Wendy ne savait pas tellement à quoi elle s’était attendue en allant se présenter à cette étrange inconnue, mais elle ne s’attendait certainement pas à ce que celle-ci se mette à lui toucher les cheveux comme si c’était la première fois de sa vie qu’elle en voyait. Euh ? D’accord, comment réagir à ça ? Par réflexe, Wendy recula d’un pas pour éloigner sa tête de la main de la jeune fille et tenta de réarranger un peu ses mèches. Quand même, en voila des manières étranges. Elle nota que l’étrangère avait visiblement des origines d’un autre continent. Peut-être était-ce la coutume par chez elle ? Ce serait quand même étonnant, Wendy avait déjà rencontré d’autres asiatiques et aucun d’eux ne s’était comporté de cette façon avec elle. Vraiment très étrange comme première rencontre.

Elle n’eut pas le temps de poser de questions que déjà l’inconnue se retournait, semblant chercher quelque chose. Son chaton ? Et qu’est-ce que ça voulait dire, moi Balais ? Un peu surprise, Wendy serra sa main par mécanisme sans comprendre ce qu’il se passait. Elle ne voyait en réalité à cela qu’une explication : vraisemblablement, la demoiselle était bourrée. La rouquine ne l’avait jamais été elle-même, mais elle avait déjà vu les effets de l’alcool sur son père autrefois, et sur certains de ses camarades de classe lorsqu’elle les accompagnait en soirée de temps à autres. Difficulté à formuler des propos corrects, gestes incohérents, ils n’avaient en général à ce moment plus aucun égard pour les conventions sociales. Oui, c’était certainement ça. Bon, ainsi soit-il. Wendy allait raccompagner cette jeune femme chez elle et s’assurer qu’elle ne fasse rien qui puisse la mettre elle ou les autres en danger. Elle venait de s’en faire un devoir. Mais pour ça, elle allait devoir tenter de communiquer :

« Ecoutez, je vais vous aider, d’accord ? Vous êtes toute seule ? Vous vivez loin d’ici ? »

Elle se rappela aussi de cette histoire de chaton orange que sa nouvelle protégée semblait rechercher. Elle était passée rapidement de la joie à la tristesse en se rendant compte qu’il avait disparu, puis de la tristesse à la joie en quelques secondes, ce qui était bizarre, mais encore une fois, les gens saouls faisaient rarement preuve de cohérence. Wendy analysa rapidement les alentours du regard à la recherche d’une boule de poil rousse, en vain. Peut-être que le chat n’existait même pas. Comment savoir ?

« Vous avez perdu votre chaton ? Où est-ce que vous l’avez vu pour la dernière fois ? »

Oups, c’était peut-être beaucoup de questions d’un coup pour quelqu’un qui n’avait plus tant de lucidité. Elle l’avait peut-être embrouillée. Tant pis, Wendy répèterait si besoin. Elle n’avait rien de prévu aujourd’hui de toute façon, alors elle pouvait bien être patiente. Elle considérait de toute manière que prendre soin de son prochain devait toujours être la priorité numéro une, alors quoi qu’il arrive, elle voulait bien prendre son mal en patience pour aider la demoiselle.

Balais vivre avec Dada ? Décidément, la tâche n’allait pas être facile. La pauvre jeune fille ne savait même plus parler correctement. Et encore ces histoires de balais… Qu’est-ce que ça venait faire là-dedans ? C’était à n’y rien comprendre. Mais tant pis. Wendy allait l’aider, même si elle devait y passer la nuit ! C’était son rôle, en tant que maman, elle viendrait au secours de quiconque en avait besoin, de l’enfant perdu au vieux grabataire en passant par la pauvre demoiselle asiatique alcoolisée. Hors de question de la laisser sans repère toute seule en plein milieu de la capitale anglaise, encore moins alors qu’elle avait perdu son animal de compagnie. Quand elle posa la question à propos de ce dernier, la jeune asiatique l’entraina deux pas plus loin et lui indiqua un point sur le sol en disant que c’était là qu’elle l’avait vu. Enfin une bonne nouvelle, ça devait signifier qu’il n’était pas bien loin ! De nouveau, elle lui toucha les cheveux en précisant que le chaton était pareil. Un peu déboussolée, Wendy garda cependant son calme et acquiesça :

« Oui, le chaton est roux comme mes cheveux. J’ai compris. »

Et voila que l’étrangère lui reprenait le bras pour la tirer derrière elle, l’emmenant sur un chemin tout droit, non loin d’une sablière. Comment savait-elle où aller, si elle était perdue ? Quand même, Wendy avait déjà vu plusieurs fois des personnes subir les effets désastreux de l’alcool ; mais c’était bien la première fois qu’elle voyait quelqu’un se comporter ainsi. Était-elle réellement soûle ? Très honnêtement, la jeune femme avait plutôt l’impression d’avoir affaire à une enfant qui apprenait à peine à parler. C’était peut-être une sorte de retard mental ? Réfléchissant, elle ne cessait cependant de suivre sa nouvelle connaissance, non sans scruter soigneusement le sentier dans l’espoir d’apercevoir ne serait-ce qu’une moustache de la bestiole rousse. D’ailleurs, rien ne lui disait que sa protégée ne s’était pas non plus embrouillée au niveau des couleurs ; par conséquent Wendy décida que le chat pourrait aussi bien être orange saumon que rouge homard.

C’était difficile de se concentrer cependant, lorsque la personne que vous assistiez commençait à chansonner une comptine de dessin animé en sautillant à vos côtés. Même Wendy, la reine de l’empathie, crut sincèrement que la jeune femme allait finir par la rendre chèvre. Mais elle devait garder patience. C’était probablement un retard mental. Par conséquent, ce n’était pas de sa faute. Il fallait simplement que la rouquine réussisse à s’adapter. Et à communiquer un peu mieux avec elle.

« Dis-moi, comment tu t’appelles ? Tu connais ton nom ? Moi, je m’appelle Wendy. WEN-DY. »

Elle parlait en insistant sur chaque mot important et en articulant exagérément. Peut-être qu’ainsi, elles pourraient se comprendre.

« Et ton chat, tu sais comment il s’appelle ? »

Elle se souvint du nom Dada qui avait été répété plusieurs fois au cours de leur conversation improbable et décida que ce devait nommer une personne. Qui, en revanche, était une autre question. Elle termina donc son interrogation ainsi :

« Et qui est Dada ? »

La discussion avec cette étrange jeune femme se releva être encore plus complexe que Wendy l’aurait pensé. Elle songea qu’elle aurait peut-être mieux fait de ne pas lui poser autant de questions, parce que les réponses que l’étrangère donna la rendait au moins aussi confuse qu’elle ne l’était déjà. D’abord, elle avait très mal répété son prénom, alors que Wendy avait bien fait attention à insister sur chaque syllabe. Mais l’asiatique avait tout de même réussi à l’appeler Wenbi. Peut-être une faute de prononciation due à ses origines ? Non, ce n’était pas cohérent, elle savait très bien dire le son D, puisqu’elle parlait de « Dada » à tout va.

« Non, pas Wenbi. WenDy, avec un D, comme Dada ! »

C’était peut-être inutile d’insister autant dessus, et pour être honnête Wendy n’avait plus tant d’espoir d’obtenir une vraie réponse de l’inconnue, mais elle avait préféré tenter plutôt que de la laisser écorcher son prénom. La jeune femme lui parla encore de balais, ce qui n’avait pas de sens. Qu’est-ce qu’elle voulait dire, par « Moi balai » ? Elle aimait les balais ? Ou elle se prenait pour un balai ? D’ailleurs, elle avait répondu ça juste après que Wendy ait demandé comment elle s’appelait. Est-ce qu’elle disait vraiment s’appeler Balais ? Après tout, elle ne savait pas, peut-être que c’était un nom courant d’où elle venait.

« Hm, toi, Balais ? C’est comme ça que tu t’appelles ? Comment tu écris ça ? »

Wendy se rendit compte un peu tard qu’elle avait peut-être encore posé une question inutile et qu’au vu des réponses qu’elle formulait, la dénommée Balais ne saurait sans doute pas épeler son prénom. Elle préféra donc décider mentalement qu’elle s’appellerait Balae, car ça sonnait un peu étranger et moins balai. Le chat en revanche avait un nom bien plus anglophone, puisqu’il s’appelait Snowflake. Wendy sourit, c’était vraiment mignon comme nom pour un petit chaton, même si c’était un peu étonnant de faire le lien avec un flocon de neige lorsque le pelage est roux. Peut-être est-il tacheté de blanc ? La jeune femme décida de noter ça dans un coin de sa tête, ce serait sans doute un indice de plus pour retrouver cette pauvre bête.

Quand elle lui demanda qui était Dada, Balae répondit simplement par un « Dada à moi » ce qui évidemment ne l’avança pas plus. Ce n’était peut-être pas une personne, finalement. Un animal ? Une peluche ? Un ami imaginaire ? Wendy voulait bien s’attendre à tout, désormais. Sentant qu’elle n’aurait pas plus d’informations à ce sujet – du moins aucune information claire – elle décida de ne pas poser plus de questions. Elle se doutait bien que l’état de Balae n’était pas de sa faute et qu’elle avait sans doute une maladie mentale, mais Wendy commençait à perdre patience devant ses réponses aussi indescriptibles. C’est donc en silence qu’elle suivit la jeune asiatique jusque dans un cul-de-sac. Evidemment, aucune trace du chaton. Balae sembla déçue, mais elle ne perdait pas espoir puisqu’elle désigna rapidement une voiture en lui demandant de regarder en-dessous. Wendy ne posa pas de questions, ayant retenu la leçon tout à l’heure, et décida de faire plaisir à cette pauvre enfant en jetant un œil sous le véhicule. Après tout, on ne savait jamais, le chaton serait peut-être terré là. Il fallait dire qu’elle avait assez hâte de retrouver l’animal pour le redonner à sa propriétaire et pouvoir enfin la ramener chez elle. Non pas qu’elle n’appréciait pas sa compagnie, mais disons que converser avec elle était quelque peu éprouvant et qu’elle avait bien besoin de souffler un peu. Elle s’approcha donc de la voiture, se baissa doucement et observa du mieux qu’elle put dans l’obscurité à la recherche d’une silhouette animale.

« Snowflake ? Snowflake, tu es là ? Snowflake, ta maîtresse te cherche, c’est Balae ! Snowflake ? »

Mais pas de Snowflake à l’horizon. En revanche, elle faillit faire une crise cardiaque en voyant un rat lui filer entre les jambes. Elle recula en sursaut, mais c’était plus de peur que de mal et déjà le rat disparaissait dans les égouts. Bon, en tout cas, pas de chat. Elle se tourna vers Balae pour lui annoncer la mauvaise nouvelle quand, du coin de l’œil, elle aperçut une tache orange près du grillage d’une maison, de l’autre côté de la route. C’était un chat roux ! Certainement le pauvre Snowflake ! Avec un grand sourire, elle pointa la bête du doigt et s’exclama vers Balae :

« Le chaton est là ! C’est le tien ? Tu le reconnais ? C’est Snowflake ? »

Elle était aussi heureuse de l’avoir retrouvé que si ça avait été le sien. Balae allait être contente et cela la ravissait au plus haut point.

Wenda. Elle était donc Wenda, désormais. Avec un soupir, Wendy décida qu’il valait mieux qu’elle abandonne. On pouvait bien l’appeler Wenda, Wenbi ou Wenqui si on le voulait, ça n’avait plus d’importance ; et elle préférait arrêter le combat ici plutôt que de se voir attribuer un nouveau prénom qui n’aurait plus rien à voir avec celui d’origine. Wenda, ça irait très bien pour la journée. Wenda et Balae partirent donc à la recherche de Snowflake le petit chaton roux disparu, qui n’était décidément pas sous la voiture désignée par l’étrange asiatique. La souris qui en déguerpit, en revanche, eut son petit effet : terrifiée, Balae hurla en la voyant, ce qui fit sursauter Wenda près d’elle. Visiblement, la jeune femme semblait avoir la phobie de ce genre de rongeur. Pour une fois, rien d’extraordinaire à cela : si Wendy n’avait rien contre ces animaux, elle savait qu’ils pouvaient en terroriser plus d’un, et elle avait elle-même quelques camarades qui ne feraient pas long feu face à l’un d’eux. L’expérience étant cette fois-ci de son côté, la rouquine tenta de la rassurer d’une voix calme et posée :

« Voyons, il ne faut pas avoir peur ! Ce n’était qu’une petite souris inoffensive, et puis, ce n’est pas la petite bête qui va manger la grosse ! Je pense qu’elle a eu bien plus peur de nous, que nous d’elle ! »

Wendy sourit dans l’espoir de lui faire comprendre qu’il n’y avait rien à craindre – et puis, même si ça avait été le cas, elle aurait donné de sa vie pour protéger la pauvre enfant. Puis son regard fut attiré par un chat roux au loin et l’enthousiasme eut raison d’elle lorsqu’elle s’exclama pour alerter Balae de sa découverte. Persuadée d’avoir retrouvé Snowflake, elle ne s’attendait absolument pas à ce que cette dernière le juge du regard un long moment avant de répondre que ce n’était pas lui. Déçue, Wendy fit la moue, et dut se retenir pour ne pas insister et la convaincre de l’observer de plus près. Elle voulait en finir avec cette histoire de chaton, mais elle devait bien se rendre à l’évidence : Balae étant sa propriétaire, elle l’aurait reconnu si ça avait été lui, même d’aussi loin. Rien ne servait de demander plus longtemps. Fatiguée de cette recherche au chaton qui s’éternisait, Wendy tenta finalement une nouvelle approche :

« Balae, tu sais quoi, je pense que Dada saura mieux que moi retrouver ton chaton, tu ne penses pas ? Est-ce que tu saurais retrouver le chemin jusque chez Dada ? Je veux bien t’accompagner, mais il faut que tu me guides, tu pourrais faire ça ? Ou peut-être connais-tu au moins son adresse ? »

Elle espérait sincèrement que la pauvre jeune femme n’était pas totalement perdue et saurait au moins lui dire où l’emmener. Rendue là, Wendy était bien capable de tout prendre et de se débrouiller pour le reste. Tout ce qu’elle voulait, c’était pouvoir enfin ramener la demoiselle saine et sauve d’où elle venait, et accessoirement arrêter de tourner ainsi en rond. Elle n’avait rencontré Balae que depuis une petite heure, tout au plus, mais il lui semblait bien qu’un an et neuf mois s’étaient écoulés depuis, et il était plus que temps d’en finir avec cette histoire. Peut-être pourra-t-elle enfin rentrer chez elle, se poser devant un bon livre et se détendre avec une bonne tasse de thé bien chaud avant de continuer la suite de ses aventures.