversaire redoutable et semblait quand à elle, bien mieux résister aux charmes certains et dévastateurs qu’il possédait. Pour autant, tout aussi perturbé qu’il était, il ne pouvait se résigner à se laisser aller à cette faiblesse pourtant inhabituelle chez lui. Il se devait d’être fort, intelligent et bestial. Désorganisé par les talents de séductrice indéniable de sa partenaire, il n’en avait pour autant pas moins observé l’attrait indéfinissable qu’elle avait pour la bestialité qu’il représentait. Et c’est sans l’ombre d’un doute – totalement sûr de lui – malgré l’ascendant certain qu’elle avait pris sur lui qu’il répondait :

« Une démonstration que je me ferais une joie de vous faire à l’aide de cette masse musculaire qui semble tant vous impressionner. Je me ferais d’ailleurs une joie de vous la révéler, en privé évidemment. Nulle autre que vous n’a le pouvoir de supporter un spectacle si réjouissant, comme vous tendez à l’appeler. » Petite pause, après tant de jet de fleurs sur sa propre personne, il en avait bien besoin. « Quand à ma loyauté, elle n’a pour égale que votre beauté, c’est à dire infinie.»

Dans une autre situation il serait passé pour le pire des crétins, voir même pour le pire des beaufs. Cependant ici, la situation se prêtait à ce genre de petit jeu, à ce genre de double sens. Il était clair que tout deux semblaient sous le charme l’un de l’autre et que les étincelles qu’avaient provoquées leur rencontre avaient grandis et étaient déjà devenus de beaux et grands éclairs. Si la foudre devait frapper ce soir, c’est ici qu’elle le ferait. C’était donc ça que les humains appelait : coup de foudre ? Tiger avait bien du mal avec les expressions, il n’en comprenait d’ailleurs quasiment jamais aucune, comme par exemple : « Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à mettre la charrue avant les bœufs » - du moins jusqu’à ce soir où il avait fini par comprendre la plus importante de toute.

Une étincelle de plus venait finalement raviver la flamme du cœur de Tiger qui pourtant n’avait déjà plus besoin de l’être et ne risquait d’ailleurs pas de s’éteindre de sitôt. C’est avec son sourire ravageur qu’elle avait finalement pris le temps de se présenter à son tour. Quinn. A la simple prononciation de son nom, il l’imaginait déjà assise sur un trône gigantesque, à son effigie, et d’une couleur rouge pétante. Il l’imaginait déjà avec une couronne sur la tête, au pouvoir d’un royaume aussi gigantesque que son ego. Il l’imaginait déjà dans une autre vie, Reine, alors qu’actuellement elle semblait déjà Reine de son cœur. Sa petite phrase pour terminer sa présentation avait soutiré un petit rire de la bouche de Tiger. Belle, intelligente et drôle. Que pouvait-elle avoir de plus ?

La réponse à cette question, il n’allait pas tarder à l’obtenir. Alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, une fois de plus pour la flatter et remporter quelques points supplémentaires – pour peut-être remporter la victoire – dans cette partie plus que serrée, elle ordonna la fermeture de son établissement. De la poigne et le fait d’être totalement imprévisible, voilà ce qu’elle avait de plus. En une fraction de seconde, elle venait de chambouler tout ce que Tiger avait pu imaginer, tout. Et avant même qu’il n’ait eu le temps de cligner des yeux  le casino était entièrement vide et un silence   assourdissant régnait à présent dans cette immense salle de jeu. Salle qui était à présent leur salle de jeu, celui de la séduction, à tout deux. Silence qui finalement venait de se faire briser en mille morceaux par la douce voix, pourtant dominante, de Quinn.

« Bien plus tranquille, surtout au vu de ce qui nous attends pour le reste de la soirée. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! J’ai plus d’un tour dans mon sac, mais pour le moment, je vous laisse mener la danse très chère Quinn, Reine de ces lieux. »

Sans même ajouter un mot de plus, il avait alors pris le pas de la tenante des lieux. Le casino était immense et regorgeait d’endroits inexplorés, d’endroits réservés à des invités plus remarquables… Un de ces endroits était d’ailleurs celui dans lequel ils se trouvaient à présent tous les deux, un lieu qui une fois illuminé par une lumière éclatante se révélait être un lieu idyllique pour tout joueur de Poker. Une immense salle dans laquelle il n’y avait rien d’autre qu’une grande table de Poker, une salle dénuée de tout inconvénient et de tout objet futile. Le lieu parfait pour la petite partie qu’ils avaient tout deux prévus. Tiger était alors venu tirer la chaise de Quinn, l’invitant à s’asseoir et poussant de nouveau la chaise légèrement pour que celle-ci soit correctement installé. C’est sans la lâcher du regard un seul instant, la dévorant pratiquement des yeux, qu’il avait finalement rejoint sa place pour s’installer face à elle.

« Ce lieu est un paradis pour tout joueur de Poker. Je vois que vous avez bien plus d’un tour dans votre sac également, je dois bien avouer être agréablement surpris par ce que vous avez fait de ce lieu et par vous même. Nos parties promettent d’être intéressantes et… endiablées ! D’ailleurs, je me permets.»

Avait-il fini par dire en attrapant le paquet de carte qui se trouvait face à lui et qu’il avait commencé à soigneusement mélanger. Le bruit des cartes se heurtant entre elles venait donner le ton des parties qui n’allaient plus tarder à débuter. Le choc des cartes sur la table lorsque Tiger venait les y tapoter, après avoir fini de mélanger, annonçait quand à lui qu’une bataille allait faire rage. Tiger était alors venu distribuer deux cartes à Quinn et à lui-même déclenchant le joug de cette première partie. Tout n’était question que de bluff et d’assurance ici, et tout ceux qui avait déjà eu à faire au maître de la jungle par le passé pourrait vous le dire, il n’y a pas meilleure que Shere Khan à ce petit jeu. Les première mises avait alors été effectuées et Tiger, de part une main à peine potable pour le moment s’était contenter de suivre la mise de son adversaire du jour. Il était alors venu dévoiler les trois premières cartes pour former le Flop. Une fois ces premières cartes dévoilées, un nouveau jeu de bluff, de regard et d’assurance se mettait en place. Décontenançant. Tiger ne parvenait pas à lire dans le jeu et le regard de Quinn et cela l’agaçait au plus haut point. Il était tombé sur une adversaire redoutable et il devait bien l’avouer, même si ça l’agaçait, il prenait un plaisir fou à enfin pouvoir affronter quelqu’un de sa trempe. Et sans l’ombre d’un doute ou d’une réaction, il avait relancer la mise, immédiatement suivi par son adversaire du soir.

Griller une carte, telles étaient les règles du Poker avant de poser la prochaine carte : le Tournant comme on l’appelle dans ce jeu. Et quel tournant, cela venait de donner un certains avantage à Tiger au vu de sa main. Il laissa transparaître une grimace, immédiatement suivi d’un petit sourire narquois comme pour tenter de noyer le poisson. Son regard se posa alors sur Quinn, et l’assurance qu’il avait acquise depuis tout à l’heure venait de disparaître, de nouveau vulnérable fasse à cette femme étonnante.

« Il est temps de rentrer dans le vif du sujet. Plus qu’une seule carte. Le moment tant attendu est arrivé, il est l’heure de parler enjeu. Ma question, si je remporte cette manche, est la suivante : qu’est-ce qui a amené une femme telle que vous à construire un royaume tel que ce casino ?»  En réalité, il brûlait d’envie de lui poser des questions plus personnelles sur elle ou bien même sur ce qu’elle pensait de lui. Mais il avait pris la décision de commencer petit, d’apprendre à en savoir un peu plus sur elle et sur ce qui la motivait. « Et vous, quelle sera votre question ?»

Il attendait impatiemment sa réponse, la question qu’elle souhaitait lui poser l’importait plus que la victoire ou la défaite. Il voulait savoir tout ce qu’elle souhaitait apprendre une lui ou sur sa vie. Il s’imaginait même déjà perdre pour pouvoir répondre à sa question et se mettre en avant. Sans détacher une seul instant son regard du sien, il venait finalement poser sa main sur celle de Quinn et d’une voix joueuse il terminait :

« A vous l’honneur.»

Comme pour lui indiquer de retourner la dernière carte, la Rivière et de mettre fin à cette première manche.
   

     Le Poker, un jeu comme Tiger les appréciait particulièrement. Un jeu de bluff mais aussi un jeu de hasard. Chaque carte retournée pouvait amener son lot de rebondissement, il n’était d’ailleurs pas rare de se faire souffler la victoire au dernier moment. Les probabilités de gagner pouvait changer du tout au tout en une fraction de seconde et la victoire qui semblait pourtant acquise pouvait rapidement se changer en une défaite des plus amères. Là était d’ailleurs tout l’intérêt de ce jeu, une victoire déjà acquise n’est pas une victoire dont on peut se délecter, et, il fallait bien avouer que le manque de défi pouvait rapidement ennuyer ce bon vieux Shere Khan. Il fallait cependant le dire, du défi, il y en avait à cette table. Cette Reine Rouge, qui en moins d’une dizaine de minutes, était déjà parvenue à faire tourner la tête au maître de la Jungle, n’avait pas que pour seule arme sa beauté fatale. Une partie intense était en route, une partie de Poker intense, une partie de joute intense mais également, et surtout, une partie de charme intense. Car tout ce petit jeu n’était finalement qu’une excuse pour se délecter d’un temps précieux auprès de cette femme qui ne le laissait pas de marbre.

Envoûtante. Cette femme était envoûtante. Chaque chose qu’elle faisait ne faisait que renforcer cette idée dans la tête de Tiger. Il ne savait plus quoi faire, ses pensées n’étaient tournées que vers elle et l’empêchaient presque d’être lui-même. Il ne pensait qu’à une chose : l’impressionner. Cela était-il réciproque ? Il n’en était pas sûr, ce serait d’ailleurs sûrement la prochaine question qu’il lui poserait. Enfin… D’une manière détournée. En attendant, son cœur bâtait la chamade dès qu’elle effectuait le moindre mouvement. Aussi anodin soit-il, même ce petit mouvement de rage imbibé de triche le rendait tout chose. Elle était comme lui : sanguine. D’où ce rouge pétant probablement, maintenant qu’il y pensait. La réponse à sa question, il ne l’avait entendu que partiellement, ses oreilles étaient comme cotonneuse et son cerveau ne semblait plus répondre de rien. Il n’avait entendu que des bribes de mots et de réponses. Il n’avait d’ailleurs retenu que les mots suivants : « A mon image ». Ooooh, ça c’était sûr, son casino était aussi magnifique et parfait qu’elle ! Il n’avait d’ailleurs même pas eu le temps de répondre que la manche suivante venait de commencer. La Reine Rouge ne semblait pas satisfaite de cette première défaite.

Définitivement, cette partie n’était pas comme les autres. Habituellement, au Poker, la défaite avait un goût amer, c’était même une chose que personne ne souhaitait connaître. La défaite était d’ailleurs souvent synonyme d’une perte financière importante. Ici ce n’était pas le cas, en cas de défaite, une simple réponse sincère à une question était nécessaire. Et il était d’ailleurs temps de l’avouer, il n’y avait pour la plupart du temps, rien d’amer à y répondre. L’on pouvait presque dire qu’il était quasi aussi intéressant de perdre que de gagner. En y regardant de plus près, Tiger était d’ailleurs en train de perdre, en termes de probabilité il était tout au plus à 5% de chance de remporter cette main. Pour autant, il ne s’avouait pas vaincu, comme nous en avions discuté tout à l’heure, en une fraction de seconde les probabilités pouvaient s’inverser et la tendance changer du tout au tout. C’était certes une possibilité, mais une possibilité qui n’allait pas prendre vie à cet instant précis. La dernière carte retournée venait de réduire à néant ses probabilités de victoires. Piqué au vif et ne souhaitant pas montrer ses faiblesses fasse à celle qui faisait vibrer l’entièreté de son corps à chaque mouvement mais également à chaque parole, il lança ses cartes sur le coin de la table en soupirant : « Je me couche. Je dois avouer que j’ai bien envie de répondre à votre question et que laisser cette envie d’y répondre dans la main du hasard ne me convient pas. » Son regard ne laissait rien transparaître, un dernier coup de bluff pour ne pas avouer sa défaite.

C’est en plongeant son regard au plus profond de celui de Quinn, que Tiger prit le temps de répondre le plus sincèrement possible à sa question. Pourquoi était-il venu ici ? Était-ce réellement ça qui l’intéressait ?

« Pourquoi suis-je venu ici ? Je vais peut-être te décevoir, si c’est le cas, tu m’en verras bien désolé. Si je suis venu ici, c’est pour me délecter de l’impuissance des Hommes et des Femmes qui viennent ici. Les voir se plonger corps et âmes dans ces jeux d’argents et de hasard avant de finalement les voir sombrer dans les abysses du Casino, c’est mon petit plaisir coupable. » Un petit rictus malsain était venu accompagner ses paroles. « Mais si je m’arrêtais là, je ne serait qu’un piètre menteur. Si je suis resté après m’être abreuvé de la bêtise humaine, c’est uniquement pour toi. Lorsque je suis entré dans ce casino, que dis-je, cet empire… J’ai tout de suite pensé à rencontrer la maîtresse des lieux. Je dois avouer que je n’avais pas pensé rencontrer une aussi belle femme… »

Son regard ne se détachait pas de celui de Quinn, il avait ce petit regard charmeur. Celui dont il avait appris à jouer parmi les Hommes. Il ne l’avait pas quitté du regard, tout en mélangeant de nouveau le paquet et en distribuant un nouveau jeu de carte à sa partenaire puis à lui-même.

« Cette prochaine manche sera mienne, il est temps de passer aux choses sérieuses. Les questions sans intérêts, c’est terminé, rentrons dans le vif du sujet. Si je gagne cette manche, et je n’en ai aucun doute, ma question sera la suivante : Qu’est-ce qui t'as poussé à fermer le casino pour que l’on se retrouve seulement tous les deux ? J’imagine que tu n’as pas fait ça seulement pour mes beaux yeux ? » avait-il finalement dis en esquissant un clin d’œil malin.